La NBA a réalisé un nouvel été digne des meilleures séries d’HBO. Des drames, des retournements de situations, des polémiques et une faculté indéniable à faire réagir les foules. Si nous avions payé notre abonnement, on peut le dire, nous en aurions eu pour notre argent. En revanche, si le seul camp des Denver Nuggets vous avez intéressé, alors probablement que les premiers jours passés, vous auriez demandé votre remboursement immédiat, et sans négociation possible.
Au sortir d’une saison faisant office de consécration pour des années de construction, les dirigeants possédaient diverses options pour tenter de battre le fer tant qu’il était chaud. Au coeur des spéculations, la possibilité de se débarasser du contrat en or massif (30M par an), de Paul Millsap. Une manne financière susceptible de donner une flexibilité intéressante et d’envisager de conserver l’ailier fort à moindre un coût et à long terme. Il n’en fut pourtant rien, son option était activée, et on sentait venir le vent de l’inactivité sur l’intersaison du Colorado. A ce moment-là, deux interrogations persistaient : que faire avec la prolongation à venir de Jamal Murray, pour 2020 ? Quels moyens pour s’améliorer à moindre coût ?
Contre toute attente, le front office avait des réponses à ces deux questions. Pour la première, il décidait que le temps était venu de parier sur leur jeune extérieur, et visiblement, que le joueur était digne de devenir le coeur de la construction de l’équipe. Peu après l’ouverture du marché, dans une précipitation presque étonnante face au peu de pression qui semblait s’opérer, la nouvelle tombait : Jamal Murray s’engageait pour un contrat maximum de 5 ans … et 170M de dollars. Négociation, il n’y avait pas eu, et le joueur ayant clôturé sa troisième année, devenait la seconde pièce maîtresse des Nuggets.
Ainsi en était-il. La nouvelle faisait l’effet d’une secousse, tant la valeur était élevée, et aurait pu, par la même, mettre un terme à l’été de Denver. Heureusement, Tim Connelly et son équipe avaient décidés de livrer une excellente nouvelle aux fans. Alors que le Thunder implosait et voyait ses deux leaders sur le départ (ou proche), l’occasion fut saisie de ramener Jerami Grant dans la franchise à moindre coût. Alors que la trade exception obtenue dans l’échange de Wilson Chandler l’été dernier arrivait à expiration, elle devenait la pièce centrale de l’arrivée de l’ailier fort dans le Colorado, qui débarqua en échange du 1er tour de draft 2020 de la franchise. Un choix qui semble cohérent à court et moyen terme : on vous explique pourquoi.
La problématique Paul Millsap
Fiable physiquement toute sa carrière, devenant All-Star sur le tard et pièce centrale du dispositif des Atlanta Hawks, Paul Millsap n’a pas connu la même réussite avec Denver. Si cette saison fut un franc succès, et ce, au-delà des attentes originelles de la franchise, l’ailier fort vieillit. Résultat, une première saison longuement amputée par une opération au poignet, et une seconde émaillée de pépins dont une vilaine fracture à l’orteil. Une absence que le banc de Denver a permis de compenser, mais qui n’enlève rien à un état de fait : la présence de l’ailier fort est importante pour l’équipe, notamment pour être une défense redoutable.
Les chiffres l’attestent, si le defensive rating de l’équipe est 108,1 (10eme en NBA), il passe à 105,4 (équivalent de la 3eme place), avec son vétéran sur le terrain.
Problème, outre les blessures qui sont venues compliquer son rythme et sa réussite avec la franchise : les courbes. Là où l’ailier fort est sur le déclin, tranquillement en route pour ses 35 bougies, il évolue dans une équipe jeune encore sur la pente ascendante. C’est là que la notion de “timeline” entre en jeu. Car si à court terme, il peut transmettre son expérience et apporte toujours avec certitude, il convient aussi pour les dirigeants de trouver un moyen de perpétuer ce cycle qui est, à priori, loin de son pic. Un pic dans lequel Paul Millsap ne pourra pas jouer sa partition, alors qu’il incarne le parfait complément du talent offensif de Nikola Jokic, mais surtout le parfait pansement à ses lacunes.
Or, si la franchise n’est pas dans une situation compliquée quant à la gestion de son salary cap, la signature de Jamal Murray marque un tournant dans la belle flexibilité actuelle. Le contrat en or massif qui lui sera attribué rognera au-delà du pactole que la fin de contrat de Millsap devait apporter, et ce alors, que la franchise devra penser à la prolongation de son banc pour l’avenir : Malik Beasley, Juancho Hernangomez et Monte Morris (pour l’été 2021) – tout en gérant en amont le cas Mason Plumlee (expirant en 2020).
C’est dans ce contexte que la franchise a obtenu une recrue qui peut rassurer : Jerami Grant.
L’implantation sportive de Jerami Grant
L’an dernier, les Nuggets pensaient pouvoir compter sur l’apport de Trey Lyles au poste d’ailier fort. Sortant d’une bonne saison 2017-2018 au relais de Paul Millsap, sa montée en responsabilité semblait presque actée. C’était avant que le joueur perde son shoot et une bonne partie de sa contribution offensive, le poussant lentement vers la sortie de rotation et le bout de banc.
Cette saison, Mike Malone pourra faire appel à un joueur ayant gagné ses gallons de titulaire l’an dernier. Un confort énorme permettant notamment d’économiser Millsap en vue des joutes de printemps à venir, désormais objectif évident de cette équipe de Denver. L’arrivée de Grant offre une belle opportunité au coaching staff, d’autant qu’il faut comprendre que ce dernier a produit une évolution en faisant un excellent complément de Jokic… Et donc du jeu produit par les Nuggets.
Lorsque l’on regarde Jerami Grant jouer, que découvre-t-on ?
Un joueur de 25 ans seulement (qui s’imbrique parfaitement dans la “timeline” des Nuggets), dont la principale qualité vantée durant son début de carrière fut les qualités athlétiques. Ailier fort mobile doté d’une verticalité solide, il a fait ses armes de voltigeurs, mais a surtout était attendu pour son apport défensif. Capable de défendre sur plusieurs positions, en luttant contre des joueurs plus petits, tout en tenant le choc face à des intérieurs plus lourds (99kg seulement pour 2m06). Cette faculté à “switcher” devenue maîtresse dans la NBA moderne fait immédiatement du joueur un profil précieux.
Mais le joueur ne s’est pas arrêté là, face à l’importance d’exister offensivement pour faire son trou dans la grande ligue, il a travaillé pour devenir un des profils les plus précieux du circuit, l’intérieur capable de shooter. Consécration de cette nouvelle arme ajoutée à son jeu, il tournait à un détonnant 39,2% à 3pts l’an passé. Profitant de la capacité de Wesbrook et George à attirer l’attention des défenses, il a relevé le défi : continuer à exister offensivement en devenant titulaire. Il a ainsi stabilisé son eFG%, alors qu’il passait de 20 à 32 minutes par rencontre.
Enfin, bon athlète, le joueur sera attendu dans le système des Nuggets sur sa faculté à profiter du mouvement de ballon. Capable d’évoluer en touchant peu de ballon, on l’imagine facilement sur beaucoup de coupes vers le panier ou de mouvements derrière l’arc. Joueur dôté des qualités pour finir près du cercle, il sera sûrement beaucoup plus utilisé sur ses coupes qu’à OKC, où seulement 10,7% de ses paniers venaient d’actions semblables – alors qu’il mettait pourtant 1,32pts par possession sur ce type d’actions. Mobile, il pourrait également être utilisé comme poseur d’écran sur des P&R avec Nikola Jokic ou Mason Plumlee pour destabiliser les défenses – le rôle inverse ne lui semblant pas encore accessible, en raison d’un jeu de passe encore perfectible.
La réalité de son arrivée semble donc évidente : Jerami Grant a un profil très recherché, particulièrement important pour permettre au franchise player de la franchise d’être libre de s’exprimer. Sa mission principale, dans ce nouveau moule, être la meilleure version de lui-même défensivement : comprendre quand venir aider, quand rester sur l’homme et combler les failles laissées par les défenseurs les moins aptes de l’équipe, devenus pièces centrales du système offensif.
En contrepartie, il profitera d’un leader et d’une équipe tournée vers la circulation de balle, loin des habitudes statiques du Thunder qui devraient lui permettre de tirer le meilleur de son potentiel offensif. S’il arrivait à maintenir une telle régularité derrière l’arc, son arrivée deviendrait alors létale, malgré un temps de jeu plus réduit à anticiper.
L’implantation stratégique de Jerami Grant
Si Paul Millsap devrait réduire le rôle de Jerami Grant comparé à celui qu’il possédait chez le Thunder, le jeune arrivant représente d’ores-et-déjà l’option numéro une pour perpétuer le système de jeu de Denver une fois ce dernier relégué au second rang, ou parti. Comme précédemment évoqué, âgé de 25 ans, Jerami Grant est arrivé en NBA la même année que Nikola Jokic et Gary Harris. Ainsi, il est donc sur la même chronologie que ses futurs coéquipiers, ceci permettant de profiter d’un pic commun, mais aussi d’avoir une gestion contractuelle plus facilement anticipable que celle d’un vétéran comme Millsap. En effet, il est plus facile de parier sur l’évolution d’un joueur jeune, que celle d’un joueur approchant des 35 ans. On note régulièrement des joueurs dont la valeur sportive s’effondre subitement, compliquant alors toute l’évolution d’un projet et poussant les dirigeants à abandonner des ressources pour compenser un contrat hasardeux.
En l’acquérant, les Nuggets ont donc acquis une continuité mais aussi la possibilité de parier moins cher (ou moins longtemps), sur le contrat de Paul Millsap à l’issue de la saison.
En revanche, cette année sera aussi capitale concernant la relation entre la franchise et le joueur. C’est une véritable opération séduction que risque de devoir proposer Denver, le tout en donnant des garanties au joueur sur la suite de sa carrière. En effet, l’été prochain, le joueur aura la main sur son avenir. Possédant une player option de 9,6M, qu’il peut choisir d’exercer, tout porte à croire que le joueur cherchera à gagner plus et pour longtemps. Une tâche facile à envisager le concernant. En raison de ses qualités, mais aussi de la faiblesse de la free agency 2020. En refusant son option, l’ailier fort deviendra UFA (Unrestricted free agent) et pourra signer n’importe où. La seule arme que possèdera Denver, sera la possibilité de proposer un contrat plus long, ce qui n’enlèvera pas la problématique suivante : ils devront éviter un contrat surpayé pour maintenir l’ossature en place à long terme. Pour y arriver, il sera nécessaire de donner au joueur les garanties nécessaires pour qu’il puisse envisager la suite de sa carrière dans le Colorado. Le voir obtenir plus de responsabilités dans le jeu qu’à OKC est alors tout à fait probable !
Autrement dit, si Jerami Grant représente une continuité pour Denver, il pourrait très bien être perdu ou signifier l’incapacité à prolonger d’autres joueurs importants l’été suivant (si le front office refusait de s’engouffrer dans la Luxury Tax). Plusieurs éléments qu’il sera important de garder en tête dans le suivi de cette équipe l’an prochain – et qui pourraient expliquer certains choix tactiques au cours de la saison.
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Si les Denver Nuggets n’ont pas connu de renforts majeurs, ni de départs d’envergure (seulement Trey Lyles, Tyler Lydon et Isaiah Thomas), plusieurs éléments seront donc à suivre. Tout d’abord, ils pourront compter sur le nouvel arrivant Jerami Grant, qui ne sera pourtant pas le seul renfort de l’équipe. 2019-2020 marquera en effet les grands débuts de Michael Porter Jr, qui, en dépit de ses nombreuses blessures, représentera un évènement à suivre en NBA, lui qui était attendu comme un potentiel 1rst pick l’année précédant sa draft. Tandis qu’il sera intéressant de voir, en cas de blessures, si Jared Vanderbilt peut se faire une place dans le roster. Comme quoi, la stabilité relative n’empêche pas Tim Connelly et ses équipes de réserver quelques surprises. Affaire à suivre.