En ce 24 juillet 2019, Karl Malone souffle ses cinquante-six bougies. L’occasion pour nous de revenir sur l’histoire de ce joueur hors norme, qui marqua la Grande Ligue à l’encre noire indélébile.
I. Les prémices : et Karl devint “The Mailman”
A l’instar d’une multitude de joueurs NBA, la jeunesse de Karl Malone ne fut pas des plus heureuses. Dernier enfant d’une fratrie de neuf, élevé par sa mère et devant faire face au suicide de son père, le jeune homme a eu à surmonter des tonnes d’épreuves au cours de son adolescence. Rapidement, le Basketball devient son exutoire. Tout aussi rapidement, les scouts de la Louisiane remarquent le potentiel générationnel du jeune Karl, qui éclabousse la concurrence de son talent dès ses années au lycée. Trois années, au cours desquelles le lycée de Summerfield remporta, à chaque fois, le titre de Louisiane (classe C). Comme quoi, il est erroné de dire que Karl Malone n’a jamais rien remporté …
Souhaitant rester proche de sa mère, il pose ses baluchons universitaires à la Fac de Louisiana Tech. Aujourd’hui, dire que Malone reste dans la légende de l’Université est un euphémisme. Lorsqu’il pose ses fesses sur les bancs de la Faculté pour la première fois, Louisiana Tech n’a jamais connu la joie, l’engouement, du tournoi NCAA de première Division. Jusqu’alors, la Faculté a eu à se contenter de deux joutes en seconde division, en 1967 et 1971.
L’arrivée du grand et musculeux Karl (2m06 pour quelques 115 kilos, tout de même), va propulser Lousiana Tech dans une autre stratosphère. Adieu la seconde division et bienvenu parmi l’élite du Basketball universitaire. Entre 1983 et 1985, il va mener sa Faculté (pour laquelle il avait bien plus d’attirance basketballistique que scolaire, il faut bien avouer que le bonhomme semble bien souvent plus à l’aise avec ses mains qu’avec ses neurones) à la March Madness à deux reprises, lors de ses années sophomore et junior. En 1985, pour sa dernière année dans sa Louisiane natale, Malone va exploser les compteurs, à la fois individuels et collectifs. Il sera, pour la troisième fois, nommé dans la “All-Southland Team”, l’équipe-type de sa conférence universitaire.
Portée sur les épaules de son ailier-(très) fort, Louisiana Tech va réaliser le meilleur bilan de son Histoire (29 victoires pour 3 défaites) et verra son parcours historique être stoppé lors des “Sweet Sixteen”, en perdant 86 – 84 contre la Faculté d’Oklahoma.
Il semblerait – mais toutes les sources ne se rejoignent pas – que le surnom légendaire de Karl Malone date de sa période universitaire. Encore aujourd’hui, lorsqu’on en parle, on l’appelle “The Mailman”, c’est-à-dire “le facteur”. Un surnom d’une rare justesse, qui colle à la peau du gaillard. En effet, s’il était bien évidemment dominant physiquement et techniquement, Karl Malone a surtout construit l’intégralité de sa carrière sur une régularité sans faille. Celle-ci se retrouve non seulement dans ses performances statistiques, mais aussi et surtout dans sa capacité à disputer … 98,92 % des rencontres universitaires auxquelles il aurait pu prendre part.
Chose exceptionnelle, en dix-neuf années professionnelles au sein de la NBA, ce ratio de matchs disputés … va augmenter. Nous y reviendrons.
Après trois années fructueuses à la Faculté, conclues avec des statistiques flatteuses (18,7 points, 9,3 rebonds, 1,4 passe décisive, 1,6 interception de moyenne), Karl Malone se présente à la draft NBA de 1985. S’il sait pertinemment qu’il ne sera pas sélectionné avec le first pick (cette place revenant, tout le monde le sait, à Patrick Ewing), il est également sûr de ne pas glisser plus loin que le huitième choix. Il a en effet multiplié les rencontres avec les dirigeants des Dallas Mavericks, franchise qui possède le pick numéro 8. Selon les dires du grand Karl, une promesse lui aurait d’ailleurs été faite par les Mavericks.
Sa sélection par la franchise texane ne faisait plus l’ombre d’un doute, au point que le jeune joueur prenne l’initiative de louer un appartement à Dallas, avant même que la Draft ne se tienne. C’est dire si son entrée au sein du roster des Mavericks était gravée dans la roche.
“Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent”, disait en son temps Henri Queuille, ancien ministre français des IIIème et IVème République. Un dicton que Malone n’avait manifestement pas à l’esprit au moment de louer son appartement. Puisqu’effectivement, le 18 juin 1985, la Draft qui se déroulait à New-York n’allait pas se passer comme prévu.
Enfin pas totalement. Patrick Ewing allait bien être sélectionné en premier par les Knicks. Furent ensuite appelés, entre autre, Xavier McDaniels (4ème, à Seattle) et Chris Mullin (7ème, à Golden State). Dans la Green Room, où les jeunes prospects attendent d’être appelés, Karl Malone sent son heure arriver, puisque c’est désormais à Dallas d’annoncer son choix. Quelle ne fut pas la stupeur du bonhomme lorsque David Stern, commissionnaire NBA de l’époque, énonça :
“With the 8th pick in the NBA draft 1985, the Dallas Mavericks select … Detlef Schrempf”.
Un coup de bambou – déjà ! – sur son crâne, et le joueur avouera bien plus tard qu’il n’a jamais pardonné les dirigeants des Mavericks de l’époque. Le choix des Mavericks est d’ailleurs digne des plus gros What If, puisque si la promesse faite à Malone avait été respectée, il y a fort à parier que, treize années plus tard, la franchise n’aurait pas été intéressée pour récupérer Dirk Nowtizki, légende parmi les légendes.
Ce que Malone ne sait pas encore, c’est que la défection de Dallas allait, indirectement, lui permettre de se bâtir une carrière absolument exceptionnelle. Il fut appelé en treizième position, sélectionné par la franchise de Utah. Une destination certes peu glamour, mais où l’attendait alors John Stockton, son camarade de toujours.
Et s’il n’est manifestement pas très prompt au pardon, Karl pourrait aujourd’hui s’adonner aux remerciements. La “trahison” des Mavericks lui a permis de devenir, ni plus ni moins, qu’une légende de la NBA.
II. La carrière NBA : Docteur Karl, Mister Malone
A. L’incroyable Docteur Karl
L’entière carrière de Karl Malone peut être comparée à une pièce à deux facettes. Côté pile, Karl est un joueur infatigable, un scoreur inlassable, un rebondeur hors norme. Il forme ce qui peut être considéré comme l’un des meilleurs duos jamais aperçu sur les parquets NBA. Disons-le, il est l’un des quoi … vingt ? meilleurs joueurs de l’Histoire de la Grande Ligue, tout simplement. Côté face, Malone est un homme vicieux – voire méchant -, dont les interventions hors parquet n’ont pas toujours brillé par leur pertinence.
Fort heureusement pour l’homme, et pour le basket en général, c’est bien souvent le côté pile qui est mis en avant. Et cela, dès la saison rookie, conclue avec une première participation en playoffs. De toute manière, disons-le immédiatement : en dix-neuf ans de carrière, Karl Malone a toujours terminé la saison régulière avec un bilan positif, et à toujours disputé les playoffs. Rappelons tout de même qu’il n’a connu que la conférence Ouest …
Coaché par Frank Layden, qu’il considère comme un père, le rookie s’adaptera au niveau NBA à vitesse grand V. S’il ne finira “que” troisième au vote du rookie de l’année (trophée remporté par Patrick Ewing … comme quoi il est erroné de dire qu’il n’a jamais rien remporté …), l’intégration de Malone au sein de l’effectif du Jazz est parfaite. Dans une franchise où le joueur phare est Andrian Dantley, scoreur absolument dingue (29,9 points de moyenne depuis le début de la décennie), le jeune colosse prend très rapidement ses marques, au point de disputer 76 de ses 81 rencontres en tant que titulaire.
La première saison régulière de Malone se termine avec les statistiques suivantes : 14,9 points, 8,9 rebonds, 2,9 passes décisives et 1,3 interception. Des statistiques qui permettent au rookie du Jazz de figurer dans la first rookie team. Et pourtant, il n’avait pas tout montré lors de cette saison régulière, et réalisera un pas de géant lors du premier tour des playoffs 1986, perdu sur le score de 4 – 1 contre … les Dallas Mavericks, cela ne s’invente pas.
Animé par un esprit revanchard, Malone va bousiller la raquette des Mav’s. Orphelin d’Adrian Dantley, blessé, le Jazz remet les clefs de son attaque dans les mains de son ailier-fort. Qui va bien lui rendre. 23 points lors du game 1, 31 lors du game 2. S’il ne parviendra pas à éviter l’élimination de son équipe, Malone a pris rendez-vous avec l’avenir. Un avenir faste, qui s’étendra sur dix-huit saisons.
A l’aube de la saison 1986 – 1987, le joueur a 23 ans et s’apprête à entamer sa seconde saison NBA. Il est surtout sur le point d’écrire la première ligne d’une performance exceptionnelle, celle d’inscrire au moins 20 points de moyenne lors de dix-sept saisons consécutives. Il faut bien avoir à l’esprit que rares sont les joueurs à avoir disputé dix-sept saisons NBA (une grosse soixantaine), mais il n’y a qu’un seul autre joueur à avoir scoré 20 points lors de dix-sept saisons d’affilées : Kareem Abdul-Jabbar. Le duo deviendra probablement un trio l’an prochain, puisque LeBron James est à une saison d’entrer dans le cercle de Malone et Jabbar.
La fin de la décennie 1980 est le théâtre d’une lente et inarrêtable montée en puissance de Karl Malone, qui s’impose comme étant le meilleur ailier-fort de la Ligue. Sans l’émergence, dix années plus tard, d’un tout jeune Tim Duncan, nous pourrions même considérer que la légende du Jazz soit le meilleur ailier-fort de l’Histoire.
Toujours secondé par un John Stockton chirurgical, Malone va rouler sur une Ligue alors composée des Celtics de Bird, des Lakers de Magic Johnson et Kareem Abdul-Jabbar, des Bulls de Jordan ou encore des Pistons d’Isiah Thomas. Au point de figurer, dès sa saison sophomore, dans le classement des votes du MVP (12ème en 1987, 3ème en 1989, année au cours de laquelle il sera élu MVP du All-Star Game pour la première fois).
Avec la saison 1989 – 1990, Karl Malone termine sa cinquième saison sous le maillot du Jazz. Statistiquement, c’est certainement la saison la plus aboutie de sa carrière (31 points, 11,1 rebonds, 2,8 passes décisives à 56 % au tir). Il est d’ailleurs l’un, si ce n’est le, des joueurs les plus dominants du début d’année 1990. Le passage à la nouvelle décennie est ainsi marqué de son sceau, puisqu’entre le 22 décembre 1989 (déplacement à Charlotte) et le 27 janvier 1990 (réception de Milwaukee), the Mailman va scorer 35 points de moyenne à 64 % au tir sur dix-sept rencontres. Il est ainsi le dernier joueur a avoir scoré au moins 50 points lors de la décennie 1980 (52 points contre les Hornets, dans une victoire tranquille du Jazz), avant d’être le premier à inscrire au moins 50 points lors de la décennie 1990 (61 points contre les Bucks).
61 points, c’est d’ailleurs le record au scoring de Karl Malone. Ce chiffre n’est pourtant qu’une partie de la performance hallucinante du facteur lors de cette rencontre. Le Jazz écrase les Bucks sur le score de 144 – 96. Stockton délivre 16 passes décisives, mais tout le monde s’en fout, tant la prestation de Malone est lunaire. 61 points, certes, accompagnés de 18 rebonds (dont 9 offensifs !) à 21 / 26 au tir et 19 / 23 aux lancer-francs. Bientôt trente ans plus tard, cette prestation est encore citée parmi les plus grandes performances all-time en saison régulière.
Le talent et la domination de Docteur Karl ne sont plus à prouver. Le surnom qui lui a été octroyé à l’Université est plus que jamais d’actualité aux termes de ses cinq premières saisons. Le facteur est toujours au poste. Il distribue les performances à 25 points & 10 rebonds tous les soirs. Sans rater de rencontres, ou presque. Trois petites rencontres loupées entre 1986 et 1990, un total à faire pâlir les stars d’aujourd’hui, bien souvent laissées au repos par leur coach.
Le repos ? Karl Malone crache d’ailleurs dessus :
“Si tu n’as pas au moins 10 ans d’expérience, ramène tes fesses sur le terrain ! Ce n’est pas un boulot, c’est du jeu. D’ailleurs, demandez à nos fonctionnaires, aux policiers ou encore aux secours de se reposer. Ils ne peuvent pas !”
Alors que Karl enfile les saisons régulières à 82 rencontres disputées, le Jazz monte en puissance dans la hiérarchie de la conférence Ouest. Les résultats de la franchise de Salt Lake City sont liés à la connexion parfaite qui existe entre son meneur et son ailier-fort.
Lorsqu’on parle de Malone, impossible de ne pas consacrer quelques paragraphes à son compère de toujours, celui qui lui a distribué des passes décisives par paquets de cent.
Stockton-Malone, c’est l’Histoire d’un duo inséparable, ou presque. Ensemble, les deux joueurs ont bouleversé les records statistiques jusqu’alors connus en NBA. Et cela en utilisant à la perfection une tactique : le pick and roll. Karl Malone, en gros malabar qu’il est, vient poser un écran à son meneur au physique de Monsieur tout le monde. Une fois l’écran posé, Stockton faisait jouer sa vision du jeu hors du commun, pour passer la balle à au facteur, lancé comme un bulldozer vers le cercle. Paf, deux points. Encore et encore, jusqu’à plus soif. Une pratique élevée au rang d’art, tant les deux joueurs la maîtrisait à merveille.
Si la doublette composée par Michael Jordan et Scottie Pippen est légitimement considérée comme la meilleure de l’Histoire, tant ses accomplissements sont inégalables (6 titres, deux three peat), jamais la NBA n’a vu un duo évoluer avec une alchimie similaire à celle de John Stockton et Karl Malone. Le comptable et le facteur. Une synergie qui va, petit à petit, porter le Jazz vers les finales de conférence, enfin, puis vers les finales NBA.
A l’été 1992, alors que la majorité des joueurs de la Grande Ligue profitent de leur été pour couper les ponts avec le monde professionnel grâce à des vacances bien méritées, Karl Malone va s’envoler pour l’Europe, destination Barcelone et les Jeux Olympiques. Il fait en effet partie de la plus incroyable équipe qu’une salle de Basket ait eu l’occasion de voir jouer : la Dream Team de 1992. Le casting est fabuleux et va donner un immense coup de projecteur sur ce sport qu’est le Basketball. Il faut dire que voir Magic Johnson à la mène, Michael Jordan au poste d’arrière, Larry Bird et Karl Malone dans les ailes et David Robinson sous le cercle peut donner envie à quelque jeunes de se lancer dans la pratique du panier-ballon.
Les Etats-Unis remporteront – bien entendu – la médaille d’or Olympique. Chuck Daly, le coach, n’aura pas pris un seul temps mort de toute la compétition. Malgré cela, les USA gagneront très largement l’ensemble de leurs rencontres, avec un écart moyen de … 44 points. Circulez, il n’y a rien à voir. Enfin si, les Rois en démonstration.
Si l’année 1992 lui a permis – enfin ! – de remporter un trophée collectif, la saison 1993 – 1994 va contribuer à enrichir sa ribambelle de titres individuels. Sélectionné pour la sixième fois au All-Star Game (sixième fois consécutive d’ailleurs, pour quatorze participations au total), Malone va s’illustrer en terminant la rencontre avec 28 points et 10 rebonds, dans une courte victoire de l’Ouest face à son ennemi de l’Est (135 – 132). Une performance qui lui vaudra de remporter, une nouvelle fois, le titre de MVP du All-Star Game.
Il ne sera néanmoins pas seul à soulever le trophée. Comme un symbole, John Stockton sera nommé co-MVP de la rencontre. Le duo, connecté à merveille sous les couleurs blanche et violette du Jazz, devient officiellement inséparable. Et la photo qui fige ce moment dans l’éternité deviendra absolument mythique.
Karl Malone sillonne la NBA depuis désormais huit saisons et approche de la trentaine d’années. Et si les échecs collectifs vont venir ternir l’image de sa carrière (nous en parlerons dans une troisième partie), il va, tel un bon vin, prouver qu’il était encore capable de s’améliorer avec l’âge. Une fois le vénérable âge de 30 ans atteint, Karl Malone va tout simplement continuer à faire du Karl Malone. Voyez plutôt :
25 points, 10 rebonds. 25 points, 10 rebonds. 25 points, 10 rebonds. Certains comptent les moutons pour trouver le sommeil, nul doute que l’ami Karl se répétait en boucle cette douce litanie. 25 points, 10 rebonds, inlassablement. Et alors que la planète basket sait désormais depuis un moment qu’il n’y a pas grand chose à faire pour l’empêcher de réaliser ses statistiques favorites, le bestiaux va, encore une fois, prouver qu’il a énormément de ressources.
Alors que l’on pensait que la plus belle partie de sa carrière était derrière lui (à 33 ans, c’est légitime), il va prouver au monde entier qu’il fallait encore compter sur lui … une petite dizaine de saisons, rien que ça. La longévité, la résistance et l’hygiène de vie de Malone sont encore aujourd’hui érigées en modèle suprême. A l’issue de la saison 1995 – 1996, l’ailier-fort a 33 ans et il s’avère qu’il venait seulement de clôturer la première partie de sa carrière.
Le second volet de la vie sportive de Karl Malone reprend les grands préceptes du premier. 25 points, pick and roll, 10 rebonds, 82 rencontres. Il est clair qu’il aurait fait un très mauvais scénariste, tant il laissait peu de place à la surprise. A défaut d’offrir des scénarios pleins de rebondissements, l’ami Karl se taille une part de mammouth dans le NBA Guinness Book des records. Petit à petit, on voit l’animal pointer le bout du museau dans les classements des meilleurs scoreurs, des meilleurs rebondeurs, des meilleurs intercepteurs, des joueurs ayant disputé le plus de rencontres de saisons régulières …
Mieux encore, la saison 1996 – 1997 va donner un coup d’éclat à la carrière de Karl Malone. A l’issue de la saison régulière, il se voit offrir la plus belle des récompenses individuelles, en étant nommé MVP. Je ne vous ferai pas l’affront de vous donner les moyennes statistiques du bonhomme. Ce trophée vient récompenser la sublime saison du Jazz, premier de la conférence Ouest avec 64 victoires (meilleure saison de l’Histoire de la franchise). A noter quand même qu’à ce jour, il est toujours l’unique joueur à avoir été élu MVP sous les couleurs du Jazz. Mieux encore, hormis Pete Maravich, troisième du vote en 1977, aucun joueur de Utah n’a figuré dans le top 3 du vote du MVP depuis la création de la franchise. Aucun, sauf un certain facteur, qui a réalisé la performance à … cinq reprises.
Alors qu’il arrivait proche de sa trente-quatrième année, Malone s’offrait une seconde jeunesse. La cure de jouvence allait d’ailleurs encore durer deux saisons. Après son exploit de 1997, il va terminer second du MVP 1998, juste derrière l’intouchable Michael Jordan. Il faut dire que l’ami Karl a bien déconné lors de cette saison 1997 – 1998, puisqu’il ne disputera que 81 rencontres sur les 82 programmées. Ainsi, en treize saisons, Malone a désormais loupé … 5 rencontres de saison régulière. Soit 0,47 % des matchs. Avec 25 points et 10 rebonds de moyenne. Tout en ayant un jeu bien peu économe en énergie. Le facteur est un surhomme.
Ah oui, dernière précision. Malone fut le dernier joueur à planter 50 points sur la décennie 1990 : 56 points contre les Golden State Warriors le 7 avril 1998, à presque 35 ans. La boucle est bouclée.
ET C’EST PAS FINI, dirait la dame à la robe blanche et verte. La saison 1998 – 1999 va être largement écourtée en raison d’une grève qui ne se terminera que le 18 janvier 1999. Malone disputera 49 des 50 rencontres de la saison (on sent qu’il commence à vieillir, il rate un match de temps en temps). Le Jazz terminera second de la conférence Ouest (avec le même bilan que les Spurs, premiers), et son franchise player sera, une nouvelle fois, élu MVP de la saison. A 35 ans.
Il est toujours le joueur le plus âgé à avoir remporté ce trophée. En un sens, c’est peut-être cette récompense qui illustre le mieux la carrière entière du grand Karl. Une récompense propre à la saison régulière, qui, en plus de cela, démontre sa régularité au très, très haut niveau.
Docteur Karl jouera en NBA jusqu’à l’âge de 40 ans. Lors de sa dernière saison sous le maillot de Utah (son avant-dernière en carrière), à 39 ans, il tournait encore en 20 points et 8 rebonds. Et malgré une dernière saison minée par une blessure, une fois n’est pas coutume, sa carrière est sans conteste l’une des plus réussie de l’Histoire, pesons nos mots. L’exposé des accomplissements du bonhomme vaut plus que tous les superlatifs du monde.
- MVP en 1997 et 1999,
- 11 fois d’affilées dans la All-NBA first team entre 1989 et 1999 (un record co-partagé avec Kobe Bryant). Aujourd’hui, seul LeBron James possède plus de nomination que Malone (12 en tout),
- All-NBA defensive team en 1997 et 1999 (car on ne l’a pas, dit, mais il ne faisait pas que scorer, il défendait le plomb également),
- MVP du All-Star Game en 1989 et 1993,
- 14 sélections au All-Star Game,
- Membre des fifty Greatest, ces 50 meilleurs joueurs de l’Histoire, nommés lors du All-Star Game 1996,
- Deux fois intronisés au Hall-of-Fame, à titre personnel et en tant que membre de la dream team 1992,
- Légende absolue du Utah Jazz, dont le maillot (numéro 32) a été retiré.
Voilà pour les titres et distinctions individuelles. Pour terminer ce long chapitre consacré à Docteur Karl, il est désormais un devoir de citer quelques chiffres, puisque grâce à sa régularité et à son niveau de jeu exceptionnel, il s’est hissé quasiment au sommet de plusieurs classements de la NBA.
- Second au classement du meilleur scoreur avec 36 928 points. Seul Kareem Abdul-Jabbar est aujourd’hui devant Karl Malone,
- Septième au classement du meilleur rebondeur avec 14 968 rebonds. Dans la NBA dite “récente” (depuis les années 1980, disons), seul Tim Duncan a avalé plus de rebonds que Karl Malone,
- Second au classement du meilleur rebondeur défensif, avec 11 406 rebonds. Seul Kevin Garnett est aujourd’hui devant Karl Malone,
- Onzième au classement du meilleur intercepteur avec 2 085 interceptions. Il est le second intérieur de ce classement, derrière Hakeem Olajuwon,
- Sixième au classement du nombres de rencontres disputées en carrières, avec 1 476 matchs.
Derniers chiffres, pour la route. A vous de trouver la réponse à la question suivante : Quelles sont les moyennes en carrière, au point et au rebond, de Karl Malone ? 25 points et 10,1 rebonds, bien entendu. Félicitations, vous remportez l’équivalent de votre poids en cure-dent.
Voilà, Karl Malone c’était tout ça. Des records en pagaille, une régularité folle et une légende vivante. Néanmoins, l’homme possède aussi une part d’ombre, qu’il a alimenté tout au long de sa carrière, et sur laquelle il est nécessaire de désormais se pencher.
B. Le détestable Mister Malone
Nous l’avons évoqué, Malone a eu la bonne idée de plus souvent montrer son côté lumineux, par son talent incroyable. Revenons tout de même sur quelques “incidents”, qui sont encore aujourd’hui restés en mémoire de la majorité des observateurs.
Commençons par un fait établit. Karl Malone était un joueur vicieux. Il a distribué autant de coup de coude qu’il n’a marqué de points. Se bagarrer au rebond avec lui, c’était être certain de se faire chatouiller les côtes. Se brouiller avec lui, c’était frôler l’inconscience. Ce n’est pas pour rien que le gaillard s’est rapidement fendu d’une carrière de catcheur. Malone aime la castagne. Au point que des tops de ses plus beaux coups fleurissent sur Youtube.
Et en première place de ces tops, il est un coup de coude que le monde de la NBA n’est pas prêt d’oublier. Le 14 décembre 1991, le Jazz de Utah affrontait les Bad Boys de Détroit. Sur le parquet, la rencontre entre les deux franchises était équilibrée. Mais il existait un match dans le match. Une sorte d’Inception du basket.
Au début de la saison 1991 – 1992, les douze joueurs retenus pour participer aux Jeux Olympiques de Barcelone ont été dévoilés. Parmi eux, Karl Malone, bien entendu, mais aussi John Stockton, qui accompagne Magic Johnson au poste de meneur. Un affront pour Isiah Thomas, meneur des Pistons, qui pouvait très légitimement prétendre à une place au sein de la Dream Team. Sauf que plusieurs joueurs, Jordan, Magic, Pippen (entre autres) se sont prononcés contre Isiah Thomas, qui a donc été laissé à la maison.
Lors de la première rencontre de la saison entre Utah et Détroit, Isiah Thomas passa donc ses nerfs sur John Stockton. 44 points sur la tronche du meneur de la Dream Team.
Et ça, Karl Malone ne l’a pas oublié. Un mois après, pour les retrouvailles avec les Pistons, il est bien décidé à remettre Isiah Thomas à sa place. Et il n’y est pas allé de coude mort. Âmes sensibles, s’abstenir, voici peut-être la pire faute que la NBA ait connue.
Quarante-sept points de suture pour Isiah Thomas, qui ratera dix jours de compétition. Son agresseur, lui, écopera d’une amende de 10 000 dollars et sera suspendu une rencontre. Mais le mal était fait, et l’image de Malone a pris un coup tout aussi violent que celui qu’Isiah Thomas a pris en pleine poire. Ce geste est toujours qualifié par le lutin de Détroit comme “le pire geste d’enfoiré de l’Histoire du Basketball”, rien que ça.
La carrière de Malone sera émaillée de gestes violents, bien que celui-ci soit incontestablement sur la première place du podium. Au point que Mister Malone soit “élu” parmi les dix joueurs les plus sales de l’Histoire de la NBA par le média Bleacherreport. Un coup d’oeil au classement et vous verrez que John Stockton figure quant à lui à la cinquième position.
En dehors des parquets, l’ailier-fort de Salt Lake City s’est à plusieurs reprises fendus de paroles, voire d’actes, qui peuvent être au mieux considérés comme étant dispensables et hors propos, au pire comme étant pénalement répréhensibles.
On pense bien entendu en premier lieu au discours qu’il a tenu au sujet de Magic Johnson, une fois que celui-ci avait révélé sa séropositivité au grand jour. Alors que Magic souhaitait faire son grand retour en NBA au début de la saison 1992 – 1993, plusieurs voix s’élèvent contre ce come-back, Karl Malone en tête :
“Son come-back ne me fait rien, je ne suis pas un fan […]. Son retour peut faire du bien au basketball, mais il faut voir plus loin que ça. Vous avez un tas de jeunes joueurs qui ont encore une longue vie à vivre […]. Regardez toutes les croûtes et les coupures que j’ai sur moi. Des trucs comme ça, j’en ai tous les soirs, à tous les matchs. Ils ne peuvent pas dire qu’il n’y a aucun risque (de transmission du VIH)”.
Certes, les recherches scientifiques et la prévention du VIH n’étaient pas, en 1992, aussi poussées qu’elles ne le sont en 2019. Il n’en reste pas moins que Malone, pourtant coéquipier de Magic lors des Jeux Olympiques la même année, a prouvé à la Terre entière qu’il ne tournait pas sa langue à sept reprise dans sa bouche avant d’en sortir des énormités.
Ajoutez à cela des prises de position très marquées en faveur du lobby pro-arme (NRA) aux Etats-Unis, et vous parviendrez à cerner l’Homme qu’était Karl Malone.
Voilà pour les éléments dont le facteur aurait pu se passer au cours de sa carrière. Pour ce qui est du pénalement répréhensible, rappelons que lors de sa période universitaire, il laissa enceinte une jeune fille de treize ans, sans reconnaître l’enfant. Et lorsqu’en 1986 (il jouait déjà en NBA, pour rappel), un juge fixa la pension alimentaire à 125 dollars par semaine, Malone fera traîner l’affaire en justice car il estimait cela … trop cher.
Ne nous attardons pas plus sur la face sombre de la pièce. Il est simplement nécessaire d’avoir à l’esprit que derrière l’homme se cache un joueur absolument extraordinaire. Mais que derrière celui-ci se cache un homme au comportement discutable. Docteur Karl, Mister Malone.
III. Le bilan : immense joueur ou énorme looser ?
Pour l’heure, tout un pan de la carrière de Malone a été volontairement éludé. Vous qui ne connaissez pas forcément le bonhomme, vous pouvez vous demander : au final, il a gagné des titres ?
Et bien non. Le mariage entre Stockton et Malone n’a jamais eu sa bague. Ce dernier fait partie d’un groupe d’immenses stars, qui ont dominé sans vergogne la Grande Ligue, mais qui n’ont jamais remporté de titre NBA. Il est accompagné d’Elgin Baylor, Patrick Ewing ou encore Charles Barkley. Cela se prête à débat, mais de mon point de vue, Karl Malone est le meilleur joueur de l’Histoire à ne pas avoir gagner de bague.
Pourtant, bien calé sur ses épaules musculeuses, le Jazz a visité les finales de conférence. Parfois dans la défaite, comme en 1992, contre les Blazers de Clyde Drexler, ou en 1994, contre les Rockets (futurs vainqueurs) d’Hakeem Olajuwon. Et lorsque le cap des finales de conférence ont été passés, en 1997 et 1998, ce sont les Bulls de Michael Jordan, Scottie Pippen et Dennis Rodman qui se sont chargés de stopper le Jazz dans sa quête du titre. Des défaites logiques (4-2 à chaque fois), mais douloureuses. Surtout celle de 1998.
Lors du game 6, à 20 secondes de la fin de la rencontre, le Jazz mène 86 – 85 et à la balle en main. John Stockton sert Karl Malone au poste. Dans les mains du facteur se trouve peut-être la balle de match, celle qui propulsera le Jazz vers un game 7 décisif. Et bien non. Michael Jordan viendra subtiliser la gonfle dans les mains de Malone (quinzième seconde de la vidéo ci-dessous) et ira inscrire le tir l’un des tirs les plus iconiques de sa carrière, son dernier avec les Bulls. 87 – 86, Chicago remporte son troisième titre consécutif, et le Jazz vient de griller la dernière de ses cartouches. Jamais plus la franchise de Salt Lake City ne retournera en finale NBA. Fichu Jordan.
A la fin de la rencontre, Scottie Pippen sortira l’une de ses plus belles punchlines :
“Le facteur ne travaille pas le dimanche”.
Et rappelons que pendant la première retraite de Jordan (1994 et 1995), le Jazz n’a pas su profiter de l’absence de sa Majesté, en se faisant éliminer au premier tour des playoffs 1995 par des Rockets qui avaient pourtant foirés leur saison régulière. Le train est donc passé plusieurs fois, mais le facteur a préféré sa bicyclette.
Cela a été dit, mais Malone n’a pas terminé sa carrière dans sa franchise de toujours. Il effectuera une dernière pige aux Lakers, pour former un quatuor fantastique (sur le papier) avec Shaquille O’Neal, Kobe Bryant et Gary Payton. Ultra-favoris des bookmakers, les Lakers iront bel et bien en finale NBA, mais seront violemment stoppés par les Pistons de Chauncey Billups et des Wallace Brothers. On peut se dire que même la loose possède ses propres limites. C’est d’ailleurs véridique pour l’immense majorité des superstars qui ont un jour évolué en NBA. Mais pour Karl Malone, le coefficient “poisse” semble proche de l’infini.
Trois finales NBA, trois défaites, zéro bague. Pour répondre à la question posée par le titre de cette partie, je répondrai : les deux. Bien évidemment, Karl Malone est un immense joueur, et j’espère que cet article l’énonce suffisamment. Il est également un énorme looser, du moins du point de vue collectif. Avec le recul, nous pouvons nous dire que l’association Stockton-Malone-Jazz aurait mérité de rafler une bague au milieu des années 1990. Il n’en fut toutefois rien.
Malgré tout ça, joyeux anniversaire, Karl Malone !