Lorsque Paul George est parti, que l’échange imminent de Russell Westbrook est apparu comme une évidence, plusieurs équipes se sont placées en pôle position. Parmi ces équipes, les Houston Rockets. Je dois pourtant dire que cette piste ne m’a pas paru parfaitement sérieuse. Comment monter cet échange ? En incluant Chris Paul ? Mouais. Celle du Heat en revanche me semblait beaucoup plus crédible. Jimmy Butler venait d’arriver, Goran Dragic avait un contrat expirant, tout cela paraissait s’imbriquer à la perfection… Ok, OKC avait reçu plusieurs picks du Heat dans l’échange de George aux Clippers, mais de là à gêner le transfert, tout de même…. Il faut toutefois reconnaître que Miami n’avait pas l’effectif idéal pour entourer Russ-West. Surtout que le trade appauvrirait sûrement encore plus l’effectif en shooteur. Et néanmoins, en dépit de ces barrières, quelque chose semblait naturel là-dedans. D’autant que le joueur était annoncé partant pour rejoindre le Heat. Imaginer son tandem brut de décoffrage avec Butler, Spoelstra à la baguette pour le diriger, il y avait comme un goût de piment, quelque chose de spécial.
Sauf que hier matin, au réveil, la gifle. Westbrook rejoignait James Harden à Houston contre Chris Paul et des tours de draft. Bon sang.
Évidemment, cette paire avec son ancien coéquipier a de quoi faire couler de l’encre avant même de les voir fouler les parquets. De par leur caractère respectif, mais aussi le caractère de leur jeu, difficile de rester insensible à cette addition. Sur le plan émotionnel, ne pas être intrigué, voire impatient, serait étonnant. Sur le plan tactique, pas facile d’ignorer les alarmes qui s’allument et les possibles incompatibilités de ce duo.
Dans l’autre sens, Sam Presti fait partir ses deux meilleurs joueurs contre une flopée de tours de draft, mais problème, également contre le salaire de Chris Paul, qui s’étale encore sur 3 années alors que le joueur arrive au crépuscule de sa carrière. De là à faire penser que le General Manager du Thunder a perdu le mojo ? On va également en discuter.
Russell Westbrook à Houston, verdict ?
Depuis 2 ans maintenant, les Rockets s’appuient sur l’isolation pour porter leur attaque. Derrière un James Harden repoussant les limites chaque saison, la franchise pratique un jeu qui fait jaser mais dont l’efficacité n’est plus à démontrer. Pour suppléer le barbu, Daryl Morrey avait fait main mise sur Chris Paul. Formant un duo renversant en première année, la sauce semblait prendre et offrir des perspectives réjouissantes pour l’avenir. A moins que Paul ne décline, à moins que Chris ne braque la banque.
La seconde année ne fut pas aussi impressionnante. La faute aux blessures évidemment, qui ont hypothéqué le début de saison. La faute aussi à un vestiaire qui subit des vagues. Entre le départ d’Ariza, les remous avec Carmelo et la perte de Jeff Bzdelik, coordinateur défensif de la franchise, le bateau tangue. Pour rester à flot, les Rockets s’en remettent alors à un James Harden, glouton certes, mais stratosphérique. Résultat, quand l’effectif retrouve la forme, que Jeff Bzdelik revient en sauveur en cours de saison, la franchise retrouve un rythme de croisière plus que solide, finissant notamment meilleure équipe NBA de la seconde partie de saison.
Problème néanmoins, l’impact de Paul n’est plus ce qu’il était. Bien moins bon dans son rôle de seconde force en isolation, les Rockets arrivent en Playoffs avec beaucoup moins de certitudes. Là où en 2017-2018 le joueur pesait (par possession) 1,10pts en SR et 1,17pts en PO sur “iso”, il ne mettait plus que 0,92pts en SR et 0,86 en PO cette saison. Un détail ? Non, une catastrophe au moment d’aborder les Playoffs et ses joutes tactiques.
En dépit d’une équipe des Warriors minée par les blessures durant toute la post-saison, la franchise rate le coche, ce qui ne tarde pas à créer un vent amer. On entend parler de discorde entre Harden et Paul, d’une relation quasi conflictuelle entre Mike D’antoni et ses dirigeants, alors que tout son staff est prié de prendre la porte. Certains joueurs semblent enclins à remettre en question le système du coach, “trop statique”, selon les dires d’un certain CP3.
Aussi, c’est sans véritable surprise que l’on a accueilli les déclarations estivales, désormais habituelles, de Daryl Morrey : l’envie de saisir n’importe quelle occasion pour renforcer l’équipe. Personne autour du barbu ne semble indispensable et on imagine sans mal que le meneur est mis sur la scelette. Au point de réussir le pari de l’éjecter ? Visiblement oui. C’est ainsi que la franchise lâche plusieurs tours de draft en plus du meneur pour récupérer un autre joueur sujet à controverse : Russell Westbrook.
Et maintenant ? Que penser ?
De toute évidence, James Harden a joué un rôle dans le choix de récupérer le meneur supersonique du Thunder. Anciens coéquipiers dans leurs jeunes années à OKC, la relation entre Harden et ses ex-comparses est restée intacte. C’est ainsi qu’on apprend que le barbu a poussé en coulisse pour retrouver Westbrook. Néanmoins, si l’alchimie a existé, reste à voir si la compatibilité puisse être, aujourd’hui, plus évidente qu’avec Paul. Ce dont on peut être tenté de répondre… Non.
En effet, là où Chris Paul est un joueur complet, capable d’évoluer aussi bien en porteur de balle que sans le ballon, Westbrook n’a qu’une de ces cordes à son arc. De fait, là où Harden et Paul était susceptibles de se relayer à la perfection (à partir du moment où les deux joueurs le souhaitaient… ahem…), le schéma semble moins flexible avec ce nouveau coéquipier. En effet, à moins de se réinventer, Westbrook a montré une réelle incapacité à évoluer efficacement sans posséder la gonfle, d’autant qu’il n’est pas un excellent shooteur. La saison dernière, il affichait un un très faible 46,6% d’eFG%, dont un famélique 29% à 3pts, pourtant véritable clé de voûte du système des Rockets. Là où Paul pouvait exceller dans ces domaines.
En outre, ce sont deux joueurs qui ont USG% très élevé qui vont devoir cohabiter. Ce qui génère toujours des inquiétudes et indique notamment que Houston pourrait rester sur un jeu basé sur la faculté de ses deux principaux leaders pour faire la différence par eux-même. Sauf que, nouveau “hic”, Westbrook est un piètre joueur dans l’art de l’isolation, comme l’attestent ses 0,75pts par possession sur l’exercice de l’an passé. Un chiffre très bas, pas aidé par une blessure en début de saison qui l’a laissé visiblement diminué. Certes, mais le numéro 0 n’a jamais été solide sur cet aspect du jeu en carrière.
Enfin, dernière inquiétude, le rendement défensif de la paire Westbrook-Harden qui n’a jamais été des plus flatteurs, et pourrait donner une défense extérieure poreuse dans certaines configurations.
Néanmoins, nous sommes aussi peut être à l’aube d’ajustements salvateurs. Car si Westbrook est aussi décrié, c’est parce que son côté sombre est une tâche béante sur un apport qui peut être stratosphérique. Doté d’un physique hors norme, tout le challenge de la carrière de “Brodie” a été celui de ces héros possédant un pouvoir trop grand : apprendre à le maîtriser. Capable d’impacter le jeu d’une multitude de manière pour un meneur (scoring, rebond, passe, accélération du tempo…), il a souvent pêché en essayant d’être trop, d’en faire trop. Dans son attitude, on peut parfois retrouver le même reproche fait à Carmelo Anthony, celui de chercher à tirer le rideau sur soi, avec trop de véhémence. Mais voilà, on parle aussi d’un joueur au volume sans précédent (ou presque) dans l’histoire de ce sport, qui n’a jamais vraiment eu de coach de renom pour le diriger.
Tout critiqué que soit Mike D’antoni, il fait partie du gratin de la NBA et a mis en avant tous les meneurs qui sont passés sous ses ordres. Des plus exceptionnels (Steve Nash), aux plus banals (Chris Duhon). Imaginer Westbrook avec un coach capable de tirer le meilleur de son potentiel a des allures très séduisantes. D’autant que s’ils se croiseront souvent sur le terrain, l’optique de ce duo avec Harden est de faire évoluer les deux au relais l’un de l’autre. Houston pourrait alors avoir deux visages et devenir d’autant plus imprévisible, notamment car leurs styles sont éclectiques. Un espoir renforcé par l’évolution de Westbrook cette saison ; capable de se mettre en retrait pour laisser la lumière à un Paul George de haut vol. Malgré une saison chaotique, nous avions donc une sorte de Docteur Russell cherchant à trouver une version idéale de lui-même au profit son équipe. Une envie qui a malheureusement sombrée en Playoffs, où Mister Westbrook faisait irruption et transformait la série face aux Trail Blazers en une bataille d’égo avec Damian Lillard. Un piège qui aura coûté cher à l’équipe, rappelant les pires heures du joueur.
Cette volonté d’évoluer pourrait néanmoins être facilité par un coach ingénieux qui s’appuie sur un effectif qui a désormais ses automatismes. A condition toutefois qu’il sache se réentourer convenablement après avoir vu partir tout son coaching staff. Lorsque l’on voit ce qu’avait coûté la perte momentanée de Jeff Bzdelik, celle-ci couplée au reste du coaching staff a de quoi inquiéter à l’approche d’une saison charnière.
La reconstruction est en marche pour le Thunder
Sur les réseaux sociaux, les choix de Sam Presti pour entamer la reconstruction d’OKC inquiètent. Deux All-Stars ont pris la porte et, comme seul jeune joueur à haut potentiel, la franchise a obtenu Shai Gilgeous-Alexander. Comme autres joueurs, elle a obtenu deux vétérans : Chris Paul et Danilo Gallinari. Passons sur le fait qu’en l’état, la franchise pourrait proposer une saison tout à fait séduisante avec un roster cohérent et composé d’excellents joueurs et concentrons nous sur la question centrale : Sam Presti est-il devenu fou ?
Il est vrai, le Thunder n’a pas récupéré de jeunes à gros potentiel alors qu’il a cédé deux pièces estimées par la NBA. D’autant qu’en plus des 2 stars, Jerami Grant, ailier fort très estimé dans l’Oklahoma, a lui pris la direction des Nuggets. De quoi dire qu’ils sont des grands perdants de ces échanges… Hum… Patience.
Tout d’abord, faisons le point sur les contre-parties obtenues :
- 1er TDD des Nuggets 2020 (sans protection)
- 1er TDD du Heat 2021 (sans protection)
- Possibilité d’échanger son 1er TDD 2021 avec celui des Rockets
- 1er TDD des Clippers 2022 (sans protection)
- 1er TDD du Heat 2023 (protégé 1-14)
- Possibilité d’échanger son 1er TDD 2023 avec celui des Clippers
- 1er TDD des Clippers 2024 (sans protection)
- 1er TDD des Rockets 2024 (protection 1-14)
- Possibilité d’échanger son 1er TDD 2025 avec celui des Clippers
- Possibilité d’échanger son 1er TDD 2025 avec celui des Rockets
- 1er TDD des Clippers 2026 (sans protection)
- 1er TDD des Rockets 2026 (protection 1-4)
Le Thunder possèdera donc une multitude de choix de draft. Certains diront que certains des picks n’auront qu’un impact dans un futur lointain, et appartiennent à des équipes qui promettent, sur le papier, de réaliser de bons résultats : Nuggets, Clippers, Heat, Rockets. Oui, mais. Cela n’est pas si simple. Tout d’abord, OKC dispose en plus de ces tours de draft obtenus, de ses propres choix. Autrement dit, entre 2020 et 2026, Sam Presti possèdera 15 picks … au premier tour ! Et ce alors qu’il lui reste encore plusieurs joueurs intéressants à éventuellement évincer de l’effectuf : Steven Adams, Chris Paul, Danilo Gallinari, Dennis Schroëder. S’il sera compliqué de tirer quelque chose de certains, cela veut néanmoins dire que ce nombre de picks, déjà très élevé, est encore susceptible d’augmenter. Pour être franc, c’est même quasiment une certitude. D’autant que si la franchise libère du cap et s’éloigne de la luxury tax, elle pourra ensuite louer ce dernier pour… encore plus de choix de draft.
Surtout, il est important de se mettre d’accord sur un point : il est impossible de statuer sur la valeur d’un TDD des années avant qu’il ne soit utilisé. Les cycles en NBA tournent vite, a fortiori aujourd’hui, alors que les joueurs sont de plus en plus enclins à bouger et ainsi changer la trajectoire de projets dans leur globalité. Et pour preuve, il y a 2 semaines, l’objectif du Thunder était de se renforcer pour passer un cap en Playoffs. En une soirée, l’avenir de la franchise a été bouleversé, et on lorgnait du côté d’une reconstruction à long terme. De fait, difficile de parier sur le fait que, dans plusieurs années, les franchises en reconstruction (dont OKC), qui possèdent des tours de draft à foison, seront au sommet.
D’ailleurs, la décision de prendre des choix lointains confirme la volonté de Presti d’anticiper le déclin d’équipes forgées autour d’un grand nombre de vétérans (joueurs proches ou dans la trentaine). Un moyen aussi d’avoir en main l’avenir de ces équipes si elles devaient être amenées à se reconstruire.
Cette collection de choix va ouvrir le champ des possibles d’une belle manière pour les années à venir. Si on peut douter de la faculté de la franchise à se délester facilement (c’est-à-dire, sans attacher au joueur un tour de draft) du contrat de Chris Paul, le reste du roster peut s’avérer intéressant. Aussi, ces 15 picks forment un butin appelé à croître. De quoi faire rougir Sam Hinkie ou Danny Ainge. Que ce soit pour accélérer la construction, si OKC venait à former un jeune groupe de talent dans les années à venir, ou pour se donner le temps d’essayer de nombreux jeunes joueurs chaque saison, tout semble ouvert.
Dans une ligue où des contrats de plus en plus pesants dans le salary cap sont distribués, posséder des jeunes à bas prix pour 4 ans est une opportunité en or, car ils deviennent quasiment indispensables à la mise en place de projet compétitifs et durables. Ceci donnant naturellement une valeur croissante aux tour de draft. Ils représentent donc une valeur qui peut se négocier très cher et permettre des combinaisons qu’il est bien difficile d’envisager à ce jour, mais qui ne manqueront pas d’attiser la convoitise.
Fan du Thunder, si la politique de la terre brûlée ne fait que commencer, une bonne utilisation des assets accumulés mèneront sans doute à des jours meilleurs. De quoi se réconforter, alors qu’une structure longtemps en place se délite à un rythme effréné. Non, Sam Presti ne semble pas avoir perdu l’esprit. Certes ces picks n’évoquent qu’un avenir lointain, mais ils offriront de nombreux jokers dans un chantier qui pourrait être plus rapide que prévu. Et c’est une bonne nouvelle.
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L’échange de Russell Westbrook pourrait être le dernier séisme dans une intersaison qui aura vu la NBA ré-esquisser ses formes dans les grandes largeurs. Son départ marque également la fin d’une ère glorieuse pour la jeune franchise de l’Oklahoma, qui s’apprête à connaître le creux de la vague après une décennie des plus fastes. Nul doute que ce sacrifice était pourtant indispensable pour éviter de subir une longue et douloureuse reconstruction. Toujours est-il qu’elle permet la formation d’un duo qui risque de diviser les fans pour les années à venir. Le genre de scénario dont la grande ligue a le secret.