S’il y a bien une constante en NBA au cours des dernières saisons, c’est la capacité quasiment surnaturelle des Phoenix Suns à passer pour des peintres dès qu’ils en ont l’occasion. Que ce soit par ses résultats sportifs abominables, ses décisions qui se révèlent foireuses dans 90% des cas ou l’attitude hautement détestable de son propriétaire, la franchise se débrouille toujours pour offrir pléthore d’occasions de se payer une bonne tranche de rigolade à condition, bien sûr, de ne pas faire partie de ses fans.
Pour ces derniers, le quotidien s’est transformé en long chemin de croix, les maigres espoirs nés d’une saison se muant presque systématiquement en promesses envolées dans les semaines suivantes, comme si rien ne pouvait sortir cette franchise de la fange dans laquelle elle s’est enterrée. Compte tenu des innombrables erreurs du passé, on abordait l’intersaison 2019 de Phoenix avec une extrême méfiance, préférant partir du principe que le cirque allait donner une nouvelle représentation plutôt que de croire en la présence d’un Front-Office compétent à la tête de la franchise – à ce stade, tous les moyens sont bons pour préserver sa santé mentale. Maintenant que la folie de la free agency est retombée et que le mercato semble bouclé dans l’Arizona, dressons un bilan des moves réalisés, pour voir si cette méfiance était justifiée.
Le début des grandes manoeuvres
Malgré son licenciement avant le début de la saison, c’est bien Ryan McDonough qui avait chapeauté la transition entre 2017-2018 et 2018-2019, avant de laisser sa place à James Jones. L’intersaison actuelle constitue donc la première occasion pour l’ancien n°22 de Phoenix de prouver ses talents managériaux. Sera-t-il capable de redresser un minimum la barre, ou rajoutera-t-il simplement une cerise moisie sur le gâteau d’horreurs ?
Le long terme nous donnera la réponse, mais dans l’immédiat, Jones a fait honneur à une tradition maison en licenciant le coach Igor Kokoskov dès la fin de la saison. Le serbe n’était pas parvenu à créer grand chose lors de sa première saison aux commandes, certainement pas aidé par l’effectif incohérent mis à sa disposition. Malheureusement, les coachs constituent toujours les premiers fusibles et ce licenciement n’est ni le premier ni le dernier à paraître sévère. James Jones n’avait visiblement pas envie d’attendre que l’ancien assistant du Jazz prenne ses marques en tant que head coach, un premier indice quant à sa volonté de faire oublier cette saison 2018-2019 particulièrement atroce, même pour les standards des Suns.
Pour le remplacer, le choix de l’expérience a été fait en la personne de Monty Williams, qui a déjà occupé ce poste à New Orleans entre 2010 et 2015 – avec des fortunes diverses. Il va falloir attendre pour juger mais ce qui est certain, c’est que Williams était la priorité n°1 de la franchise pour le poste, ce qui laisse entendre que celle-ci est prête à donner la latitude nécessaire au technicien pour mettre en place son projet et le développer, comme en témoigne le contrat de 5 ans signé par les deux parties. Il convient néanmoins de rester prudent quand on considère la tendance de Sarver et ses sbires à changer d’avis du jour au lendemain pour des raisons inexplicables. Williams pourra s’inscrire sur la durée tant qu’il assurera le minimum syndical au niveau des résultats, et ce dès cette année. A noter, la présence dans son staff de Willie Green, qui quitte Steve Kerr et les victoires de Golden State pour retrouver son ancien coach.
La question du coach étant réglée, il fallait se préparer à la draft, espace d’expression privilégié des Suns pour se couvrir de ridicule habituellement. La direction s’est montrée très active cette année, et sans aller jusqu’à la catastrophe nucléaire, force est de constater que certaines décisions posent question, une nouvelle fois.
En tête de liste, le transfert de TJ Warren à Indiana contre… contre rien, en fait. Présenté comme la monnaie d’échange n°1 de l’équipe, l’ailier avait encore augmenté sa cote lors de l’exercice 2018-2019 en se dotant d’un tir extérieur des plus robustes (42%), le tout couplé à un petit contrat (35M/3 ans) faisant de lui un joueur attractif pour beaucoup d’équipes en manque de scoring. Hélas, au lieu de profiter de cet avantage pour essayer de récupérer une contrepartie intéressante, les Suns se sont contentés d’un salary dump en bonne et due forme, le départ de Warren servant uniquement à créer de la place pour pouvoir signer d’autres joueurs.
Il y avait deux trous à combler cet été dans l’Arizona, à savoir le poste 1 et le poste 4. Un échange de TJ Warren paraissait tout indiqué pour répondre à l’une de ces deux problématiques, mais la direction était visiblement sûre de pouvoir le faire par d’autres moyens, et dans cette optique, le contrat de l’ailier était devenu encombrant. Cependant, vous ne nous empêcherez pas de penser que transférer un joueur de son calibre ainsi que le 32e choix contre du cash constitue un choix très particulier, voire même carrément idiot. Il y avait très certainement mieux à faire dans cette affaire.
Qui qu’il en soit, la piste Warren refroidie, les spéculations allaient bon train concernant la volonté de Phoenix de trader son 6e choix de draft pour attirer un meneur d’expérience dans ses filets. Et si le trade a bien eu lieu et que le pick 6 a été envoyé à Minnesota, ce n’est pas pour Jeff Teague – les saints soient remerciés – mais plutôt Dario Saric, en compagnie du pick 11. Cela répond à l’une des deux problématiques citées plus haut, mais clairement pas la plus importante : Phoenix a un 4 titulaire mais toujours pas de meneur (gardez bien en tête que votre grand-mère aurait probablement pu prétendre au poste de point guard titulaire l’an dernier).
Trader un pick du top 10 pose toujours question, à laquelle seul le temps peut répondre. A partir du moment où Phoenix n’avait pas hérité de l’un des 3 premiers choix, ce trade paraissait probable, et James Jones a décidé de lancer les dés. Le message est clair : au diable les prospects sur le long terme, une amélioration immédiate est nécessaire.
A ce compte-là, l’arrivée de Dario Saric est une bonne chose. L’intérieur n’a que 25 ans et a prouvé par le passé sa capacité à étirer le jeu grâce à son tir extérieur, un secteur dans lequel les Suns souffraient énormément en 2018-2019. Démarrer les rencontres avec le croate en lieu et place du fantôme de Ryan Anderson ou de Dragan Bender constitue une grosse plus-value, sa polyvalence et ses qualités balle en main offrant également des perspectives intéressantes quant à son association avec DeAndre Ayton dans la raquette. Revanchard, il ne peut qu’améliorer la qualité du poste 4 et rien que pour cela, ce trade n’est pas totalement à jeter. En revanche, un gros point d’interrogation émane de l’utilisation du pick des Wolves.
En effet, au moment de décider quoi faire avec ce choix, c’est encore le manque criant de tir extérieur qui a donné la direction à suivre. En sélectionnant Cameron Johnson malgré son âge “avancé” (23 ans), les Suns se dotent d’un potentiel tireur d’élite (45% à 3 pts dans sa dernière saison à North Carolina), capable d’apporter immédiatement sous réserve que la transition entre la distance NCAA et NBA se passe bien. Il peut tout à fait devenir un membre solide de la rotation dès cette saison, mais le fait de le drafter aussi haut interpelle.
James Jones semble encore une fois avoir pris une décision à court terme, avec la promesse d’un apport immédiat mais limité plutôt qu’un gros potentiel à développer. Connaissant l’incapacité chronique de Phoenix à tirer le maximum de ses rookies, c’était peut-être la meilleure chose à faire (la tristesse de cette phrase), reste qu’on ne peut s’empêcher de lever les yeux au ciel quand on voit les dégâts réalisés par un Brandon Clarke en Summer League, par exemple. Avec ce choix surprenant, le GM joue la sécurité mais s’expose à énormément de railleries si l’un des joueurs choisis plus bas a le malheur de devenir bon. Heureusement que Saric vient sauver le tableau de ce trade pas forcément inspiré.
Les Suns auraient pu en rester là, mais alors qu’ils n’avaient plus de choix à faire, de nouvelles manoeuvres ont été effectuées pour se donner une opportunité. Les Celtics récupèrent le choix 2020 des Bucks (acquis par les Suns lors du trade d’Eric Bledsoe) et envoient Aron Baynes, ainsi que le 24e choix, à Phoenix. L’arrivée du pivot australien ne saurait être vue comme néfaste, son travail rugueux dans la raquette ayant été utile à maintes reprises par le passé. Ce n’est certainement pas le joueur qui fera franchir un palier à l’équipe, mais il constitue un backup très solide derrière DeAndre Ayton.
Quant au pick, il sera utilisé pour drafter Ty Jerome, vainqueur du final four NCAA avec Virginia. Le meneur a montré ses qualités de playmaker lors de l’épopée de son équipe et aura sa carte à jouer dans la lutte pour le poste de troisième meneur. Ce choix est un potentiel coup intéressant mais les Suns ont encore sacrifié un pick pour s’adjuger deux joueurs qui, selon toute vraisemblance, ne changeront pas la face de la franchise. C’est improbable et on ne le souhaite évidemment pas, mais si Giannis rate la moitié de la saison et que le choix 2020 de Milwaukee atterrit dans le top 20, on en connaît qui risquent de s’en vouloir pas mal en Arizona. Là où certains sont très attachés à leurs assets et ne les lâchent que contraints et forcés (bonjour monsieur Ainge), d’autres se montrent bien plus généreux. Phoenix fait partie de cette deuxième catégorie et le démontrera une nouvelle fois plus tard dans l’été.
Capitaine ! Meneur titulaire à l’horizon !
Avec la signature de Ty Jerome, le chantier a commencé au poste de meneur et va se poursuivre.
On commence tranquillement avec le recrutement de Jalen Lecque, sorti directement du lycée, qui ira faire ses armes en G-League pour voir si son surnom de “Baby Westbrook” est un tant soit peu mérité. Sans surprise, Mose Schrute Tyler Johnson active son option à 19 millions de dollars, une somme bien au-dessus de sa valeur réelle – merci Pat Riley. Capable d’évoluer sur les postes 1 et 2, il a néanmoins rendu quelques bons services à la mène lors de son arrivée en cours de saison. Etant donnée la fragilité de la concurrence, le poste de meneur backup lui semble promis (à moins que l’un des jeunes loups précédemments cités n’explose aux yeux de tous).
Mais l’événement de l’été, vous le connaissez, évidemment. Par la bénédiction du grand ornithorynque ailé, les Suns ont trouvé un meneur titulaire. Ricky Rubio pose ses valises en Arizona, et quoi qu’en disent certains, la hype est présente, pour la simple et bonne raison que passer d’un trio de meneurs de G-League à un cadre d’une équipe de playoffs constitue un énorme bond en avant en termes de qualité.
Expérience, défense, gestion, l’espagnol coche beaucoup de cases dans la liste des éléments manquants à Phoenix pour le poste. Devin Booker va bénéficier pour la première fois de la présence d’un réel playmaker à ses côtés, ce qui va lui permettre de souffler un peu au niveau de la création pour se concentrer sur ce qu’il sait faire de mieux, scorer. Si la complicité se crée sur le backcourt, l’arrière pourrait franchir un nouveau palier cette saison. Il en va de même pour DeAndre Ayton, qui risque d’avoir l’impression de pratiquer un sport différent lorsqu’il jouera un pick and roll avec l’espagnol pour la première fois, après s’être coltiné un an de Melton/Okobo/Canaan. Bref, inutile de tourner autour du pot, si l’attaque des Suns ne progresse pas avec cette arrivée, on ne pourra rien faire de plus.
Alors bien sûr, on pourra trouver le prix élevé. 51 millions sur 3 ans ne constitue pas le plus gros braquage de l’été (coucou Terry Rozier), mais ça commence à faire du gros contrat pour un joueur qui, malgré ses qualités de passeur/défenseur, demeure frustre offensivement, avec une adresse extérieure trop hasardeuse pour représenter un réel danger. Ce n’est pas avec Rubio que Devin Booker va pouvoir profiter de plus d’espaces sur le backcourt. Néanmoins, il n’y a pas 36 solutions pour avoir un meneur qui tient la route en NBA : soit vous draftez un titulaire en puissance, soit vous tradez de manière habile, soit vous sortez le chéquier car l’addition va être salée. Dans le cas de Phoenix, vous aurez compris qu’on a fait une croix sur les deux premières options depuis un long moment, le dernier recours consiste donc à envoyer de l’oseille. Un mal nécessaire pour mettre fin à la mascarade pitoyable de l’an passé.
Vous reprendrez bien quelques moves de plus ?
A ce stade, on est déjà pas mal niveau transformation d’effectif, mais James Jones avait encore quelques idées en tête. Avec du bon et du moins bon.
Au rayon du bon, on compte évidemment la re-signature de Kelly Oubre Jr. En l’espace de 40 matchs, Tsunami Papi s’est mis la ville dans la poche grâce à son envie et ses très bonnes performances (16.9 pts, 4.9 rbds, 1.6 ast, 1.0 ctr et 1.4 int). Le voir partir aurait été un crève-cœur pour les fans et un coup dur au niveau sportif, ce retour est donc des plus logiques. Cependant, à seulement 30 millions sur 2 ans, Phoenix n’a pas eu à se ruiner, ce que l’on pouvait pourtant craindre au début de l’été. La franchise ne se met pas en danger avec un gros contrat à long terme, qui deviendrait un boulet si Oubre ne pouvait confirmer les promesses entrevues pendant 5 mois. Pour l’ailier, c’est l’inverse : s’il continue de performer et de faire grimper sa cote, il n’aura pas à attendre longtemps avant de partir chasser un gros contrat. Les deux parties sont gagnantes, faisant de ce deal le meilleur move réalisé par James Jones cet été.
Autre arrivée intéressante, celle de Frank Kaminsky, dont l’aventure à Charlotte s’est terminée en eau de boudin. Un nouvel intérieur shooteur vient enrichir le banc, qui commence enfin à ressembler à un banc digne de la NBA. A 10 millions sur 2 ans, on peut clairement parler de bonne affaire.
Mais cette fin de mercato n’est pas exempte de tout reproche. Entendons-nous bien : le cas Josh Jackson devenait de plus en plus problématique, des casseroles extra-sportives venant s’ajouter à une production très inquiétante sur sa saison sophomore. La direction souhaitait s’en débarrasser, et difficile de le lui reprocher. Mais au regard du package envoyé à Memphis, elle souhaitait visiblement s’en débarrasser à tout prix, n’hésitant pas à mettre De’Anthony Melton et deux futurs choix du second tour dans la balance pour convaincre les Grizzlies d’accepter le deal. Tout ça pour récupérer Kyle Korver, qui sera coupé dans la foulée, et Jevon Carter (c’est vrai qu’entre Ty Jerome, Elie Okobo et Jalen Lecque, il n’y a pas assez de jeunes meneurs dans l’effectif). Ça fait cher, très cher. Au total, Phoenix a échangé pas moins de 5 tours de draft cet été. Généreux, on vous dit.
Quel bilan ?
Après une quatrième saison pitoyable d’affilée, James Jones a décidé qu’un grand ménage était nécessaire. Parmi les joueurs de l’effectif actuel, seul Devin Booker est présent depuis plus de 13 mois, une preuve accablante de l’incompétence qui gangrène la franchise, obligée de tout effacer et de recommencer après une reconstruction ratée.
La méthode est spectaculaire mais la philosophie de fond reste la même. Enfin, plutôt l’absence de philosophie. La franchise semble être sans cesse tiraillée entre une vision à court terme et à long terme, n’osant jamais enclencher une reconstruction totale et préférant jouer la carte du mélange entre jeunesse et expérience. Pour preuve, des signatures comme celles de Trevor Ariza, Tyson Chandler ou Jamal Crawford par le passé, qui n’ont absolument aucun sens dans un contexte de reconstruction. C’est encore le cas cette année, dans une moindre mesure, avec Ricky Rubio, dont l’arrivée a au moins le mérite d’être en phase avec les besoins de l’équipe. Parmi la multitude de moves effectués, il y a certainement des jolis coups, mais aussi des décisions coup de tête dans la plus pure tradition des Suns des dernières années, n’hésitant pas à brader des atouts importants ou à balancer des tours de draft par la fenêtre pour des contreparties quasiment inexistantes.
Au final, Phoenix a clairement amélioré son équipe, en sacrifiant des assets et de la flexibilité future pour commencer à gagner dès maintenant. Le message est clair, on préfère devenir rapidement médiocre plutôt qu’essayer d’être excellent à long terme. Dans un monde où seule l’objectivité règne, une telle gestion est purement catastrophique. Mais laissez l’auteur se faire l’avocat du diable, et vous faire part de son point de vue de fan.
Un fan qui, depuis 4 ans, désespère de voir son équipe enchaîner les décisions minables et les défaites de 30 points. Un fan qui a très bien compris que, compte tenu du retard pris par son équipe vis-à-vis de la concurrence à l’Ouest, les playoffs n’étaient certainement pas accessibles avant plusieurs années. Alors si, pour une fois, on pouvait au moins prendre du plaisir, s’extasier devant un alley-oop Rubio-Ayton, voir Booker gagner quelques matchs pour le sauver de la dépression, rugir tel Aron Baynes après un contre, et bien on signe. Parce qu’au delà des projections, des plans à long terme et du titre comme seul objectif supposé, il existe une réalité bien plus basique, bien plus urgente : on a simplement besoin de retrouver une raison d’aimer les Suns. Et si ça ne débouche que sur 30 victoires ? Et bien ce sera déjà ça. Oui, on en est là.
Haha, la première phrase l’a tuée !
le trade de TJ Warren m’a laissé sans voix…
Tu le penses si important que cela, au fond ?