Le doute est permis. Après 10 nouvelles années de domination sans partage et quasiment sans suspens, savoir qui va remporter la prochaine grande compétition internationale n’est pas cette année, une question rhétorique.
Tel un vieux traumatisme encore présent, le spectre d’une défaite du Team USA resurgit et l’effectif amoindri de la nation reine du basketball inquiète. Cependant est-il juste de comparer cette équipe à celles de 2002, 2004 et 2006 ? Replongeons dans cette période trouble du basket américain pour voir si une telle chose à encore une chance de se reproduire.
29 août 2002, début de la Coupe du monde de basket à Indianapolis :
– Tim !
– Hmmm ?
– Tim, bouge-toi on va être en retard !
– Ouais ouais j’arrive.
– Dépêche, et oublie pas ton bob, ça risque de taper tout à l’heure.
– Bordel Amy, je sais même pas pourquoi je t’ai demandé de venir, quand je serais à la retraite j’irais avec Fabrizio, lui au moins il me les brisera pas.
– Ouais ouais c’est ça, tu veux pas faire comme sur le terrain et la fermer ?
– Un bob putain, c’est encore plus con qu’aller se taper une Coupe du monde en Indiana ça.
Tim à la pêche, Allen, O’neal, et Kidd blessés, Garnett et Kobe également absents, le 5 majeur de Team USA version 2002 ressemblait à ça :
Andre Miller – Reggie Miller – Paul Pierce – Antonio Davis – Ben Wallace
Malgré les défections, les américains ne perdent pas leur légendaire confiance, les interviews sont décontractées, les entraînements légers et tout ça ressemble plus à un camp de vacances qu’à une préparation d’un événement sportif majeur. Paul Pierce, 24 ans, sort d’une superbe saison à 26 points de moyenne et sera logiquement le leader de l’équipe. Pour l’instant tout va bien, a priori. Un journaliste déclarera même “que le seul intérêt du championnat est de savoir si une équipe pourra perdre de moins de 10 points face aux américains”.
Les 3 premiers matchs du premier tour se passe sans trop d’encombres. L’Algérie, l’Allemagne et la Chine subissent la densité physique américaine. La manière interroge déjà toutefois : manque de rigueur défensive sur jeu placé, grosse utilisation de la presse tout-terrain (ce qui est quand même très rare à un très haut niveau), systèmes offensifs calamiteux (j’aurais plutôt dû dire inexistant). Mais la différence de talent (physique ou basketball) fait le reste.
Puis, après 58 matchs sans défaite en compétition internationale, Team USA tombe face à l’Argentine. Toutes les lacunes américaines sont exposées au grand jour par les argentins, mené de main de maître par Ginobili. Pratiquant un basket structuré, intelligent, avec quelques individualités de renoms, l’ogre tombe. El Manu, pourtant pas réputé pour ses punchlines ravageuses résumera parfaitement la situation : “On se connait. On sait quand seront les écrans, on sait quand il faut couper. Apparemment, pas eux..”
Qualifiés malgré tout, et menant même de 10 points durant le 3è quart temps, les Etats-Unis s’écroulent et s’incline face à la Yougoslavie. La désillusion est totale : il n’y aura même pas de médaille, à domicile. Ils perdront même leur match de classement pour la 5è place face à l’Espagne. Ben Wallace scorera 8 des 15 points américains durant le 3è quart temps pour terminer à 12 points, une marque qu’il ne dépassera que 86 fois au cours de ses plus de 1000 matchs en carrière. Une anomalie qui résume bien la bizarrerie, l’amateurisme et la manque de sérieux flagrant d’une équipe au talent pourtant bien supérieur.
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14 juillet 2004, un mois avant les Jeux Olympiques d’Athènes
– Vince ? Tu m’as trouvé un truc alors ?
– Non débrouilles toi Tracy bordel, je dois préparer mon mariage moi hein.
– Ah ouais c’est vrai, bien joué, excellent comme excuse ça. Ça arrange pas mon problème.
– Bah demande ta nana en mariage sinon ?
– Ça passera tu crois ?
– Ouais, et puis fais comme Mike Bibby, je l’ai croisé il y a pas longtemps, il a dit à Larry Brown qu’il y allait pas parce qu’il avait peur pour sa sécurité dans la ville.
– Sérieusement ? Mais on n’est pas logé sur le Queen Mary 2 genre complètement à l’écart de tout le monde ?
– Ouais mais il a accentué le truc en citant deux trois articles et ça passe tranquille.
– Parfait, je pars la dessus alors.
– Tu fais bien, j’y étais en 2000, qu’est-ce qu’on s’était fait chier !
Puisque ça devient une habitude, on compte comme absents pour 2004 : Mike Bibby donc, Tracy Mcgrady (qui a vraiment invoqué les raisons dans le dialogue imaginaire ci-dessus), Vince Carter, Jason Kidd, Shaq et Jermaine O’neal, Kevin Garnett, Ben Wallace, Allen Iverson et Kobe Bryant (accusé de viol à l’époque). Malgré tout, l’effectif a déjà plus de gueule qu’en 2002. On se retrouve avec un cinq majeur composé de Stephon Marbury – Allen Iverson – Richard Jefferson – Lamar Odom – Tim Duncan qui a de l’allure. Derrière, c’est très jeune mais plein de talents avec LeBron James, Dwyane Wade, Carlos Boozer, Carmelo Anthony… Tout ça coaché par Larry Brown, légende du coaching et champion NBA sortant. Team USA ne s’est pas révolutionnée, mais donne les clés à un coach de renom pour aller chercher l’or.
Sauf que très vite, des tensions apparaissent entre coachs et joueurs. L’équipe est très jeune (la plus jeune en moyenne de l’histoire d’un tournoi olympique) et Brown est un coach traditionnel, on pourrait même dire conservateur. Il veut enseigner “la bonne manière de jouer au basket”. Il dira même une fois à Jason Kidd (pendant un match de qualification), un des meilleurs passeurs de l’histoire, meneur véloce redoutable en transition : « Je sais que tu es un redoutable joueur de contre-attaque, mais je préfère que tu t’arrêtes avant la ligne des lancers francs, et que tu fasses une passe à terre à un de tes ailiers ». Ça vous pose le personnage.
Evidemment, si vous rajoutez à cette équation déjà compliquée, Stephen Marbury, autrement dit l’inverse de ce que représente coach Brwon, la situation devient vite tendue. Brown essayera d’ailleurs à maintes reprises de virer Marbury de l’équipe, sans succès. Et cette tension n’aide pas une préparation de nouveau pas fameuse. Comme d’habitude, l’équipe manque de structure, et se présente sans véritable projet de jeu, mais avec quelques principes old school auxquels les joueurs n’adhèrent pas vraiment, si ce n’est pas du tout.
Et de nouveau, c’est une humiliation. Elle sera peut être encore plus grande qu’en 2002. La scène est plus grande, l’équipe est meilleure sur le papier, et les défaites encore plus cinglantes. Une défaite d’entrée contre Porto-Rico, une autre contre la Lituanie, et enfin une masterclass contre l’Argentine, qui n’aura jamais vraiment été inquiétée et qui décrochera l’or.
Il n’y aura que le bronze, bien maigre consolation pour les Etats-Unis. Les raisons de l’échec sont très simples, un coach absolument pas adapté à ce genre de projet, et surtout des principes de jeu en contradiction totale avec les qualités de l’effectif. Le roster était également complètement bancal, incapable de jouer contre une zone car sans shooteur, et sans joueur capable de jouer sans ballon. Une belle association de noms en somme qui fait rêver sur 2K mais par sur les parquets des Jeux Olympiques.
Mais ce fut enfin l’électrochoc nécessaire.
Jerry Colangelo est nommé directeur d’USA Basketball, un vrai projet est mis en place, une véritable structure, pour préparer et présenter une équipe, une vraie, et non une bande de connaissances talentueuses pour le basket, venue pour montrer à quel point ils étaient supérieurs au reste du monde. Larry Brown est remercié, remplacé par Mike Krzyzewski, un choix bien plus adapté pour mener à bien ce genre de projet.
2006 sera une année de transition marquant le début d’un projet encore embryonnaire, et les américains devront s’incliner face à la Grèce, dont Mike Krzyzewski ne connaissait même pas les noms de ses adversaires (il les appelait numéro 3, numéro 6 un peu comme quand tu joues en départemental le dimanche après-midi finalement). L’attitude n’y est pas encore, les principes de jeu non plus. Mais Team USA a compris les leçons du passé, et il faut désormais assurer de la continuité et continuer à bosser, tout simplement parce qu’en face, les nations adverses travaillent plus encore. C’est peut-être moins talentueux, mais c’est structuré et collectif. Et puis cela a beau être moins fort individuellement, l’écart s’est tout de même fortement réduit. Les Etats-Unis ne peuvent plus venir en tongs et tout écraser, plus sans un minimum de sérieux et de préparation, cette époque est révolue. Le roi est mort, vive le roi.
Il s’en suivra une domination monstrueuse depuis 2008. Derrière un projet enfin structuré et des stars qui ont répondu à l’appel en 2008 et 2012, Team USA déroule enfin et les joueurs ont l’air d’y prendre goût. Les campagnes olympiques de Pékin et Londres sont de véritables succès, des triomphes même, donnant lieu à un véritable sommet de basket qu’est la finale des Jeux Olympiques de 2008 contre l’Espagne, considérée par certains comme le plus beau match de l’histoire.
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Alors qu’en est-il pour 2019 ?
L’effectif est le suivant : Harrison Barnes, Jaylen Brown, Joe Harris, Kemba Walker, Brook Lopez, Khris Middleton, Donovan Mitchell, Mason Plumlee, Marcus Smart, Jayson Tatum, Kemba Walker, Myles Turner et Derrick White.
Au niveau des individualités, c’est peut être l’une des premières fois où je ne vois pas de potentiel MVP, à court terme ou dans le futur, dans la liste de Team USA.
Les deux meilleurs joueurs de la Coupe du monde seront bel et bien étrangers, il s’agira bien sûr de Nikola Jokic et Giannis Antetokoúnmpo, tout récent MVP. En y ajoutant Rudy Gobert, on peut considérer que seul Kemba Walker et Donovan Mitchell font partie du top 5 des joueurs présents en Chine en septembre prochain.
Sur un plan offensif, l’effectif semble avoir malgré tout une puissance de feu inégalable sur le papier. Des créateurs comme Walker, Mitchell, Tatum, des shooteurs avec Lopez, Harris, Middleton, des gars durs sur l’homme en défense avec Smart, Brown…
Et encore, tous ne sont pas uniquement des joueurs unidimensionnels, bien au contraire. La plupart des joueurs présents seront capables de défendre et shooter correctement, laissant beaucoup d’opportunités de coaching. Quand on sait que Gregg Popovich sera à la baguette, cela a de quoi être rassurant. Présenter un groupe aussi jeune et fait de stars de secondes zones peut également avoir son avantage au niveau de la motivation. Sous pression, soumis à une vague de scepticisme, on ne pourra pas douter de la motivation de cette équipe comme c’était le cas lors des dernières défaites.
En réalité, cette équipe a plein de choses à prouver et est dans de bonnes conditions pour le faire. Ils se préparent durement, sont bien entourés, et semblent tous en accord avec un coach que certains adulent même. En effet, personne ne doute de la capacité de Popovich à s’adapter au jeu FIBA, lui qui en est fan et a transformé la philosophie de ses Spurs en utilisant certaines des bases de ce dernier, et qui s’entoure depuis des années d’assistants et de joueurs qui en sont issus.
Toutes les contraintes structurelles, visibles dans la préparation, l’adéquation du coaching ou la motivation ne sont plus. Team USA est aujourd’hui, tout comme la NBA, une machine à préparer ses joueurs à évoluer au plus haut niveau dans les meilleurs conditions qui soient.
Les comparaisons avec 2002, 2004 ou 2006 n’ont plus lieu d’être. Le problème n’est plus là, du moins a priori. J’ose espérer pour la compétitivité du basket international et en prévoyant qu’il va continuer à se développer partout dans le monde que nous sommes à la croisée des chemins. Le basket international a atteint un niveau incroyable depuis une vingtaine d’années. Les équipes qui se dressent face aux américains n’ont plus cet avantage structurel certes, mais elles seront peut être purement et simplement plus fortes.
L’optique d’une défaillance structurelle américaine écartée, toujours est-il que cette compétition s’annonce différente. J’espère vraiment qu’elle ne sera pas une anomalie. Je vais regarder la Coupe du monde en me demandant réellement pour la première fois depuis 10 ans, qui va la remporter. Je n’en sais rien. Et j’espère que ce qui passe pour une formalité pour les basketteurs américains, deviendra un formidable accomplissement pour d’autres dans 10 ans. Si vous avez vu cet USA-Espagne ahurissant de 2008, vous ne pouvez que rêver de la même chose.
Article par “Michel Duncan”.
usa – espagne 2008 : quel match !!!!!!!!!!!!!