Dans quelques jours, c’est la grande messe annuelle de la draft ! Des dizaines et dizaines de jeunes joueurs vont voir leur rêve consacré, et leur nom sortir de la bouche d’Adam Silver. Si le premier nom qui devrait sortir ne fait pas de doute, ça n’empêche pas l’événement d’être attendu de pied ferme. Depuis déjà quelques semaines, voire des mois pour certains, les prospects sont analysés, décortiqués, de A à Z, les mock draft fleurissent de partout, et les fans s’interrogent sur le choix que fera leur équipe favorite le jour J.
Alors avant ce jour sacré, pourquoi ne pas se pencher un peu sur l’histoire de ce dernier ? Allez, en avant.
Au départ, une foire aux joueurs
Commençons par le commencement : ça vient d’où, cette idée de choisir des jeunes dans un ordre établi ?
En 1935, Josh Carr, le président de la ligue américaine de football, emprunte l’idée d’une “draft” au baseball, avec pour objectif de rétablir un peu la compétitivité dans sa ligue, dominée à l’époque par les mêmes grosses cylindrées chaque année. Car elle est là, l’essence même de la draft, la raison principale de son existence : redonner une chance aux équipes les plus faibles de se construire pour l’avenir, en sélectionnant les meilleurs jeunes du pays. A priori, l’idée semble bonne, voire même très bonne. Adieu la méritocratie, on aide les plus faibles, on fait tourner la roue de la gloire. En théorie.
La première draft NBA a eu lieu en 1947. Pour être plus exact, cette première draft concernait la BAA , la Basketball Association of America, qui allait devenir plus tard la NBA grâce à la fusion avec la ABL, l’Americain Basketball League. Au début des années 50 vous vous doutez bien que la NBA ne compte pas comme aujourd’hui 30 équipes. On vous parle ici d’un temps que les moins de 60 ans ne peuvent pas connaître. Ainsi, ce sont 10 équipes, et pas une de plus, qui vont être conviées à cette première historique.
Le principe est des plus simples à l’époque : dans l’ordre inverse du classement final, les dix équipes sélectionnent tour à tour les joueurs qui se sont présentés à la draft, jusqu’à épuisement des stocks. Autant vous dire qu’avec 10 équipes, le nombre de tours va vite exploser. Pour la première édition, 80 joueurs vont être sélectionnés, le dernier au 8è tour. Ça vous semble énorme ? En 1969, pour la draft de Kareem Abdul-Jabbar et alors que la NBA a vu son nombre d’équipes passer grimper à 15, il n’y aura pas moins de 20 tours, pour 100 joueurs. Je ne sais pas si les mock draft étaient si sympathiques à faire à l’époque qu’aujourd’hui, mais il fallait être sacrément motivé.
Actuellement, le nombre de tours est limité à deux. A ce titre, la NBA fait d’ailleurs figure d’anomalie dans le paysage sportif américain : toutes les autres ligues professionnelles nord-américaines comptent a minima 7 tours. Cette réduction drastique est le fruit d’une évolution logique due à une réflexion assez sommaire : le peu de réussite des joueurs sélectionnés tardivement. En 1974, la Ligue opte pour une première limitation du nombre de tours : pas plus de 10, ça suffit les bêtises. Puis en 1985, on réduit à sept, puis à trois en 1988 avant d’en arriver aux deux tours en 1989. Depuis, les choses n’ont pas évolué de ce point de vue là, et 60 joueurs ont le privilège, chaque année, de rentrer dans un monde très restreint.
Ce n’est pas le seul point qui a évolué depuis 1947 : encore heureux me direz-vous ! Tel qu’on le connaît, le système de la draft est basé autour d’une loterie. Mais ça n’a pas toujours été le cas, bien au contraire.
Les territorial picks : en voilà une idée qu’elle semble bonne, et en fait pas trop
Il existe parfois cette tendance, pour certains joueurs, à vouloir revenir au bercail, près de là où ils ont grandi et où ils ont encore des attaches très marquées. Le dernier exemple en date, c’est évidemment Kawhi Leonard, qui aurait éprouvé le souhait de vouloir jouer dans sa Californie natale lors de l’épisode final du thriller Spurs-Oncle Dennis. En y pensant, rien d’anormal à ça : combien, quand ils sont bien installés dans leur travail, souhaitent se rapprocher d’un endroit qu’ils connaissent bien, et où les attaches sont plus fortes ? Les joueurs NBA n’y échappent pas. D’autant que le “retour aux sources” peut être très apprécié par les fans, qui voient un joueur “du coin” revenir garnir les rang de l’équipe locale.
La NBA, dans son Histoire, a su favoriser cette implantation de jeunes joueurs “locaux” dans ses franchises via la draft. Nous sommes alors au tout début de l’Histoire de la NBA, née le 3 août 1949 de la fusion entre la Basketball Association of America (BAA) et la National Basketball League (NBL). A l’époque et jusqu’en 1965, les équipes disposent pour la draft d’un territorial pick : un choix territorial.
Le territorial pick permettait à une équipe, avant que l’on procède à la draft classique, de choisir un joueur formé à proximité. A l’époque, l’objectif du territorial pick est clair. La NBA doit séduire le public, le fidéliser, l’intéresser. Sans ça, ses perspectives de succès se réduisent. Alors pour ce faire, on va agir au plus proche du spectateur, sur le fameux “terrain” comme on pourrait dire, en permettant aux équipes de se renforcer avec de jeunes “stars” formées dans le coin.
Ainsi, si vous aviez dans une université voisine un joueur qui soulevait déjà les foules et qui s’était fait un petit nom dans le milieu, vous pouviez vous l’accaparer le soir de la draft, et vous assurer que ceux qui le suivaient dans ses exploits universitaires le suivraient de nouveau à travers votre équipe. Astucieux non ? Certes, mais en y réfléchissant un temps soit peu, vous voyez vite arriver les problèmes et lacunes de ce système.
Premièrement, qui pensez-vous que cela favorise ? Qui pourraient bien avoir la chance de réunir les conditions essentielles à la possibilité d’user d’un territorial pick à savoir un vivier de talent, une fac, et une franchise NBA à proximité ?
Déjà, à cette époque-là aux Etats-Unis, les universités ne sont pas légion. Et quand bien même on en trouvait dans tous le pays, toutes n’avaient pas à proximité d’elles une franchise NBA : car autant vous dire qu’à cette période-là de l’Histoire de la Grande Ligue, on était bien loin des 30 franchises actuelles. Logiquement, ce sont donc les gros marchés, les villes les plus importantes et denses du pays qui vont être les premiers concernés par les territorial picks.
Deuxièmement, les équipes en question ont vite compris le bénéfice qu’elles pouvaient en tirer et ont commencé à en abuser. Comme le dirait un vieux sage, tout homme qui a du pouvoir est tenté d’en abuser… Quel meilleur exemple pour vous le démontrer que la draft de Wilt Chamberlain.
Wilt Chamberlain jouait alors à Kansas, où aucune franchise NBA n’était implantée. A priori donc, aucune possibilité de territorial pick à l’horizon. Sauf qu’Ed Gotlieb, le patron des Warriors de Philadelphie, ne compte pas laisser filer la perle rare qu’est Wilt si facilement. Il va tout simplement avancer l’argument selon lequel Wilt ayant grandi à Philadelphie, son équipe aurait la possibilité de le choisir via le territorial pick. Et bingo, ça passe. Les Warriors vont user du territorial pick pour pouvoir s’attacher les services du futur géant de la NBA, avec la réussite que l’on connaît. Facile non ?
En plus de Wilt Chamberlain, plusieurs autres grands noms ont bénéficié de ce système, comme Oscar Robertson alors joueur à la fac de Cincinnati, sélectionné par les Royals de Cincinnati, devenus plus tard les Sacramento Kings ; ou encore Gail Goodrich de UCLA, sélectionné par les Lakers.
La NBA a finalement abandonné ce système, et on peut s’en estimer heureux aujourd’hui. Avec la multiplication des universités et des franchises NBA, on aurait eu droit à quelques situations un peu cocasses… Tiens par exemple, comment aurait-on fait avec un joueur qui sortait de l’université de Texas ? Qui aurait pu utiliser le territorial pick : Dallas, Houston, San Antonio, les trois ? Vous voyez un peu le calvaire…
Mais bon, vous me connaissez, je ne résiste pas à la tentation d’un petit What if… A quoi aurait-on eu droit si la NBA avait conservé ce système jusqu’à aujourd’hui ?
Et bien Kevin Durant aurait été la cible du choix cornélien que je vous ai exposé quelques lignes plus haut, lui qui sort de Texas ; Russell Westbrook aurait été disputé entre Lakers et Clippers en sortant d’UCLA ; Stephen Curry aurait été la vedette de Charlotte en sortant de Davidson ; et Damian Lillard aurait envoyé du Dame Time du côté de Utah en sortant de Weber State… Je préfère m’arrêter là, mais si ça vous intéresse, je vous invite à vous prendre au jeu.
Pile ou face : l’avenir décidé sur un coup du sort ? Faisons comme ça !
Nouveauté dans les années 60 concernant la draft : on en a un peu marre des dérives du territorial pick et on décide mettre un grand coup de balai. A partir de 1966, le 1er choix de draft va donc se décider par un coin flip, autrement dit, un bon vieux pile ou face.
La NBA introduit pour la première fois une part de hasard et de chance dans l’obtention du premier choix de draft. Ce first pick va ainsi se décider à pile ou face, entre les deux équipes les plus mauvaises de chaque conférence, celles avec le pire bilan. Pour la suite de la draft, on procède dans l’ordre inverse du classement de l’année écoulée : les plus mauvais en premier, les premiers en dernier.
Et ce système va durer jusqu’en 1985, jusqu’à ce qu’on se rende compte que là aussi, il y avait des failles que les équipes NBA ont su exploiter. L’une d’elles en particulier sera pointée du doigt : les Rockets de Houston.
Nous sommes en 1984, quand la franchise est au cœur de la polémique. Certains front-office de la Ligue l’accusent d’avoir volontairement perdu quelques matchs au long de la saison 1983-84 afin de terminer dans les deux équipes les plus mauvaises de la Ligue et de s’octroyant ainsi une chance d’avoir le first pick de la prochaine draft. Et il faut dire que la situation est clairement en défaveur des Rockets dans cette histoire-là, jugez plutôt : le 2 février 1984, Houston a un bilan de 20 victoires pour 26 défaites ; s’en suivra une série de 9 victoires pour 27 défaites pour conclure la saison. Vous avez dit “étrange” ? Affirmatif.
La NBA ne reconnaîtra évidemment jamais le tour de passe-passe orchestrée par les Rockets, mais une bien belle coïncidence fera que l’année suivante, pour la draft 1985, la première loterie allait voir le jour. C’est ainsi qu’entre 1966 et 1985, le système du coin flip, s’il a su faire des heureux, a fait également de nombreux malheureux, victimes de la malchance. Coup de projecteurs sur quelques-uns des pile ou face les plus dingue de l’Histoire de la draft.
- Draft 1969 : Lew Alcindor – Tirage au sort entre Milwaukee et Phoenix.
Comment ne pas le citer ? Lew Alcindor, vous le connaissez, du moins je l’espère. Pour ceux qui ne situeraient pas, Lew est devenu plus tard… Kareem Abdul-Jabbar. Le skyhook, l’interdiction de dunker en NCAA, tout ça, tout ça. En 1969, Milwaukee et Phoenix sont les mauvais élèves de la Ligue, et lors du tirage au sort, ce sont les Bucks qui obtiennent le droit de sélectionner celui qui est encore alors appellé Lew Alcindor.
Et franchement, ça va. Les Bucks pointaient à 27 victoires pour 55 défaites avant son arrivée. Un an après, il vous suffit d’inverser les chiffres, quasiment : 56 victoires et 26 défaites. Alcindor termine 2ème meilleur scoreur de la Ligue lors de son année rookie, avec plus de 28 points de moyenne, le tout accompagné de 14.5 rebonds. Le nouveau monstre de la NBA est là, et il s’apprête à marcher sur la Ligue entière pendant des années. Milwaukee sera champion NBA seulement deux ans après sa draft, pendant que lui s’occupera de garnir son armoire à trophée des titres de MVP.
Du côté des vaincus, à Phoenix, on se console avec Neal Walk. Votre serviteur vous pardonnera aisément de ne pas connaître le destin de ce protagoniste malheureux. Il fera 9 saisons en NBA dont 5 avec les Suns, mais n’aura jamais l’impact de Lew Alcindor, évidemment. Putain de tirage au sort.
- Draft 1974 : Bill Walton – Tirage au sort entre Portland et Philadelphie.
Oui, on parle bien ici du papa de Luke, le néo-coach des Sacramento Kings ! Si le fils était un joueur moyen, le père lui était une pointure, une vraie. Bill est sélectionné en 1ère position par les Portland Trailblazers en 1974, au détriment de Philly.
Les deux premières saisons de Bill vont être tronquées par des blessures, mais la suite va s’avérer plutôt bénéfique pour la franchise de Portland… En 1976-1977, Walton tourne à 18 points, 14 rebonds et 3 contres de moyenne sur la saison (65 matchs). Portland va décrocher le titre cette année-là, avec une campagne de playoffs rondement menée, notamment en sweepant les Lakers du MVP Kareem Abdul-Jabbar. Bill Walton sera l’auteur de Finales NBA exceptionnelles… contre les Sixers, justement. Dès le premier match de la série, Bill Walton envoie un 20-20 des familles, mais c’est sur le dernier match, pour le titre, qu’il va véritablement tout explosé : 20 points, 23 rebonds, 8 contres et 7 passes décisives. Il sera désigné MVP des Finales avec des moyennes plutôt folles, tournant quasiment à 19 points 19 rebonds, 5 passes et 4 contres par match. Il sera désigné MVP de la saison régulière la saison suivante, mais sera ensuite victime d’une série de blessures écourtant sa carrière.
Philadelphie se console à la draft en prenant de son côté Marvin Barnes, qui n’est pas le papa de Harrison, ni de Matt. En vérité, Philly obtiendra son lot de consolation quelques années après la draft 1974, lors de l’écroulement de l’ABA, où les 76ers arriveront à s’attacher les services de Julius Erving.
- Draft 1979 : Earvin Johnson – Tirage au sort entre Lakers et Bulls.
Pour celle-là, je vous la fais courte : tout est là.
- Draft 1984 : Hakeem Olajuwon – Tirage au sort entre Houston et Portland.
La draft polémique qui précipitera la fin de ce système de tirage au sort. Houston, avec 29 victoires pour 53 défaites, et Portland, qui profite du premier tour de draft d’Indiana cette année-là, jouent le premier choix à pile ou face. Vous connaissez la suite : Houston remporte le coin flip. Pour l’anecdote, le représentant de l’époque des Rockets, Ray Patterson, remportera pour la 3ème fois le tirage au sort, après 1969 avec les Bucks, et les Rockets (déjà !) l’année précédente.
Dans cette draft, reconnue désormais comme étant l’une des plus relevées de l’histoire, Houston sélectionne le pivot Hakeem Olajuwon. Olajuwon termine sa saison rookie avec 20,6 points et 11,9 rebonds de moyenne. Les Rockets atteindront les Finales deux ans plus tard, en 1986. Si Olajuwon va briller, ce sont Larry Bird et les Celtics qui l’emporteront au final. En 1994, Olajuwon va réaliser une saison exceptionnelle, décrochant le titre de MVP et de Défenseur de l’année, et remportant le titre NBA pour la première fois, avant le back-to-back en 1995.
De son côté, Portland choisira Sam Bowie, devant Michael Jordan. Bowie restera dans les annales comme celui qui a été drafté avant Sa Majesté, et aura une carrière tronquée par les blessures. Portland sera pendant longtemps la risée de la Ligue pour cette erreur de jugement. Encore une fois, putain de tirage au sort.
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Suite aux accusations à l’encontre de Houston, le système de draft changera en 1985, où sera intronisé la première loterie. Cette année-là, les sept équipes non-playoffables avaient chacune une chance égale de remporter le premier pick. Mais la draft 1985 fut là aussi l’occasion d’un mini-scandale, ou plutôt fut le décor parfait pour qui rêvait de voir une théorie du complot se mettre en place en NBA : Patrick Ewing allait être sélectionné par les Knicks de New York, à l’agonie, grâce à une fameuse enveloppe froide ou cornée, selon les versions…
Depuis, les principales réformes de la draft ont visé à ajuster les probabilités d’avoir tel ou tel pick en fonction du classement et des bilans d’équipes. Le nouvel objectif clair de la NBA est de réduire l’incitation au tanking, mais l’histoire de la draft nous le prouve : chaque système à une faille, et chaque faille finit par être exploitée… Affaire à suivre !