What if, c’est quoi ? Simple comme bonjour. Il s’agit de reprendre un fait historique de l’histoire NBA, un trade, une blessure, une fin de carrière, un shoot, une action, et d’en changer le cours. Pourquoi ? Pour raconter des histoires, déjà. Pour revisiter les coulisses de certains moments-clés de l’Histoire de la balle orange et les faire découvrir à ceux qui les ignorent, ensuite. Aussi pour faire prendre conscience que la NBA que l’on connait aujourd’hui est le résultat d’un nombre incalculable de facteurs différents, et qu’elle aurait pu être toute autre si l’on touche à un seul d’entre eux. Bienvenue dans le monde de What if !
Pour (re)découvrir les origines de ce What if et comprendre tout le contexte de l’époque, c’est juste ici.
Après le désormais traditionnel prélude qui précède chaque What if, qui présente ce dernier et son contexte, il vient toujours le temps de la fiction, de l’invention pure et dure. Pourtant, cette fois-ci, impossible de vous écrire une seule histoire. Ne bougez pas, je vous explique tout.
La NBA que l’on a aujourd’hui sous les yeux est le résultat d’un nombre incalculable d’aléas. Parmi eux, il y a des moments que l’on pourrait ranger à part, en les considérant comme des moments fondateurs de cette histoire NBA, des moments qui ont changé drastiquement la destinée de la ligue. Ça peut être un shoot, un trade, ou même une pièce jetée en l’air un soir d’avril 1979, pour déterminer qui des Bulls ou des Lakers hériteraient du pick #1. Oui, l’histoire autour de la draft de Magic Johnson est l’une des pierres fondatrices du monument qu’est aujourd’hui la NBA. Si cette pièce n’était pas retombée du côté des Lakers, tout ce qu’on connait aujourd’hui en aurait été affecté, ni plus ni moins.
Ceci étant dit, laissez-moi vous emmener dans les coulisses de l’écriture.
Pour ce What if, j’étais impatient de savoir par où j’allais commencer. Il y avait deux départs possibles pour pouvoir coller à la réalité : soit Magic se présentait à la draft 1979 et allait jouer pour les Bulls les années fictives à venir, soit il retournait à Michigan State, avant de se présenter à la draft 1980.
Pour m’aider à choisir, j’ai pris une feuille blanche. J’ai tiré un grand trait au milieu et j’ai commencé à lister, année après année, tout ce qui aurait pu changer si Magic allait à Chicago d’un côté, ou s’il retournait à la fac. J’ai dû m’arrêter après la saison 1985-86, faute de place sur ma pauvre feuille, noircie de flèches et de “???”. Le constat était là : tout avait changé. Et je n’étais pas plus avancé.
Alors, je me suis demandé “Pourquoi tu laisserais pas le choix ?“. J’avais toujours eu en tête d’un jour faire un What if sur le modèle des fameux livres “dont vous êtes le héros”. L’opportunité était belle.
Mais il fallait être objectif : si j’écrivais tout (chaque chemin, chaque choix, avec toutes les conséquences qu’il impliquerait) de la manière la plus détaillée possible, il me faudrait beaucoup, beaucoup de temps. Mais… Si on sacrifiait un peu de détails – pour une fois – pour montrer toutes les incidences, les principales au moins, qu’aurait eu cette foutue pièce si elle était tombée côté Bulls ? Est-ce que ça ne vaudrait pas le coup d’essayer ? Et bien je pense que si.
Vous vous souvenez du film Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban ? Hermione utilise un Retourneur de Temps, qui lui permet de voyager à sa guise dans le passé, pour suivre plus de cours en une journée que vous n’en n’aurez jamais dans toute une vie. Et bien, nous allons emprunter à J.K. Rowling ce petit concept, tout en l’adaptant à notre sauce. Et comme je fais ce que je veux dans mes histoires, nous serons également équipés d’un Adaptateur Temporel, qui vous permettra de pouvoir ajuster le passé à vos désirs.
Vous l’aurez compris, on part donc sur un modèle de livre « dont vous êtes le héros », mais adapté à nos besoins. Ainsi, vous pourrez naviguer à travers ce voyage dans le temps de la manière dont vous le souhaitez, vous fabriquer votre propre histoire, tout en voyant les conséquences de chacun de vos choix.
N’ayez crainte si vous n’avez pas tout saisi, je vous accompagnerais tout au long du récit. Et pour ceux qui trouverait que ma présence n’a rien de rassurant, sachez que ce n’est pas très sympa, et que de toute manière vous n’avez pas le choix. Allez, bon voyage à tous.
Pour la version PDF, c’est par ici : Magic, à pile ou face – Le What if dont vous êtes le héros
I. L’heure du choix
Nous voilà donc avec le Retourneur de Temps autour du cou. Il est bien évidemment hors de question que je vous laisse jouer avec un outil aussi dangereux, donc je prends les commandes : 557 tours et demi en direction de New-York, et nous voici dans les bureaux de la NBA de l’époque. Ne me remerciez pas. Prenez place, ça commence…
L’ambiance était un peu lourde dans les bureaux de la Grande Ligue en ce soir d’avril 1979. Personne ne traînait dans les couloirs, qui étaient recouverts par un silence de plomb. Chacun était à son bureau, feignant de travailler. En vérité, tout le monde attendait. Comme si chacun des salariés présents ce jour-là savait à quel point le moment que s’apprêtait à vivre la NBA était crucial. Au dernier étage, dans une salle annexe à son bureau, le commissionnaire NBA Larry O’Brien, était assis au milieu d’une grande table de réunion. Personne d’autre que lui n’était assis. Ses plus proches collaborateurs l’entouraient, tous silencieux. Devant lui, un combiné téléphonique, avec au bout du fil les représentants des Bulls et des Lakers. Dans sa main droite, une pièce, la fameuse
D’un coup, la pièce fut jetée en l’air, et le temps se suspendit. Les regards se figèrent sur la pièce, et l’on pouvait presque entendre les frottements de l’air dans la pièce silencieuse. L’objet tant convoité entama sa descente vers la paume ouverte du commissionnaire. Au terme d’une ultime rotation, elle arriva à destination. Larry O’Brien ferma immédiatement son poing, renversa la pièce sur le dos de sa main gauche et découvrit le résultat immuable : « Pile ! C’est pile ! Messieurs, le verdict est tombé ! » dit-il à ses interlocuteurs, suspendus au bout du fil. Le premier choix de la draft 1979 filait à Chicago.
Les représentants des Bulls exultèrent au téléphone. Le propriétaire, le general manager, le coach, tous s’étaient réunis dans les locaux de la franchise en prévision de ce moment décisif, voire historique. Ils ne purent retenir leur joie et leurs cris enthousiastes. De l’autre côté du pays, à Los Angeles, ce n’était pas vraiment la même ambiance. Eux aussi s’étaient regroupés en petit comité, et tous faisaient désormais grise mine. Dans la pièce où ils étaient, le silence avait laissé place aux cris de joie de leurs homologues des Bulls au bout du combiné. Le temps de consigner par écrit tout ce qui venait de se dérouler, et la nouvelle pu enfin quitter les bureaux de la ligue et Big Apple pour aller se diffuser dans tout le pays.
***
A Los Angeles, les radios, les télévisions et journaux relayaient la mauvaise nouvelle. Non, les Lakers n’auraient pas le first pick tant convoité. Les fans, bien qu’impuissants et conscients de l’énorme part de hasard dans la décision d’attribution de ce choix, ne purent cacher leur colère. On avait beau leur dire qu’hériter d’un deuxième choix de draft, au regard de la situation de leur équipe, était déjà formidable, il n’en n’avait que faire. La cité des Anges perdit de sa superbe pendant quelques jours, et sur les terrains de basket bordant Venice Beach, entre deux séances de trashtalk entre ballers, on n’entendait parler que de cette sale nouvelle.
A Chicago en revanche, les ballers amateurs du coin s’amusaient déjà à imiter celui qu’ils avaient vu à la télévision lors de la dernière finale NCAA, persuadés qu’il serait des leurs dès l’an prochain. Les médias avaient relayé l’information en masse, si bien qu’aucun habitant e Chicago n’avait pu passer à travers, à moins d’être enfermé dans une cave depuis le jour J. Enfin la franchise avait de la chance, et allait pouvoir choisir son destin.
Il faut dire que le first pick que tout le monde attendait pour cette cuvée était unique en son genre. C’était le meilleur joueur universitaire du pays, de loin. Il venait de remporter la finale NCAA avec brio, et ne laissait déjà personne indifférent. C’était une personnalité sans égale, un joueur spectaculaire, déjà adulé alors qu’il n’avait pas encore mis un pied en NBA : Earvin “Magic” Johnson, de Michigan State.
Le jeune homme, justement, venait d’apprendre la nouvelle via le poste de radio familial qui se trouvait chez ses parents, à Lansing dans le Michigan. Tout juste auréolé du titre universitaire, gagné quelques semaines plus tôt face à Indiana State, Magic s’était vu poser la question : allait-il tenter l’aventure NBA, maintenant que le sacre universitaire était acquis ? Il avait jusqu’alors évidemment esquivé la question, donnant une réponse politiquement correcte, ne froissant personne et ne mettant pas à mal ses intérêts personnels, notamment car personne ne savait encore qui serait en position de le drafter. Mais c’était désormais chose faite, et les Bulls étaient favoris pour l’accueillir.
Dans l’esprit du jeune homme, les choses étaient toutefois claires, ou presque, depuis un moment. Si les Lakers héritaient du first pick, il ferait le grand saut. Los Angeles, la Californie, Hollywood, Kareem Abdul-Jabbar, une ville en pleine expansion, tout lui donnait envie d’y évoluer, même s’il savait qu’il ne serait certainement pas la première option en arrivant là-bas. En revanche, si c’était Chicago, avec sa salle délabrée, un roster peu convaincant, le froid, la situation très mal en point de la franchise, mais avec un espace de liberté et d’expression garantie et une franchise à ses pieds ou presque… Rien n’était sûr.
Mais voilà que le sort avait décidé de jouer un mauvais tour à Magic, et de lui compliquer la tâche. Les Lakers allaient devoir se contenter du second pick, et il paraissait évident aux yeux de tous que Chicago ne se priverait pas de le sélectionner s’il se présentait à la draft comme tout le pays l’attendait. Il avait bénéficié d’un temps de repos et de réflexion entre sa finale NCAA et le soir du coin flip, mais maintenant, tous les observateurs de la Grande Ligue attendaient son choix, sa décision. Il ne pouvait pas faire attendre le monde plus longtemps… Alors, que faire ?
Faire le grand saut à Chicago ? Après tout, il avait tout gagné en NCAA et n’avait plus rien à prouver à personne. L’équipe lui appartiendrait à l’instant où il débarquerait dans le roster et il en serait le meilleur joueur, sans conteste possible. Il y avait tout à faire à Chicago, sur et en-dehors des parquets. La ville était l’un des plus gros marchés potentiels pour la NBA, mais n’avait clairement pas une image de ville idéale aux yeux du grand public. Chicago se cherchait une icône, les Bulls un sauveur. Magic savait que la pression serait grande pour lui où qu’il atterrisse en NBA, alors peut-être qu’un environnement comme Chicago, sans exigence de résultats particulière et sans attente démesurée lui permettrait de grandir rapidement… Au fond de lui, il avait envie plus que tout de passer dans la cour des Grands, de prouver sa valeur parmi l’élite, de se mesurer aux meilleurs joueurs du monde. Et puis, pour quelqu’un du Michigan, de Lansing plus précisément, jouer à Chicago ce serait un comme jouer à la maison.
Il pouvait aussi décider de retourner un an de plus à Michigan State. Là-bas, sa situation serait sans conteste meilleure qu’à Chicago. Sportivement, Magic avait déjà fait des étincelles dans le championnat NCAA. Son jeu était craint, respecté dans tout le pays. Il était le leader des Spartans, le garant d’une identité et maintenant, d’un héritage. Déjà élevé au rang de demi-dieu sur le campus et dans la région avec le titre glané cette année contre l’ogre Indiana State, il pourrait se mettre en quête de l’impossible : un back-to-back… Après tout, pourquoi ne pas aller chercher l’Histoire ? Sa côte à la prochaine draft ne serait pas impactée par un retour en NCAA, il en était certain, tant son arrivée était attendue par certaines écuries. Et avec un peu de chance, peut être qu’une autre destination que Chicago l’y attendrait…
Magic ne réussit pas à dormir pendant trois jours entiers. Tout se mélangeait, et son avis changeait chaque heure. Il avait beaucoup parlé des pour et contre de chaque situation avec sa famille et son cercle proche d’amis. Mais tous lui répétaient la même chose : ils ne pouvaient pas choisir pour lui. Il avait donné rendez-vous à la presse sur le campus de Michigan dans 3 jours, et il ne savait toujours pas quelle allait être la teneur de son discours.
Il est temps d’utiliser pour la première fois votre Adaptateur Temporel. Pour celui-ci, je veux bien vous laissez la main : il n’y a qu’à cliquer sur le bouton de votre choix. Vous l’aurez compris, vous n’avez rien de moins entre les mains que le destin de Magic Johnson. D’un côté, le chemin qui mène à Chicago, à la NBA et à la Cour des Grands. De l’autre, le chemin qui mène Magic à la maison, dans une quête historique, en attendant des jours meilleurs. Alors, quelle destination aura votre préférence, Chicago ou Michigan ?
Michigan !
Chicago !
II. Michigan State, home sweet home
Et bien allons-y, renvoyons Magic à ses études ! Vous avez donc décidé de renvoyer Earvin Johnson sur les bancs de la faculté de Michigan State, en quête d’un back-to-back historique. Magic revient en terrains conquis, et recule l’échéance de sa draft, soit. Mais il ne faudra pas vous plaindre des conséquences plus tard, je vous préviens. Michigan State, nous revoilà !
La décision avait été difficile à prendre, mais ce n’était qu’un au revoir. La NBA devra patienter pour accueillir Magic. Tant pis pour elle. Magic reposait ses valises sur le campus de Michigan.
Après trois jours d’insomnie, Magic dû voir la réalité en face : il était totalement paumé. Il se demandait pourquoi il hésitait tant à franchir le pas. Avait-il peur de l’échec à Chicago ? Non, bien sûr que non. Mais il sentait que ce ne serait pas un choix libre, serein de sa part. Or, pour lui, impossible d’être totalement lui-même dans un environnement où il ne se sentirait pas bien, où il se poserait sans cesse des questions. Et puis s’il hésitait autant, c’est peut-être qu’il n’avait pas envie de quitter Michigan State pour ça, malgré tout ce que cela représentait. Alors il prit sa décision, convaincu qu’elle était la bonne.
Le jour J, il rejoignit le campus de Michigan pour 11h, comme prévu. Là-bas, une estrade avait été installé en vitesse, avec un pupitre et un micro. Des enceintes avaient été branchées pour que les mots de Magic soient entendus par le plus de monde possible. Quand il arriva avec ses parents et ses amis, il vit une masse de gens, étudiants ou non, tous amoncelés les uns sur les autres devant l’estrade, tous venus écouter la décision de la figure déjà emblématique du campus. Quand il annonça, après quelques remerciements, sa décision de rester à Michigan State un an de plus, la folie s’empara de la foule.
Une explosion de joie se fit entendre et raisonna à des centaines de mètres à la ronde. La quasi-totalité des gens présents s’attendaient à des adieux chaleureux de Magic après le sacre obtenu quelques semaines auparavant, si bien que la surprise fut totale. Certains étaient en larmes, d’autres criaient à tue-tête et chantaient à la gloire des Spartans et de Magic. Quand ce dernier reprit le micro et annonça qu’il était revenu pour marquer l’histoire et décrocher un nouveau titre, la foule repartit dans une euphorie totale. Les festivités, qui commençaient à peine à se calmer suite au titre, reprirent de plus belles : l’enfant prodige était de retour au bercail pour un an de plus. Michigan souriait, Magic aussi. Il avait fait le bon choix, c’était désormais certain.
***
Si la NBA faisait la moue, le paysage NCAA vibrait à l’idée de retrouver l’idole de Michigan State. Ou du moins, les fans étaient excités. Qu’ils l’adulent ou le détestent, Magic ne laissait jamais indifférent. Les fans des universités rivales ou voisines prenaient ses extravagances pour de la provocation gratuite, et ne supportait pas de le voir fanfaronner, sourire ou parler en permanence, que ce soit à l’adversaire ou à ses coéquipiers.
Du côté des autres programmes, c’était plutôt la soupe à la grimace de voir une telle menace de retour sur les parquets universitaires. Qui plus est quand ce dernier revient avec un but clair et affiché : décrocher un improbable et impossible back-to-back. C’était pour ça que Magic était revenu, marquer l’Histoire et rien d’autre. Un meneur de jeu de 2m06 était une équation difficilement solvable pour n’importe quelle équipe qu’allait rencontrer les Spartans durant l’année. Bien entend, ça n’en faisait pas pour autant une équipe invincible, mais nul doute qu’avec un Magic Johnson titré, sûr de sa force et de son poids dans le championnat, les Spartans allaient être l’équipe à abattre. D’ailleurs le coaching staff et les joueurs de Michigan le savaient : chaque match qu’ils allaient disputer allait être le match d’une vie pour bien des équipes. Il faudrait se méfier de tous les matchs, et surtout ne pas croire que le chemin vers la March Madness serait un long fleuve tranquille.
Le héros local avait également en tête la prochaine draft. Il était pleinement conscient que sa décision avait provoqué un véritable électrochoc dans le microcosme de la Grande Ligue. Les Bulls avaient accusé le coup, et avaient été dans l’obligation de revoir leurs plans après la décision de celui qu’il avait d’ores-et-déjà choisi pour incarner leur futur. Magic avait peur que son choix soit ressenti par certaines franchises comme un caprice de diva, qui aurait considérait que les Bulls n’étaient pas dignes de son talent ou pas à son goût tout simplement. Il ne voulait pas arriver en NBA avec cette étiquette et cette réputation, qui ferait de lui une persona non grata à n’en pas douter.
Mais passée cette période de doutes et d’interrogations, il était convaincu que tout allait rentrer dans l’ordre. S’il continuait à jouer son jeu – et il n’y avait aucune raison pour qu’il en soit autrement –, les franchises NBA seraient encore au rendez-vous dans un an. Pour l’instant, elles devaient se focaliser sur la saison à venir. Mais à l’approche du mois de mars, nul doute que les franchises les plus à même d’obtenir le first pick iraient regarder comment a évolué le numéro 33 des Spartans. Si tout se déroulait correctement, il serait logiquement le favori pour la draft 1980.
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Michigan State avait perdu quelques éléments, évidemment. Si à la surprise générale Magic avait fait son retour, ce n’était pas le cas de Greg Kalser, qui avait terminé ses quatre années universitaires et avait fait le grand saut en NBA, chez les Pistons. Kalser avait été un grand artisan du succès des Spartans, tournant à plus de 18 points et 8 rebonds par match, et auteur d’un très grand tournoi final. Son duo avec Magic les avait amenés tous les deux à être nommés dans le 5 majeur de leur All-Region Team, mais aussi dans le 5 majeur du tournoi final NCAA aux côtés de Larry Bird, Mark Aguirre et Gary Garland. Bref, Michigan avait perdu plus qu’un simple joueur, mais un véritable pilier.
Bien que la perte fût importante, les Spartans avaient de la ressource. Le seul fait que Magic Johnson reste dans l’effectif donnait une sorte de bonus à ses coéquipiers ; tous, dans son sillage, allaient être meilleurs que jamais. Magic jouait et s’entrainait comme il vivait, à 200%. Sous ses sourires ravageurs et son aspect décontracté en toutes circonstances se cachait une bête de travail et un compétiteur hors norme.
Il avait passé des heures à peaufiner ce jeu spectaculaire que beaucoup lui enviaient. Cet œil vif, prêt à déceler la moindre faille dans les défenses adverses, à anticiper les espaces et les courses avant même que vous n’en n’ayez eu l’idée, n’était pas qu’un don du ciel. C’était le résultat d’heures de travail, d’une concentration de chaque instant, d’un désir d’aller toujours plus loin, haut et fort. La soif de victoire et de travail de Magic inspirait et abreuvait ses coéquipiers, qui n’avaient d’autre choix que de suivre l’exemple de leur capitaine. S’ils suivaient son rythme, ils seraient tous plus forts, ils le savaient.
Parmi les joueurs des Spartans prêts à aider Magic dans sa quête de l’histoire, ce dernier pourrait notamment compter sur la montée en régime de Jay Vincent. Poste 3 pouvant dépanner dans la raquette si besoin, Vincent était le remplaçant désigné de Kalser. Mis en valeur par son coach Jud Heathcote, Vincent avait pour rôle d’aider Magic dans l’attaque de Michigan State, d’autant que le meneur allait être très attendu cette saison et cadenassé par des systèmes défensifs conçus spécialement pour le mettre dans l’inconfort. L’ailier voyait en conséquence ses statistiques, comme son rôle, augmentées drastiquement : de 12 points et 5 rebonds par match, il franchissait la barre des 18 points et 8 rebonds de moyenne.
Se faisant, Michigan State connu une saison somme toute tranquille, sans être parfaite pour autant. Comme attendu avec le fait que les Spartans aient crié haut et fort leurs intentions de back-to-back, leurs adversaires les attendaient à chaque fois de pied ferme et surmotivés. Quelques défaites venaient ainsi jonchées la route vers le tournoi final des champions en titre, qui semblaient toutefois contrôler leur saison. L’équipe déployait son jeu avec une dose de confiance que peu pouvaient se permettre d’avoir, notamment anesthésié par la grâce qui touchait Magic Johnson.
Le meneur était pleinement en phase avec son équipe et son basket, et dominait encore une fois les débats du meilleur joueur universitaire de la saison. Il évoluait un cran au-dessus de ses coéquipiers et adversaires, et le voir évoluer sur le terrain était toujours aussi époustouflant. Dans un monde entièrement acquis à sa cause, il était comme un poisson dans l’eau.
Il fallait le voir les jours de match, déambuler tout sourire sur le campus de MSU avec son t-shirt de champion NCAA 1979 et ses Converses aux pieds. Il s’arrêtait sans cesse, pour taper entamer la discussion avec une connaissance, faire rigoler un groupe d’étudiants-fans, ou répondre à un étudiant qui avait crié « Go Spartans Go ! » au loin. Ce t-shirt de champion, c’était une fierté, mais c’était aussi un rappel du champion qu’il était et qu’il voulait encore être. Il le portait fièrement, surtout quand les siens évoluaient à l’extérieur, en terres hostiles, si bien qu’à force de le voir avec à chaque match, on ne savait plus s’il mettait tout le temps le même ou s’il en avait toute une collection.
La salle de Michigan State avait été sold out chaque soir de match, évidemment, et l’ambiance qui y régnait confortait parfois Magic dans son choix d’être resté en NCAA un an de plus. Quand Michigan évoluait à l’extérieur, un frisson parcourait la salle quand il s’apprêtait à filer en contre-attaque suite à un rebond ; quand il faisait la même action à la maison, le public entrait en transe, impatient de savoir quelle merveille il allait sortir de son chapeau pour faire exploser la foule. Il apparaissait plus tranchant encore dans ses prises de décision, plus sûr de lui offensivement, et plus leader que jamais. Il était en mission, pour rappeler à tout le monde la promesse faite aux siens de conquérir l’Histoire.
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Michigan State accrocha sans grande difficulté le tournoi final NCAA, héritant du seed #2 dans le Mideast, et terminant à égalité en tête de la Big Ten Conference avec les Hoosiers d’Indiana. La route jusqu’au Final Four allait être assez aisément négociée par les Spartans. Encore une fois, Magic exposait son talent au grand jour et déroulait l’attaque des siens, bien secondé dans l’exercice par un Jay Vincent en grande verve, bien conscient de la tâche qui lui incombait de devenir le parfait lieutenant de son leader.
Si la saison passée, Magic s’était livré un duel à distance avec Larry Bird, cette saison ses principaux concurrents se nommaient Joe Barry Carroll, pivot de Purdue, et Darrell Griffith, de Louisville. Griffith sortait de 4 ans à Louisville, et venait de clore une saison à 22.9 points par match, menant les siens au seed #2 dans la région Midwest. Louisville semblait armé pour faire tomber le champion en titre, mais avant cela, il fallait déjà que Magic et les Spartans passent l’obstacle Purdue, et son immense pivot Joe Barry Carrol, 2m13 pour 102 kilos.
Ceux-ci étaient auteurs d’une bonne saison, ressemblant à s’y méprendre à la celle des Spartans l’année précédente. Ils n’avaient clairement pas surfé sur l’adversité sans peine, mais avaient été assez bons pour réussir à se hisser au seed #6 du Mideast, et pour hériter de l’étiquette d’outsider au Final Four en ayant éliminé les Hoosiers d’Indiana, le seed #2 de la région et Duke, le seed #4 coup sur coup. Le danger était donc réel pour Magic Johnson et les siens.
Et il s’en fallu de peu pour les Spartans. Menés de 12 points à moins de 7 minutes du terme, les champions en titre ont dû s’en remettre au miracle Magic. Surmotivé par sa haine viscérale de la défaite, le meneur s’était démultiplié dans les dernières minutes de la partie pour donner finalement la victoire aux siens sur deux lancers-francs décisifs. Mais ce qui restera dans toutes les mémoires, c’est cette action miraculeuse, à 1 minute 20 du terme de la demi-finale. Alors que Joe Barry Carrol s’était retrouvé esseulé à un mètre du cercle suite à une mauvaise aide des Spartans, il s’élançait vers l’anneau pour y écraser la balle orange. C’est alors que Magic avait surgi de nulle part, s’élança de tout son long pour venir scotcher littéralement l’immense tour de contrôle de Perdue contre la planche. En revenant au sol, il s’était saisi de la gonfle, et avait lancé une énième transition pour les Spartans, trouvant en conclusion de cette action qui fit basculer le match Jay Vincent, qui écrasa la balle dans le cercle en alley-oop.
La Market Square Arena d’Indianapolis, qui accueillait le Final Four, entra en fusion à la suite de cette action. Les supporters de Michigan State qui avaient effectué le déplacement devinrent euphoriques, et lorsque le buzzer final sonna à travers la salle, l’explosion fut telle que le terrain fut envahi dans la seconde suivante. Les Spartans s’imposaient de deux petits points, suffisants pour leur permettre d’accéder, pour la deuxième saison consécutive, à la finale du tournoi NCAA.
Magic croulait sous les fans, et quand il parvint enfin à s’extirper de la foule, il fut pris d’assaut par les journalistes couvrant l’évènement. Il cristallisait à lui seul toute l’attention médiatique, et plus largement tous les débats autour de ce Final Four et de la finale à venir. Passée l’excitation et l’adrénaline de la qualification, Magic se devait toutefois de tempérer les ardeurs de ses coéquipiers et des observateurs qui le pressait pour savoir son sentiment : le plus dur restait à faire, et Louisville, qualifié pour la finale quelques heures plus tôt, ne leur ferait pas de cadeau. Il en était pleinement conscient : Michigan avait eu chaud, très chaud et ne devait sa qualification qu’en vertu d’un énorme exploit.
Quelques jours plus tard, il était temps. La finale tant attendue par tout un peuple était là, dans une poignée d’heures. Louisville était prêt à en découdre, à l’image de Darrell Griffith. Il avait scoré 26 points en demi-finale pour arroger aux siens le droit de disputer cette finale, et paraissait le plus à même de faire tomber la montagne Magic Johnson.
Mais si parfois les héros provoquent l’Histoire, l’Histoire force parfois le trait et va chercher elle-même ceux qui méritent d’avoir leur nom gravé à jamais en son sein. C’est exactement ce qui se passa lors de cette finale NCAA 1980. Une fois n’est pas coutume, Magic débarquait au match avec son t-shirt de champion 1979, comme pour mettre une pression discrète mais efficace à ses adversaires, un rappel à l’ordre. Tout comme les Spartans et Jud Heatcote l’avaient fait lors de la finale 1979, ils mirent au point un plan tactique parfait pour contrecarrer l’attaque de Louisville et paralyser Griffith. Des prises à deux systématiques, une pression de chaque instant, forçant la star adverse à prendre des tirs contestés et à se frustrer. De l’autre côté du terrain, Magic s’efface pour laisser briller Jay Vincent, comme il avait pu le faire avec Greg Kalser l’an dernier. Trop occupés à vouloir verrouiller l’influence du meneur, la défense de Louisville était dépassée par les lieutenants de ce dernier. La confiance qu’ils avaient emmagasiné tout au long de l’année dans le sillage de leur leader avait été spécialement faite pour ce moment-là, pour que le jour J, ils n’aient pas peur de prendre les choses en main et de mener leur équipe au succès.
Au bout du temps réglementaire, Michigan State s’imposa, 92-80 face à Louisville. Le buzzer final libéra la masse de fans de Michigan, qui envahirent une fois de plus le parquet. Magic Johnson exultait de toute part, serrant chacun de ses coéquipiers dans ses bras à chaque fois qu’il les croisait. Bientôt, tous se réunirent pour le porter en triomphe et le jeter dans les airs, comme pour le remercier de leur avoir donner ce plaisir immense que d’être à nouveau champion. Michigan State venait de marquer l’Histoire, ni plus, ni moins.
Magic décrocha le filet du panier, tout comme il l’avait déjà fait l’année précédente. Les larmes aux yeux, le sourire aux lèvres, le regard fier, il avait rempli son objectif. Sa décision de revenir auprès des siens à Michigan ne pourrait jamais être remise en question après ce sacre historique. Au sommet, il allait désormais quitter la NCAA après avoir laissé son empreinte à jamais gravée.
Les fans, les observateurs amateurs ou plus confirmés, ses amis, sa famille, tout le monde le savait : la page dorée de l’histoire de Magic et des Spartans allait se refermer. C’était une certitude. Cette saison était parfaite, et il fallait maintenant passer le pas : Earvin Johnson était en route direction la NBA.
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Comme attendu, sa côte auprès des écuries NBA n’avait pas chuté, bien au contraire. Magic est apparu encore plus fort durant cette année, plus leader que jamais. Il avait acquis le statut de demi-dieu universitaire après son premier sacre et était devenu légende vivante avec ce back-to-back impossible à réaliser en temps normal. Son aura était toujours la même, sur et en-dehors des parquets, et sa personnalité laissait entrevoir pour tous les propriétaires NBA et general manager des possibilités de profits instantanés.
Toutefois, avant que Magic ne mette un pied sur un parquet NBA, il fallait encore savoir sous quelles couleurs il allait pouvoir le faire. Le coin flip faisait son retour, et allait encore une fois réserver son lot de surprises…
Les deux plus mauvaises équipes de la ligue cette saison étaient le Jazz et les Pistons, avec respectivement 25 et 21 victoires. Le Jazz avait connu une saison 1979-80 difficile, débutée par un déménagement forcé de la Nouvelle-Orléans à Salt Lake City, pour essayer de redresser la franchise, désormais baptiser Utah Jazz. Les Pistons eux, malgré leur piteuse saison, n’étaient pas convié au fameux lancé de pièces, et pour cause : ils avaient envoyé leur pick quelques mois plus tôt, dans le cadre d’une compensation pour une signature à l’été 1979. Et plus précisément, ce pick avait été envoyé… à Boston.
Magie des coin flip et des hasards, les Boston Celtics se retrouvaient en effet en bataille avec le Jazz pour s’arroger les services de Magic Johnson. Les Celtics d’un certain Larry Bird, ni plus ni moins.
Quand les deux noms de franchise participantes au pile ou face furent confirmés, Magic Johnson ne tomba pas dans le même piège que celui de l’année précédente. S’il avait évidemment eu une préférence pour les Lakers à l’époque en raison de l’historique de la franchise et du roster en présence, cette fois il mettrait les pieds en NBA quoi qu’il arrive. Même à Boston s’il le fallait, même aux côtés de celui qui était hier son ennemi le plus coriace. Et même à Utah, pour faire enfin décoller cette franchise embourbée dans les méandres de la ligue.
L’avenir allait bientôt venir éclaircir les choses pour Magic, un avenir que détenait une fois de plus entre ces mains ce cher commissionnaire Larry O’Brien, dans les bureaux de la Ligue à New-York… Une pièce, deux côtés, deux équipes, un destin.
Alors, prêt à remettre un boxon monumental dans l’histoire ? Et oui, vous l’aurez deviné, mais c’est maintenant que votre deuxième choix va devoir se faire ! Dans la main du commissionnaire O’Brien, un pile ou face dont l’issue changera le destin de Magic Johnson, d’une franchise, et même de la Ligue… Et c’est à vous qu’il revient la lourde charge de choisir de quel côté tombera la pièce… Alors, pile pour Boston, ou face pour le Jazz ? Faites vos jeux, rien ne va plus…
II. Windy City, le grand saut
Carrément, Magic à Chicago ? Bon, et bien j’espère que vous avez pris de quoi vous couvrir, parce que ça caille là-bas. Envoyer Magic à Windy City… Quelle idée. Vous n’imaginez même pas ce que vous venez de provoquer. Mais bon, c’est vous qui décidez après tout… Allez, en route !
“Avec le premier choix de la draft NBA 1979, les Chicago Bulls choisissent Earvin Magic Johnson, de Michigan State !”
Ça y est, c’était acté. Après avoir longtemps réfléchi quant à la suite de sa carrière, Magic avait franchi le pas pour rejoindre la Grande Ligue. Il s’était longuement entretenu avec sa famille sur l’opportunité qui lui était offerte. Quand il fut presque sûr de lui, il demanda à son agent de programmer un rendez-vous avec le front-office décisionnaire des Bulls. Ceux-ci avaient bien évidemment accepté, et avaient convié Magic directement à Windy City. Ce dernier allait se montrer peu bavard durant le meeting, écoutant surtout ce qu’on avait à lui proposer. Son agent servait d’intermédiaire, et avait déjà fait état des doutes et craintes de son joueur.
Thorn et ses adjoints balayèrent tout cela d’un revers de la main, promettant au clan de Magic qu’à côté de tout ce qui attendait le meneur en les rejoignant, tout ceci n’était que futilité. « Peut-être pour vous, mais je ne viens pas en NBA pour me perdre dans un puits sans fond » décrocha subitement Magic, muet depuis une dizaine de minutes. Il enchaîna en faisant part à toute la table de ses attentes, tant sportives qu’extra-sportives – et notamment financières. Il joua cartes sur tables.
Il faisait preuve d’un aplomb surprenant pour un joueur qui n’était même pas encore rookie, et n’était aucunement impressionné par la présence d’un front-office NBA devant lui. Il avait cette aura et ce charisme naturel en lui, qui faisait passer son impertinence pour de la confiance, de l’assurance. Il parlait à tout le monde avec une décontraction telle que rien ne semblait pouvoir l’intimider ou l’ébranler. Au contraire, c’étaient ses interlocuteurs qui se montraient bien souvent décontenancés.
Rod Thorn était séduit. Il savait que le joueur était extraordinaire, et venait également de voir que sa personnalité permettrait à la franchise de passer un cap dans le paysage de la Grande Ligue. Il se tourna vers ses associés, comme pour leur signifier que tout était sous contrôle, et parla à Magic.
« Tu sais, je pourrais te dire que si tu n’es pas emballé à l’idée de venir ici, tu n’as qu’à passer ton chemin. Je pourrais te dire qu’avec ou sans toi, Chicago finira par grandir et devenir une place forte de la Ligue. Mais je te mentirais. Et je n’aime pas ça. Personne n’aime ça à Chicago. D’autres franchises vont te vendre une situation meilleure qu’elle ne l’est, un meilleur effectif, une plus belle salle. Ici on ne sait pas faire ça. Quand on dit quelque chose, on ne ment pas, on dit vrai. Si tu viens, on passera tous les deux dans une autre dimension. ».
Ces quelques mots avaient immédiatement raisonné dans la tête de Magic. Il avait senti Thorn plus sincère dans ces paroles-là que dans toutes celles qu’il lui avait dit et répété avant. Il se recula au fond de son siège, s’appuya sur la banquette du restaurant, et dit à Thorn qu’il était prêt à venir à Chicago. Quelques jours plus tard, Larry O’Brien officialisa la chose lors de la draft 1980.
Si la situation de la franchise n’était certes pas la meilleure de la ligue, tout n’était pas à jeter chez les Bulls, loin de là. Ils possédaient notamment dans leurs rangs deux bons joueurs, en la présence d’Artis Gilmore et de Reggie Theus.
Le premier était un solide pivot, un colosse ultra-puissant de 2 mètres 18 pour 110 kilos. Gilmore venait d’entrer dans la trentaine. Comme Magic, il avait laissé une trace indélébile lors de son cursus universitaire, avec des saisons en 20 points – 20 rebonds de moyenne et un titre en 1970. Il avait d’abord rejoint l’ABA, où il allait être élu Rookie de l’Année et MVP avant de remporter le titre en 1975 avec Kentucky en étant MVP des Finales. En rejoignant la NBA chez les Bulls, il continuait d’écrire sa légende et était déjà deux fois All Star avec Chicago. Gilmore était incontestablement l’un des pivots les plus dominants de la ligue, et sortait d’une saison à 23.7pts et 12.7 rebonds de moyenne. Rebondeur féroce, dur au mal, très bon défenseur, mobile pour son gabarit, plutôt véloce et agile en attaque, c’était un atout considérable pour séduire Magic dans le jeu.
Reggie Theus lui n’était dans la ligue que depuis deux ans, mais du haut de ses 22 printemps il venait déjà de claquer une saison en 20 points et 6 passes de moyenne, si bien qu’on pouvait déjà déceler chez lui un vrai potentiel de scoreur à l’arrière. Pour compléter le backcourt aux côtés de Magic, on pouvait clairement imaginer pire.
Le reste de l’effectif était composé d’une flopée de role players, contribuant de manière plus ou moins régulière. Le front-office des Bulls avait le sentiment que Magic pouvait former un trio de feu, complémentaire et prometteur avec Gilmore et Theus. D’autant plus que le meneur en provenance des Spartans n’était pas le seul nouveau venu à Windy City. Jerry Sloan venait d’être nommé coach principal des Bulls, après une saison en tant qu’assistant. Ancien joueur de la maison, Sloan avait vu son maillot être le premier retiré par la franchise en février 1978 après dix saisons de services. Il était de la maison, respecté, et comptait bien redonner des couleurs aux siens.
***
Avec l’arrivée de Magic, les Bulls avaient conscience qu’ils venaient d’augmenter instantanément leur plafond. Au regard du talent qui était le sien, il ne paraissait n’y avoir aucun monde où Magic Johnson pouvait échouer dans la Grande Ligue, sur le terrain, mais aussi en-dehors.
Dès ses premières sorties, il avait su faire ce qu’il faisait de mieux : séduire. Il savait que Chicago ne bénéficiait pas d’une image de ville idéale auprès du grand public, notamment à cause de la criminalité, des trafics en tout genre et de la pauvreté qui guettait les alentours de la ville. Rod Thorn l’avait prévenu : les habitants de Chicago étaient en manque de lumière, d’espoir, et il allait vite être pris à partie pour devenir ce rayon, cette inspiration qui manquait tant à toute la ville.
Magic savait se vendre, savait intriguer, se montrer sympathique, enjoué, souriant, et avenant en toute circonstance. Certains pensaient que toute cette attitude était finement programmée en coulisses, que c’était un jeu auquel il se livrait pour son image, mais la vérité, c’est que Magic était profondément ce qu’il montrait en public. Derrière ses extravagances, c’était sa soif de vivre qui parlait. Sans filtre, sans retenue, dans le jeu comme dans la vie, Magic était rayonnant. Plus encore, son attitude et sa personnalité lui permettait d’être accepté dans tous les milieux, quels qu’ils soient. C’était ça qui avait également fait tiquer Thorn lors de leur rencontre.
Sur les terrains de basket, la domination de Magic était toute aussi évidente. S’il savait fait l’amuseur public, il ne blaguait plus une fois que ses pieds foulaient le parquet. L’exigence qu’il avait envers lui-même était très élevée, et ses coéquipiers ne tarderaient pas à voir que les concernant, Magic avait également une grande exigence.
Dès le training camp, ses coéquipiers avaient compris qu’ils s’apprêtaient à évoluer aux côtés d’un joueur d’exception. Magic travaillait ardemment pour être prêt dès le premier jour. Il savait qu’il allait hériter d’un rôle prépondérant dans l’attaque des Bulls, un rôle de chef d’orchestre, tout comme il avait pu l’être avec les Spartans. Il lui fallait en conséquence nouer des relations et des automatismes de jeu rapidement, notamment avec Theus et Gilmore qui allaient être ses partenaires privilégiés sur le terrain. Magic devait comprendre leurs points forts, leurs préférences, leurs zones de confort, leurs styles de jeu, et eux aussi allaient devoir s’habituer à leur nouveau meneur. Les passes arrivaient vite, fortes, précises. Les mains devaient être en permanence en alerte. Il fallait faire de l’espace sur les phases de transition, pour laisser le numéro 32 s’engouffrer dans les brèches et faire ce qu’il faisait de mieux : créer. A la fin de la première semaine, joueurs et staff étaient conquis.
Il ne faudrait pas plus de temps au public de Chicago pour embrasser la hype qui se formait. La franchise avait mis le paquet pour essayer d’attirer le plus de monde possible pour l’ouverture de la saison : les quelques partenaires étaient sollicités, on avait joué du bouche à oreille à outrance et on n’avait pas hésité à baisser les tarifs. Surtout, la curiosité jouait son rôle.
Cela faisait des mois que les fans des Bulls entendaient parler de cet OVNI qu’était Magic Johnson en tant que joueur. Depuis son titre universitaire et même avant, on vantait, au-delà de sa personnalité, son jeu, ses qualités physiques, sa vista incroyable, son show. Et puis, tout de même, un meneur de 2m06 quand on y pense, quelle idée… Alors, agissant comme des disciples de Saint Thomas, les habitants de Chicago avaient besoin de voir pour croire. Et c’est peu dire qu’après avoir assisté au spectacle, ils n’en ressortiraient pas déçus…
C’est bien simple, Magic crevait l’écran sur le terrain. On distinguait, où qu’il soit, sa grande silhouette filiforme. Quand il prenait la balle en main, qu’il drivait ses troupes, il y avait quelque chose d’hypnotisant et pas uniquement pour les fans : les défenseurs étaient tous attirés vers lui. Essayant tant bien que mal de le stopper ou de le gêner, il avait une force d’attraction balle en main bien au-dessus de la moyenne, qui permettait à ses coéquipiers de se retrouver bien souvent libre de tout marquage. C’était un vrai showman, extériorisant la moindre émotion que lui procurait le jeu, frustration ou joie, auprès de ses coéquipiers, de ses adversaires ou du public. Chicago avait bel et bien une nouvelle idole, et l’idole un nouveau public.
Dans le sillage de leur nouvel élément, les Bulls reprenaient des couleurs. Jerry Sloan avait directement mis l’accent sur le trio Johnson-Theus-Gilmore qui se dégageait naturellement de son effectif. Avec ce backcourt jeune, plein de fougue et un Artis Gilmore qui, malgré son gabarit imposant, ne rechignait pas à la tâche quand il s’agissait de couvrir du terrain, Sloan avait demandé à son équipe de jouer sur un tempo très élevé pour exploiter au maximum les qualités de Magic. Un temps d’ajustement avait été nécessaire, mais très vite la mayonnaise allait prendre. Passé un 5-8 initial, les Bulls allaient enchainer 8 victoires consécutives, pour se donner un peu d’air et d’avance sur les objectifs.
Dans le sillage d’un Magic qui ne perdait pas de temps pour se faire un nom dans la ligue, les Bulls atteignaient les 44 victoires en fin de saison régulière, soit 12 de plus que la saison précédente. Comme son talent l’avait laissé supposer, Magic avait briller de mille feux dès sa saison rookie. Il était un tel phénomène physique à son poste, doté de qualités naturellement au-dessus de la moyenne en termes de vision, de sens du jeu, qu’il avait redonné de la lumière au très sombre Chicago Stadium. Son association avec Gilmore était, comme l’avait souhaité Sloan, ravageuse. Avec la vista du premier et la dureté physique du second, Chicago disposait d’une arme à deux-têtes redoutée et redoutable. Magic avait passé beaucoup de temps à travailler et peaufiner sa relation avec son intérieur, afin de s’assurer que le timing de l’un convienne à l’autre, qu’ils puissent se trouver rapidement, sans même échanger un regard, observer les positionnements de l’un et de l’autre… Tant de détails qui portèrent leurs fruits, et permirent à Chicago de relever la tête.
Johnson fut au coude-à-coude pour le trophée de Rookie de l’Année avec un certain Larry Bird, qui sévissait chez les Celtics. D’une courte longueur, c’est ce dernier qui allait remporter le titre honorifique. Mais Magic n’était pas reparti de sa saison bredouille : plus tôt, il avait eu le privilège d’être convié au All Star Game pour rejoindre les rangs de la conférence Ouest (ndlr : à cette époque-là, les Bulls étaient encore une équipe de l’Ouest) aux côtés de Kareem Abdul-Jabbar et autres Adrian Dantley. A peine arrivé, déjà intronisé parmi l’élite, comme un symbole…
Avec ce bilan positif, les Bulls avaient réussi à décrocher le dernier spot qualificatif pour les playoffs au détriment des Blazers. Si les vainqueurs de division qu’étaient Seattle et Milwaukee avaient gagné le droit d’attendre le second tour pour faire leur entrée en lice, Chicago allait devoir se battre contre les Lakers au premier tour. Certains appelaient ça le hasard, mais pour Magic, c’était le destin. Il allait affronter pour sa première bataille de playoffs l’équipe qu’il avait voulu secrètement rejoindre il y a un an de ça… L’histoire est parfois malicieuse.
***
“And now… at 6’9, from Michigan State, number 32, your starting point guard… MAGIC JOHNSON !”
Le speaker avait tout donné sur cette présentation, mais il avait su garder son meilleur souffle pour la présentation de Magic. On y était, le premier match en playoffs à Chicago de l’ère Magic Johnson.
Les Lakers avaient remporté le premier match en terres californiennes, et les Bulls devaient répliquer dès ce soir, au Chicago Stadium. La salle était évidemment comble. La billetterie avait été prise d’assaut dès son ouverture, et les habitants de Windy City n’avaient pas compté les heures d’attentes pour aller retirer leurs précieux tickets. Personne ne voulait louper ça, c’était inconcevable, impossible. L’enfant prodige Magic avait réussi à ramener Chicago en playoffs, l’heure était trop belle.
Vu d’un peu plus loin que Chicago, l’engouement pouvait faire rire.
Après tout, Magic n’était qu’un rookie. Il avait certes réalisé une bonne première saison, même très bonne, mais les gens de Chicago le portaient déjà comme le Hercule local, venu sauver la sombre et triste ville d’un destin funeste. D’aucuns disaient qu’il avait bénéficier d’un effet de surprise en tant que rookie, d’autres que le basket offensif prôné par Sloan et dans lequel Magic s’épanouissait ne pourrait être viable une fois en playoffs. Le chauvinisme local pouvait effectivement prêter à rire, mais certainement pas du côté des adversaires des Bulls.
Si depuis quelques années, les visiteurs avaient pris l’habitude de venir en touriste au Chicago Stadium, ils ne pouvaient désormais plus se le permettre. La salle était toujours aussi vétuste, les vestiaires en lambeaux et peu accueillants, et on avait même parfois l’impression qu’il faisait meilleur dehors qu’à l’intérieur. Mais quand la foule s’amassait dans les tribunes, l’ambiance se chargeait en électricité. Quand le public s’embrasait à la présentation des équipes, lorsqu’il rythmait au rythme des dribbles ou passes de Magic, vous entriez dans un territoire qui vous était plus qu’hostile.
Magic contribuait évidemment à cette excitation, il en était même l’instigateur principal, et il avait hâte de passer au niveau supérieur en playoffs. Sa réputation de showman le précédait, mais ceux qui osait encore le réduire à cela uniquement se trompait grandement. Il était avant tout un gagnant, une bête de compétition, un forcené de travail, un acharné. Ses sourires, ses excès, ses fantaisies, tout cela était beau, faisait parler, vendre, mais jamais il n’oubliait son but premier : gagner.
Pour le premier match, à Los Angeles, il avait joué avec raison. Calmant ses extravagances, il avait voulu jouer juste, propre, sans bavure, voulant trop bien faire. Mais ça n’avait pas eu le résultat escompté, bien au contraire. A vouloir trop être parfait, il avait refoulé sa véritable nature. A la sortie du match, Jerry Sloan l’avait pris à part – « Plus jamais ça, ok ? Tu ne me fais plus jamais ça. Soit tu joues comme tu es, soit tu ne joues pas ». Magic avait donc à cœur de se racheter, qui plus est devant ses fans.
Et c’est peu dire qu’il allait être grandiose. La défense des Lakers avait beau essayer, rien ne marchait. Michael Cooper, Nixon, Wilkes, prises à deux, tout-terrain, rien. Magic avait du feu dans les jambes, l’œil vif, et emballait chaque action dès qu’il le pouvait. Il passa sa soirée à régaler de caviars Artis Gilmore et Reggie Theus, rendant impuissant la défense collective des Lakers. Transitions, pick and roll, passes lasers à travers la raquette, au-dessus de l’épaule, jeu au poste, tout y passait. Son activité était incessante des deux côtés du terrain, il semblait voir les espaces avant qu’ils ne soient créés, les coupes avant que les joueurs ne partent. Il termina avec 36 points, 15 passes décisives, 9 rebonds, et la victoire. Une victoire en forme de statement pour le jeune Magic Johnson : non, il n’était pas qu’un rookie, non, il n’était pas qu’un showman. Il était déjà l’un des tous meilleurs. Paul Westhead et les Lakers rentraient aux vestiaires la tête basse, sonnés par cet insolent rookie qui venait de leur faire la totale, le sourire aux lèvres.
Malheureusement pour les Bulls, l’embellie fut de courte durée. De retour à Los Angeles pour le match décisif de la série, les locaux allaient remporter ce troisième et dernier match pour s’imposer 2-1 et accéder au deuxième tour. Magic allait être encore une fois étincelant, refusant de rendre les armes si tôt, si vite. Il fut mieux contenu par Michael Cooper notamment, mais se démena pour porter les siens. Derrière lui, Theus et Gilmore se démultiplièrent également pour tenter de faire le hold-up parfait. Mais la bête blessée s’était réveillée, et Kareem Abdul-Jabbar rappela à tout le monde que si Artis Gilmore était sans doute l’un des meilleurs pivots du monde, c’était lui qui était sur la plus haute marche du podium. Les Bulls durent rompre sous les coups de butoir en forme de skyhook asséné par le pivot californien.
A la fin du match, Magic Johnson et Kareem Abdul-Jabbar se saluèrent. L’iconique pivot, d’ordinaire assez fuyant des accolades et conversations en tout genre, montra un élan de sympathie non-dissimulé pour le jeune meneur des Bulls au micro des journalistes venus recueillir ses mots après la qualification – “Ça aurait été sympa qu’il atterrisse ici finalement ».
Entre éloge et regret, le compliment ne toucha Magic que bien des jours après. A l’instant T, il était trop aveuglé par la haine de la défaite pour pouvoir raisonnablement tenir compte de ce qu’on lui disait. S’il savait que l’avantage du terrain était crucial dans une série au meilleur des 3 matchs, s’il savait que les Lakers étaient intrinsèquement meilleurs qu’eux, s’il s’avait que finalement cette élimination n’avait rien d’illogique, il était tout simplement incapable d’affronter le sentiment de défaite et d’échec aussi sereinement et froidement. Il était en colère, contre lui, ses coéquipiers, son coach, le public, les Lakers, contre la Terre entière. Il intériorisait sa frustration pour ne pas se laisser dépasser par ses émotions, mais il était profondément déçu de s’arrêter si tôt.
Son coach Jerry Sloan, qui avait connu également ses difficiles moments en tant que joueur, le laisser ruminer dans un premier temps, puis passa beaucoup de temps avec son jeune meneur sur le chemin du retour. Il fit prendre conscience à Magic que l’échec qu’ils venaient de connaitre ensemble ne devait pas être destructeur, bien au contraire. Plus il en parlait avec son coach, plus le meneur, même en étant toujours évidemment frustré, paraissait conscient du parcours effectué en un an à peine.
Car en l’espace d’une saison seulement, les Bulls avaient redoré leur blason. Magic Johnson avait redonné le goût du basket aux habitants de Chicago, et avait tout du porte-drapeau que la franchise avait attendue jusqu’à son arrivée. Tout le monde savait toutefois que la route vers le succès était encore longue. Mais les fondations posées cette année avaient fait gagner déjà bien du temps aux Bulls. L’an prochain serait crucial. Ils seraient plus attendus par les équipes adverses, Magic serait plus ciblé, plus surveillé. Il avait déjà hâte d’en découdre.
Alors, heureux de la tournure de votre histoire ? J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle pour vous.
La mauvaise, c’est que je ne peux pas continuer à vous décrire les quinze futures saisons de Magic sous le maillot des Bulls. Notamment parce que j’ai encore plein d’histoires parallèles à écrire et que ça prend beaucoup, beaucoup de temps – croyez-moi. La bonne nouvelle, c’est que vous allez pouvoir faire un nouveau choix, toujours focalisé sur cette aventure Bulls… mais un peu plus large. Voyez-plutôt : en amenant Magic du côté de Chicago, vous avez bougé deux pièces primordiales sur le géant échiquier de l’histoire NBA, deux pans iconiques de cette histoire, qu’il faut absolument approfondir… Mais il va falloir choisir.
Mais attends, elle devient quoi la relation Magic Johnson – Larry Bird du coup ?
Mais attends, on en fait quoi de Michael Jordan du coup ?
III. Magic et Bird, l’enfer avait un visage
Ok, ok… Avant toute chose, rappelez-vous d’un truc : ceci est une fiction. Non mais je préfère prévenir, parce que vous venez de provoquer un séisme. Envoyer Magic Johnson jouer dans la même équipe que Larry Bird, il faut être totalement inconscient, ou totalement fou. Et encore, c’est pas vous qui allait devoir écrire ce qui suit… Mais bon, c’est votre choix. Allons voir ce que tout ça nous réserve. Vous avez voulu Magic et Bird sous le même maillot ? Vous l’avez !
Voilà une chose que Red Auerbach aimait beaucoup. Il avait entre ces mains le pouvoir de décider de l’avenir de sa franchise, mais aussi de la ligue. La pièce était tombée en faveur des Celtics, et Larry O’Brien avait annoncé officiellement que le premier choix de draft 1980 leur était attribué.
Il fallait donc décider quoi faire pour la suite. Les Celtics venaient de réaliser une saison de très grande ampleur, terminant avec un bilan de 61 victoires, soit 32 de plus que l’année précédente. L’effectif avait été remanié de fonds en combles, et surtout, la pépite Larry Bird avait fait son arrivée. Drafté un an plus tôt, mais laissé à la disposition d’Indiana State, Bird avait échoué en finale NCAA avant de rejoindre, pour la saison 1979-80 les Celtics.
Dès son arrivée, il avait transformé l’équipe. 21.2 points par match dès sa première saison, le tout avec 10.4 rebonds, 4.5 passes et 1.7 interception : Larry Bird était un joueur complet, déjà extrêmement mûr et réfléchi. C’est bien simple, on aurait dit qu’il évoluait dans la ligue depuis des années : Rookie de l’année à l’unanimité, All Star, il avait déjà coché toutes les cases. Sur le terrain, il s’occupait de tout, jouant avec une énergie et une passion folle. Il était doté d’une intelligence de jeu hors du commun. Il voyait les espaces avant qu’ils ne soient créés, anticipait les passes adverses, lisait le jeu comme peu étaient capables de le faire.
Dans son élan, Bird avait amené avec lui tout le roster des Celtics. Cedric Maxwell, Dave Cowens, Tiny Archibald et compagnie avaient tous profité du talent de leur jeune star. Malheureusement, la route des playoffs avait été écourtée par les Sixers de Julius Erving et Moses Malone, bien décidés à renouer avec les Finales NBA.
Et voilà que Boston héritait du first pick, avec un certain Magic Johnson, se posant en première option évidente. Johnson et Bird avaient offert à l’Amérique entière la finale NCAA la plus suivie de l’histoire deux ans plus tôt, et il y avait là l’opportunité de les réunir.
Bird et Magic avaient déjà eu une brève expérience en tant que coéquipiers. Ils avaient été tous les deux sélectionnés pour le World Invitational Tournament, un tournoi pour les joueurs universitaires disputé sur cinq jours, avec trois matchs contre Cuba, la Yougoslavie et l’URSS. Ils n’étaient pas les figures de proue de l’équipe américaine pendant ce tournoi, mais déjà ils avaient pu se cerner. Chacun avait été circonspect du niveau de l’autre, Bird trouvait que Magic était le meilleur joueur qu’il ait jamais vu, alors que Magic n’en revenait pas des qualités et prouesses de Bird. Les deux joueurs étaient rentrés chez eux avec une nouvelle source de motivation : être meilleur que Bird pour l’un, meilleur que Magic pour l’autre.
Tout ça, Auerbach ne le savait pas, évidemment. Ce qu’il voyait, c’est qu’il pouvait associer un joueur au talent exceptionnel à un joueur au talent exceptionnel. Si le duo fonctionnait, la NBA appartiendrait à Boston pour dix ans. Il avait un temps considéré envoyer son first pick à la concurrence, pour récupérer un troisième ou quatrième choix avec un asset dans le lot. Mais il n’en fût rien : il fallait Magic.
***
Ça y est, c’était acté, Magic était un Celtic. Auerbach n’avait pas cédé aux propositions des Warriors ou du Jazz, et avait conservé son pick. Magic avait été choisi en premier, suivi de Joey Barry Carroll pour le Jazz, et Kevin McHale pour Golden State.
C’était une union inattendue. Les observateurs NCAA étaient abasourdis : les deux plus gros talents universitaires des deux dernières années allaient évoluer sous le même maillot. Magic et Larry avaient déjà explosé les chiffres lors de leur finale universitaire, et ils avaient le potentiel d’en faire de même pour chaque match NBA qu’ils disputeraient ensemble.
D’un côté, Magic. Son sourire, ses cris, ses joies extrêmes, son charme naturel, l’extravagance personnifiée. De l’autre Larry. Son regard, sa concentration, sa langue acérée, sa réserve naturelle. A première vue, tout semblait les opposer. Mais en réalité, ils partageaient beaucoup plus qu’un maillot vert. Tous deux avaient une profonde intolérance à la défaite, un esprit de compétition exacerbé, une exigence de chaque instant – envers eux-mêmes et leurs coéquipiers, un sens du travail extrême et de très hautes attentes. Ils ne le savaient pas encore à l’époque, mais ils parlaient le même langage sur le terrain. Ce que l’histoire avait commencé à écrire comme une rivalité allait s’avérer être l’une des plus belles collaborations de l’histoire NBA.
Magic était arrivé à Boston beaucoup plus timide qu’à son habitude. Il savait où il mettait les pieds : dans une franchise mythique, déjà empreinte d’histoire et de grands noms, mais surtout chez Larry Bird. Il savait mieux que quiconque que Bird n’était pas comme les autres joueurs. Il l’avait senti. C’était le seul basketteur qu’il avait croisé auparavant et qu’il avait trouvé meilleur que lui. De son côté, l’idole de Boston restait fidèle à lui-même : discret, sans fioritures ou mots en trop. Il avait observé d’un œil lointain toute l’agitation qu’avait provoqué Magic toute l’année, mais n’éprouvait aucune jalousie pour tout ça. Mais il savait lui aussi quel phénomène venait de rejoindre l’équipe. Car lui aussi, avait été impressionné par ce qu’il avait vu de l’ex-Spartan.
Tout le monde attendait de voir ce que pouvait donner cette association entre deux jeunes talents hors normes. Allaient-ils se marcher dessus ou, au contraire, savoir gérer leur cohabitation ? Qui allait être le leader ? Qui allait craquer en premier ? Dans les moindres recoins de la ville, et du pays, les débats faisaient rage. Qu’importe à qui allait la préférence, seul le terrain allait pouvoir livrer sa vérité.
Magic prit la place de meneur titulaire de Boston, au détriment de Tiny Archibald, et allait être associé à Chris Ford sur le backcourt. Larry Bird, Cedric Maxwell et Dave Cowens, qui avait résisté à l’appel de la retraite, formaient le frontcourt celte.
Quand commencèrent les oppositions, les choses se mirent en place avec une facilité déconcertante pour le coaching staff. Magic organisait, comme à son habitude, les phases de transition. Il bénéficiait pour cela d’une énorme qualité pour se projeter en avant. Si le rebond était capté par un intérieur ou un ailier, Magic se présentait à deux mètres de lui, le corps déjà tourné vers la phase offensive. Avec ses longs segments et sa vision périphérique de l’espace, il pouvait en trois ou quatre dribbles créer un espace ou s’engouffrer dans une brèche de la défense. Si le rebond était capté par ses soins, il se tournait directement en direction du panier adverse, le regard à l’affût de la moindre ouverture.
Ayant très vite identifié cette facilité de son nouveau meneur, Bird n’hésitait pas, lorsqu’il voyait Magic prêt à capter un ballon au rebond, à déclencher sa course. De cette manière, il offrait une solution toute prête quand ce dernier tournerait sa tête. Si cette solution n’était pas exploitée, il partait discrètement se positionner dans un corner, pour se faire oublier de la défense. La force d’attraction que représentait Magic ouvrait des espaces géants pour le shooteur qu’il était. Inutile de dire qu’il ne se priva pas de sanctionner les défenses à chaque écart.
Magic apprit aussi à connaitre les forces de son ailier. Bird était un excellent rebondeur, doté d’une vision de jeu très au-dessus de la moyenne. Alors si Larry prenait la gonfle suite à un tir adverse, Magic partait lui aussi à l’avant. C’était la première fois qu’il jouait avec quelqu’un qui semblait doté de la même qualité de vision de jeu que lui. Il eu un peu de mal à s’y faire, mais compris assez vite qu’il pouvait lui aussi en profiter. Quand Larry pénétrait à l’intérieur de la raquette ou qu’il jouait son vis-à-vis au poste, il n’était pas rare que les défenses adverses tentent de le bloquer à deux voire trois joueurs. Il ne restait qu’à Magic à couper droit dans la raquette ou à se décaler d’un mètre pour recevoir la balle orange dans un parfait timing.
Plus les heures d’entrainement et les matchs passaient, plus les deux hommes apprenaient à se connaitre sur le terrain. Vu de l’extérieur, on avait l’impression qu’ils se connaissaient depuis des lustres. Les transmissions étaient fluides, les coupes naturelles, la compréhension directe. Quand l’un demandait la balle, l’autre lui avait déjà envoyée. C’était une cohésion rare, entre deux joueurs au talent bien particulier.
Chacun d’eux conservait sa propre personnalité. Ils n’étaient pas les meilleurs amis du monde en dehors du terrain. Larry ne comprenait pas le goût de Magic pour les strass et les paillettes, les micros, les interviews, les stars et la vie nocturne, tandis que Magic ne comprenait pas comment Larry pouvait se montrer aussi peu enjoué de son statut, agissant parfois comme un ermite, reclus et isolé. Deux salles, deux ambiances. Mais sur le terrain, l’osmose était flagrante.
Le coaching staff était scié. Sur le côté du parquet, seul, observant ses jeunes pousses grandir à vue d’œil, Red Auerbach allumait son cigare, un sourire en coin. Les années à venir allaient être belles.
***
Après chaque déconvenue de la part des siens, c’était l’un des rares moments où l’on pouvait voir Larry Bird expressif. Il était dur, très dur parfois avec ses coéquipiers, y compris Magic. Dans ces moments-là, le numéro 33 n’hésitait pas à pester, à remettre en doute chacun d’eux. Comme pour provoquer un électrochoc, pour stimuler leur fierté. Même si la défaite lui était toute aussi insupportable, Magic devait alors prendre sur lui et jouer le rôle de médiateur. Il était le lien humain du vestiaire, le manager des égos.
Heureusement, les défaites n’étaient pas vraiment habituelle pour la maison verte. En terminant la saison avec la bagatelle de 63 victoires, ces scènes-là furent plutôt rares. Au contraire, quand les C’s remportaient leurs matchs, l’atmosphère était toute autre. Souvent, Bird, Cowens, Ford, Archibald et les autres rentraient dans le vestiaire calmes, avec le sentiment du devoir accompli. Peu de temps après, surtout pour les gros matchs, on voyait débarquer Magic Johnson et Cedric Maxwell dans des grands éclats de rire. Pour Magic, la victoire était aussi jouissive que la défaite était amère. Sa joie était communicative, et des éclats de rires emplissaient le vestiaire quand il s’amusait et se moquait des actions faites sur le parquet quelques instants plus tôt. La légende disait même qu’à cette occasion, Larry Bird esquissait un sourire.
Les Celtics avaient dominé de la tête et des épaules la saison régulière. Magic et Larry furent tous les deux conviés au All Star Game, et le premier fut désigné MVP du match des étoiles. A la fin de la saison, Larry remportait le trophée de MVP, accompagné sur le podium de Julius Erving … Et Magic Johnson. Plus de 24 points, 9 rebonds et 5 passes pour l’un, plus de 19 points, 9 rebonds et 9 passes de moyenne pour l’autre. Un rêve pour les uns, un calvaire pour les autres.
Pour la NBA, c’était une mine d’or. Cette association inattendue quelques mois auparavant était en train de redonner vie à la ligue, dès sa première saison.
Avec leur statut de leader de la conférence Est, Boston était dispensé du premier tour de playoffs. Au second tour, ils allaient devoir affronter Chicago. Ce premier tour de post-saison pour le duo Bird-Magic virera court. Au-dessus du lot, les Celtics remportèrent la série en 5 matchs, ne laissant pas le moindre espoir aux Bulls. Mais au tour suivant, pour les Finales de Conférence, les choses allaient naturellement être différentes. Boston était attendue par l’équipe de Julius Erving, les Philadelphie Sixers, autre épouvantail de la conférence Est cette année-là. Avec un Doctor J toujours aussi aérien et redoutable offensivement, porté par un roster des plus complets autour de lui, Philadelphie avait des arguments de poids à opposer à Boston.
Mais encore une fois, dans le sillage d’un Larry Bird déchaîné et d’un Magic Johnson qui prenait la pleine mesure de ce qu’étaient les playoffs, les Celtics allaient triompher des Sixers, 4 victoires à 2. Erving et les siens allaient tenter tant bien que mal de contenir l’armada verte, mais l’insolence et la jeunesse de Boston était trop forte pour lutter sur la durée. Le TD Garden était en fusion tous les soirs de match à domicile. Magic brillait de mille feux sur le parquet, avec une classe inégalable et naturelle. Chaque contre-attaque, chaque transition était pour lui l’occasion d’un show pour faire éclater la défense, briller les siens, et rugir le stade entier. Il ne trouvait de plaisir que dans cette transe. Dans un autre style, moins exubérant mais tout aussi passionné, Larry Bird dominait également les débats. Son jeu était d’une intelligence et d’une justesse rare. Il jouait, comme Magic, pour ces moments-là.
Ces moments où tout devenait décisif, où rien ne devait être laissé au hasard. Où chaque panier, chaque interception, chaque rebond, chaque détail était un pas de plus vers la victoire. Où chaque erreur, chaque défaite représentait un pas de plus vers la douce mort de l’élimination. Pour Bird et Johnson, l’élimination était une peur, un cauchemar. L’évoquer, c’était déjà, à leurs yeux, admettre qu’elle était possible. Impensable pour eux. Ils étaient parmi les plus jeunes joueurs de la ligue, mais déjà, on pouvait voir qu’ils étaient différents, dans leurs comportements, leurs attitudes, leur envie commune.
Larry Bird et Magic Johnson s’apprêtaient à disputer leurs premières Finales NBA. Derrière eux, toute la ville de Boston les poussait. Dave Cowens, Tiny Archibald et les autres role players s’occupaient de faire le lien entre les deux stars de l’équipe, qui bien que connectées sur le terrain ne se côtoyaient pas réellement en dehors, chacun respectant le monde de l’autre. Les Celtics avaient réussi, au fil de la saison, à se créer une bulle collective où rien ne semblait pouvoir les atteindre… Mais ils leur restaient une marche à gravir pour entrer dans la légende, dans la cour des grands, le cercle des champions NBA.
La bague ne pu leur échapper. C’était écrit. Depuis leurs premières foulées sur le parquet du centre d’entraînement des Celtics, depuis ces premiers signes d’alchimie, ces premières passes échangées, ces premiers regards dans le jeu.
Devant les prouesses de Larry Bird et de Magic Johnson, toute l’Amérique s’était montrée curieuse de ce duo atypique : un grand blanc, blond, moustachu, fan de tracteur et de bières, cliché du paysan de l’Indiana d’un côté et de l’autre un grand noir, mini-afro en place, sourire ultrabright aux lèvres, une passion non-dissimulée pour les soirées et les belles choses de la vie. Ils suscitaient la curiosité du grand public, qui voyait leurs noms de plus en plus fréquemment dans les journaux et s’amassait de plus en plus nombreux au TD Garden ou devant leurs écrans de télévision.
Boston attirait les curieux, fascinait les plus friands de balle orange, et toute la Ligue profitait de ce regain. Partout où Boston se déplaçait, le public se faisait plus nombreux. Les fans des autres franchises apprenaient à détester ce nouveau duo et cette équipe de Boston, dégoûtante de facilité et ultra-dominatrice. Les chaînes de télévision commençait à découvrir le potentiel de ce duo, de cette lueur d’espoir pour la NBA, et voyaient surtout ce qu’il y avait à en tirer.
La ville et la Ligue entière réalisaient à peine l’impact de ce duo exceptionnel. Ce n’était que leur première saison ensemble, et personne n’avait encore idée de l’impact que les deux hommes laisseraient derrière eux… Les personnalités de Magic et de Bird étaient foncièrement différentes, mais sur le terrain, les deux hommes semblaient faits du même bois. Ils auraient pu être les plus beaux rivaux du monde, comme l’histoire avait commencé à le décider avec cette finale NCAA mythique, mais au lieu de ça, ils étaient en passe de devenir le duo le plus dominant de l’histoire NBA…
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Et voilà, c’en est terminé de votre aventure !
Si vous avez un goût d’inachevé en bouche, un goût de « Eh mais j’en veux encore, raconte la suite ! », et bien c’est que j’ai bien fait mon boulot. Le monde ouvert par vos choix et par toute cette histoire est un monde de possibilités infinies, et le temps manque pour pouvoir creuser de fond en comble chaque branche possible et imaginable. Imaginer Magic Johnson sous un autre maillot, c’est déjà n’importe quoi, alors imaginez un peu quand vous devez l’imaginer aux côtés de Larry Bird sous le maillot de Boston et réécrire la meilleure histoire que ce sport ait connu ! Croyez-moi, c’est mieux pour ma santé que je m’arrête là.
L’idée, vous l’aurez compris – du moins j’espère –, n’est pas d’avoir un esprit révisionniste, idéaliste, de proclamer que ces histoires inventées de toutes pièces auraient été meilleures à vivre que la réalité, loin de là. Justement même, c’est tout le contraire.
Ces histoires sont avant tout là pour témoigner du fait qu’un simple lancé de pièce un soir de 1979 à changer à jamais la face du basket mondial et la face de la NBA. Si cette pièce était tombée ce soir-là de l’autre côté, tout ce que l’on connait de la Grande Ligue aurait été chamboulé, renversé, tous les codes, les histoires, les champions, héros, légendes.
C’est en quelque sorte un hommage qui ne porte pas son nom à la NBA actuelle, à Magic Johnson, à cette foutue pièce qui m’a fait écrire des heures durant des histoires qui me paraissaient totalement folles tellement elles étaient éloignées de ce que l’on connait. Et puis aussi parce qu’écrire des histoires, c’est toujours bien.
On se dit à très vite pour de nouvelles aventures !
III. Salt Lake City : swing Magic, swing !
Ok, donc on envoie l’une des personnalités des plus charismatiques, showman, strass & paillettes de l’histoire NBA à Salt Lake City, au milieu des Mormons. Très bien. Non mais après, comprenez-moi, je n’avais encore jamais voyagé avec un psychopathe… Mais faisons comme si tout cela était normal : Magic Johnson sous le maillot du Jazz, pourquoi pas. En route !
“Allo, Magic ? Ce sera Salt Lake City, le Jazz va te prendre en 1st pick“
Son agent venait de lui lâcher le morceau. Magic s’y était préparé, plus ou moins. Il s’était préparé à l’idée d’atterrir à Boston, dans la franchise de son néo-rival Bird déjà chargée d’histoire, mais aussi à l’idée d’arriver à Salt Lake City, dans une franchise jeune, qui venait de déménager de la Nouvelle-Orléans à cause de problèmes financiers et de mauvais résultats. D’une extrême à l’autre, en somme. La pièce lancée par Larry O’Brien avait choisi son camp, et avait décidé d’enfin placer la franchise du Jazz sous une bonne étoile, celle du first pick, et donc de Magic. “Enfin !” titraient les journaux locaux, soudainement soulagés de voir le ciel du Jazz s’éclaircir.
Il faut dire que la franchise n’avait pas démarré son histoire NBA du mieux possible. Le Jazz avait vu le jour lors de la saison 1974-75, au sein de la Nouvelle-Orléans. Malgré un effectif avec quelques bons joueurs, comme Spencer Haywood ou le magicien aux genoux de cristal Pete Maravich, les résultats sportifs ne suivaient pas réellement. Surtout, les problèmes financiers commençaient à peser lourd sur les finances de la franchise. Les taxes, la location de la salle onéreuse, le manque d’investisseurs et d’intérêt autour de l’équipe étaient autant de contraintes qui poussaient le front-office à opter pour un déménagement, 5 ans seulement après son installation.
Le choix de la nouvelle destination du Jazz surprit quelques observateurs. Salt Lake City était un plus petit marché encore que la Nouvelle-Orléans, mais il avait une chose précieuse : la curiosité du public. La ville avait accueilli de 1970 à 1976 le Utah Stars, équipe de ABA extrêmement populaire. Le Jazz voulait redorer son blason et partir avec un nouvel élan dans cette nouvelle maison… Mais malheureusement, la première saison fut catastrophique, avec 24 victoires malgré l’arrivée d’Adrian Dantley dans le roster – 28 points par match.
Cette première saison catastrophe eut au moins le mérite d’offrir à Utah un cadeau précieux : le droit de sélectionner Magic Johnson. Le Jazz se cherchait une identité, une figure, pour enfin décoller aux yeux des fans et des autres franchises, et Magic était le candidat idéal pour relever le défi. Le front-office de la franchise le savait, tant il l’avait suivi en NCAA durant ses deux ans à Michigan State et tant Magic avait fait la Une à l’annonce de sa candidature à la draft.
Le jeune homme avait toute la panoplie nécessaire pour devenir le messie tant attendu par le Jazz et ses fans. Sa personnalité était comme son jeu : flashy, extravagante, rayonnante. Où qu’il aille, quoi qu’il dise, il dégageait une espèce d’aura naturelle, un charisme inné, qui poussait ses interlocuteurs à la fascination et les séduisait quasiment instantanément. Fans, journalistes, observateurs extérieurs, tous se montraient curieux du jeu de Magic sur le terrain, et de sa personnalité en dehors. Il était encore jeune, mais semblait déjà maitrisé tous les codes d’une personnalité publique. Il était à l’aise devant les caméras, les micros, les journalistes, et même mieux, il aimait ça.
Quand l’annonce fut faite que le first pick revenait à Utah, on avait pu entendre ou lire qu’un joueur comme Magic ne méritait pas de jouer à Salt Lake City ; qu’une personnalité aussi forte ne pouvait s’épanouir là-bas, qu’elle était forcément faite pour être ailleurs, là où l’exposition serait meilleure.
Magic lui n’avait aucun problème avec cette idée-là. Bien sûr, il aurait préféré être dans une équipe établie, constante, solide, mais il savait également que c’étaient les aléas de la draft que de démarrer dans des environnements moins faciles. A Utah, il savait qu’il serait attendu comme le sauveur, ou du moins comme celui qui pourrait enfin faire passer un cap à la franchise, et il n’y trouvait aucun inconvénient. Depuis ses années universitaires et même avant, il avait l’habitude de porter une équipe, d’être responsabilisé, et d’être au centre du jeu.
En arrivant au Jazz, il savait qu’il serait dans la même position qu’à Michigan State. Hormis Adrian Dantley, le roster n’était pas fourni en joueurs référencés ou calibrés titulaires, la voie était donc dégagée pour que Magic puisse briller. Surtout que le front-office savait quel joueur il venait de choisir, et Frank Layden, le nouveau coach, avait lui aussi conscience du potentiel du jeune homme. Tous n’avaient qu’une idée en tête : confier les clés du camion à Magic et Dantley.
L’objectif de cette première saison était clair : séduire le public, construire un fond de jeu sur le duo Magic-Dantley afin de faire grandir l’équipe avec eux. Mais Magic n’était pas qu’un joueur showman, il était aussi un compétiteur hors pair. Alors lui dire que l’objectif principal n’était pas de viser les playoffs ou le titre, c’était insensé, tout aussi jeune rookie qu’il fut.
Magic jouait pour gagner, peu importe avec qui, peu importe comment et où. Son jeu était flashy, enthousiaste et soulevait les foules, soit, mais tout ça n’avait qu’un but : gagner. Au fond de lui, il se doutait également qu’il allait devoir construire et amener cette culture de la gagne à sa nouvelle franchise, mais il allait devoir être patient…
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Les débuts de Magic sous le maillot du Jazz furent tonitruants.
Avec une liberté quasi-totale en attaque avec Dantley, il faisait ce qu’il savait faire de mieux : driver une équipe. Très vite, les gradins se remplirent grâce aux bruits qui parcouraient la ville au sujet de ce nouveau prodige venu d’ailleurs qui enflammait le parquet. Magic Johnson menait l’attaque du Jazz au rythme des solos de saxophone qui avait pu raisonner à la Nouvelle-Orléans. Un vrai chef d’orchestre, frappé d’une fougue insolente. Les fans furent conquis en deux temps trois mouvements devant les excentricités et les éclairs de génie de leur nouveau meneur.
Dans le jeu, Magic faisait ce qu’il avait toujours fait : des conduites de balle rapides, de la création encore et encore, et un jeu up tempo dès que possible pour éviter que la défense ne se mette en place. Avec Dantley sur l’aile, Magic avait trouvé un partenaire de luxe pour lancer les transitions et pour se régaler des cut et backdoor provoqués.
Dantley était un formidable scoreur, capable de se créer son shoot lui-même ou de jouer sans ballon, de finir au cercle ou à distance. Il avait vu dès les premiers jours d’entrainement qu’évoluer avec un meneur comme Magic changeait la donne. Ce dernier était un véritable aimant à défense, et était capable de fixer la défense d’un simple regard, pour délivrer des passes parfaites techniquement dans des angles parfois improbables. Alors en travaillant un peu son placement et en se calquant sur les mouvements de son capitaine de jeu, Dantley arrivait à scorer panier après panier avec une facilité encore plus naturelle qu’à son habitude.
Derrière ce duo impactant, quelques joueurs réussissaient également à tirer profit de l’arrivée de Magic. Par les passes qu’il faisait, les décalages qu’il créait, il arrivait à trouver en permanence des coéquipiers en mouvement ou démarqués. Il était pleinement dans le rôle de facilitateur de jeu qui lui sciait à merveille. Le début de saison du Jazz fut surprenant pour une équipe habituée à la galère, bien que l’équipe ait encore du mal à trouver de la stabilité dans l’enchainement des matchs.
A la mi-saison, la franchise avait déjà remporté plus de matchs que durant toute la saison dernière. Mais si l’équipe était en progrès par la simple arrivée de Magic, elle était encore loin de pouvoir jouer les cadors. La faute notamment à un roster assez faible en dehors de Johnson et Dantley. Si le premier arrivait à faire éclore un ou deux role players du collectif, le manque de profondeur et de talent brut empêchait le Jazz d’aller plus haut.
Pour la seconde partie de saison, le Jazz s’effondra. Alors que les joueurs de Layden étaient dans les équipes playoffables au cours du mois de mars, ils vont totalement s’effondrer dans un road trip de 4 matchs consécutifs qui allaient mettre à leurs espoirs de playoffs. Malgré tout, Utah fit le dos rond pour la fin de saison, et atteignit les 38 victoires, à deux doigts du bilan positif.
En conséquence, les premiers playoffs qu’il vivait depuis l’intérieur de la NBA, Magic dû se contenter de les regarder à la télévision.
Il avait été élu sans grande surprise Rookie de l’Année, après avoir bouclé sa première saison avec 20.3pts, 8.1 rebonds et 8.3 passes de moyenne. Après avoir été convié en tant que remplaçant au All Star Game, il avait été nommé dans la All NBA 2nd Team, une nomination loin d’être anodine pour un rookie. Il était le seul joueur de son équipe avec Dantley à être au-delà des 15 points par match. Mais pour Magic, tous les honneurs étaient peu de choses comparé à la frustration qui l’animait : il n’avait pas réussi à qualifier le Jazz pour les joutes printanières, et était forcé de regarder la bataille pour le titre de loin.
Il détestait ce sentiment d’échec et d’impuissance, au plus profond de lui-même. Il ne pouvait pas s’empêcher de ressentir une immense frustration, voire de la colère, aussi froide soit-elle. Il savait depuis le premier jour que son aventure au Jazz n’allait pas être un chemin doré vers la gloire, sans encombre, mais sa seule incertitude était de savoir s’il saurait se montrer assez patient…
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Pour la saison 1981-82, Magic savait que les choses allaient être différentes le concernant. Il fallait qu’il confirme son exceptionnelle saison rookie, et qu’il le fasse face à des défenses préparées.
En tant que rookie, même s’il avait vite bénéficié d’une petite réputation, les coaching staffs adverses n’avaient pas nécessairement prévu de plan de jeu pour le contrer. Maintenant que l’effet de surprise était passé, le meneur allait devoir s’habituer aux pressions défensives plus hautes, aux chiens de garde qui allaient lui coller aux baskets, tout en confirmant que sa première saison n’était pas une exception.
Alors il se prépara tout l’été. Suivant les consignes de son coach Layden, il travailla son shoot extérieur et ses gammes techniques offensives. Il fallait qu’il devienne, à côté de Dantley, la deuxième menace au scoring, de manière régulière. Sa nature n’était pas celle d’un pur scoreur, comme son coéquipier. Magic était profondément animé d’un altruisme parfois excessif, mais inconscient.
Il ne faisait pas exprès de chercher la petite passe supplémentaire, de faire le décalage en plus, de chercher du regard ses coéquipiers en permanence, ou d’anticiper leurs mouvements dans les espaces libres : c’était naturel. Quand il jouait, c’était comme s’il voyait les déplacements une demi-seconde en avance. Il avait une faculté à voir le jeu et son déroulement même s’il n’avait pas toutes les zones en visuel. Il devinait les coupes, les choix défensifs, et plus encore, il pouvait les dicter.
Son terrain de jeu préféré ? Les phases de transition. Dans ces moments où la défense essayait de combler les trous, de refaire son retard pour stopper l’attaque qui se déployait, c’est là que tout son génie se matérialisait. Il déployait ses immenses jambes, atteignant la zone offensive en trois foulées. Dans les travées de la salle, les spectateurs se levaient déjà, attendant la pépite que leur meneur allait leur délivrer. Une fois en zone offensive, il se retrouvait face à une défense sur les talons. Et là commençait l’enchaînement terrible : un dribble long pour passer un défenseur, un regard à droite, un à gauche, la balle qui passe devant, qui se stoppe, qui navigue devant le nez du défenseur. Puis d’un coup, d’un geste, une main qui fuse. Dans le dos, derrière la tête, par-dessus l’épaule, en l’air, peu importe. La passe était partie, forte, précise, directe. Quand le défenseur tournait la tête vers le panier, la balle était déjà par terre.
Mais il allait devoir forcer son talent, sa nature, pour parvenir à parfois écarter cet altruisme et se forcer à créer pour lui-même. Sans ça, Dantley serait trop seul au scoring. Pour ce faire, il travailla notamment au poste. Du haut de ses 2m06, aucun meneur ou arrière ne pouvait rivaliser avec lui à cet endroit-là.
Il travailla également sa défense. Son gabarit était un atout offensivement, mais il fallait aussi qu’il l’exploite défensivement. Le Jazz était trop faible dans le secteur pour que Magic se permette l’inverse. S’il pouvait anticiper les mouvements et déplacements des joueurs en attaque, il n’y avait aucune raison qu’il ne puisse pas en faire de même de l’autre côté du terrain. Son sens du placement, ses longs segments et ses anticipations devaient lui faire passer un cap en la matière, qui aiderait grandement le Jazz.
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Dans le sillage d’un Magic surmotivé, le Jazz commença la saison 1981-82 pied au plancher. S’il était certes plus attendu par les défenses, les plans de jeu établis contre Magic ne suffirent pas à stopper le phénomène que Salt Lake City abritait.
Les défenses qui comptaient lui laisser plus d’espaces, pour le forcer à lâcher la balle au plus tôt, furent désemparées quand Johnson montra une agressivité vers le cercle qu’il n’avait pas eu sa première saison. Il était beaucoup plus incisif dans ses pénétrations, n’hésitant pas à déplier sa grande carcasse pour aller décrocher des paniers ou des fautes au cercle. Il mit directement au service des siens tout le travail abattu durant l’été, en se démenant des deux côtés du terrain pour agir en vrai leader.
A ses côtés, Adrian Dantley profitait de ce Magic plus agressif. Les défenses devaient bien souvent choisir leur poison, et devant la proportion de Magic à créer sans cesse du jeu, les défenseurs se concentraient de plus en plus dessus, ce qui laissait parfois respirer Dantley. Or, laisser un attaquant de son calibre respirer pouvait être une erreur fatale… Dantley colla dès l’entame de saison des performances remarquables, dont 45 points sur la tête des pauvres Warriors dès le 2ème soir de la saison. La complémentarité du duo permit au Jazz de remporter 20 victoires avant le 31 décembre, chose invraisemblable deux ans auparavant.
Signe du regain de vie d’Utah, Magic et Dantley étaient tous les deux conviés au All Star Game 1981 de Cleveland. Magic avait déjà confirmé son statut de joueur à part entière, honorant là sa première titularisation au match des étoiles. Utah, le petit marché NBA, qui avait hérité de la franchise du Jazz dans un piteux état, avec des soucis financiers à répétition, une structure bancale et une histoire plutôt morose, commençait à entrevoir un peu de soleil dans le sillage de Magic Johnson.
Les efforts combinés de Magic et Dantley avaient permis au Jazz d’arriver au All Star Break parmi les équipes playoffables. Mais en seconde partie de saison, les corps commencèrent à ressentir ces efforts. Comme la saison passée, l’effectif n’était ni assez profond, ni assez talentueux pour venir au secours des deux phares de Salt Lake City. Dantley se blessa au mollet droit, et fut éloigné des terrains pendant près de quinze jours, qui s’annonçaient comme décisifs pour le Jazz. Magic fut dans l’obligation de se démener corps et âme pour essayer de faire survivre les siens. Sur la période, il tourna à 25pts, 10.5 rebonds et 6.1 passes, troquant son costume de chef d’orchestre pour celui de soliste offensif.
Au bout de l’effort, le Jazz parvint, pour la première fois de son histoire, à terminer une saison avec un bilan à l’équilibre, 41-41. Ce bilan leur permit, sur le dernier match de la saison, ponctué par le premier triple-double en carrière de Magic Johnson – 24 points, 13 rebonds et 15 passes décisives –, de décrocher la dernière place qualificative pour les playoffs.
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Magic terminait sa saison sophomore avec 23.5 points par match, 7.8 rebonds et 9.1 passes par match. Il avait tapé du poing sur la table en l’absence de Dantley, et avait confirmé son statut de star en puissance. D’ailleurs, ce n’était plus un jeune joueur NBA. Au regard du traitement que lui réservait les médias quels qu’ils soient, Magic était en train de devenir un vrai personnage de l’univers NBA.
Il s’apprêtait à goûter quelque chose dont il ne pourrait bientôt plus se passer : l’adrénaline des playoffs. Depuis la NCAA, il n’avait pas regoûter à la joie des matchs à élimination. Ces matchs où le droit à l’erreur est infirme, voire inexistant. Une autre ambiance allait alors apparaître à Salt Lake City. Bientôt, la ville serait en fusion.
Pour ce premier affrontement dans son histoire, le Jazz devait affronter… Les Lakers. Trois ans après que les californiens furent priver du first pick 1979 au profit des Bulls, trois ans après que Magic eut finalement décidé de tourner les talons à la NBA, ils se retrouvaient face à face, en playoffs.
Les Lakers s’étaient bien débrouillés malgré la désillusion inhérente à la draft de Magic Johnson. Avec le 2nd pick de draft qui leur avait été accordé, ils avaient sélectionné Sidney Moncrief, capable d’évoluer sur les postes 1 et 2, très athlétique, pas maladroit avec ses mains, mais surtout énorme défenseur. Los Angeles comptait toujours dans ses rangs l’inoxydable Kareem Abdul-Jabbar, 33 ans, qui dominaient encore les raquettes avec 28.3pts, 11.5 rebonds et 2.9 contres par match. Avec des joueurs comme Michael Cooper, James Wilkes ou Jim Chones, l’iconique pivot était bien entouré. Surtout, les Lakers étaient armés pour le Jazz, et partaient avec l’étiquette de favoris.
Moncrief et Cooper étaient deux des seuls extérieurs de la ligue capables de tenir le duo Johnson-Dantley. Les deux hommes étaient athlétiques, très solides sur leurs appuis, avec un cardio d’enfer et des qualités naturelles qui avaient de quoi faire pâlir les meilleurs attaquants de la ligue. Cette pression très forte sur les extérieurs permettait à LA de confiner Abdul-Jabbar à un rôle d’épouvantail et de tour de contrôle dans la raquette, ce qui lui permettait d’être plus présent en attaque.
Avec un premier tour se disputant au meilleur des 3 matchs, quand vous n’aviez pas l’avantage du terrain, l’exploit était rare, voire impossible. Malheureusement pour Utah, ils ne furent pas l’exception confirmant la règle cette saison-là.
Dès le premier match, coach Layden comprit que son duo d’attaque allait être mis dans un inconfort permanent. Johnson trouvait en Moncrief un vrai poison, qui l’empêchait de se mouvoir à son aise, de développer son jeu rapide. Cooper s’occupait du cas Dantley avec brio, le coupant de sa relation privilégiée avec Magic. De la sorte, LA obligeait Utah à responsabiliser ses role players, qui n’avaient ni le talent ni les épaules pour porter leur équipe à la victoire.
Au match 2 à la maison, galvanisé par l’appui du public, Magic sortit une performance titanesque, avec 34 points, 12 rebonds et 16 passes décisives. Malgré la pression constante de Moncrief dans ses pattes, il était allé chercher ses lancers-francs les uns après les autres, et avait obligé son adversaire à venir le défier au poste, où son avantage de taille lui donnait une marge de manœuvre considérable. Mais de retour à Los Angeles pour le match 3, les Lakers donnèrent la leçon au Jazz. Kareem Abdul-Jabbar, face à une raquette trop faible et sans aucun rempart à sa domination, livra une performance magistrale, terminant la partie avec 37 points, 11 rebonds et 6 contres. Sur la série, le pivot tournait à 30 points de moyenne, avec quasiment 4 contres par match. Une domination sans égale, qui permit à Los Angeles de filer au second tour.
Désabusé, désarmé, déçu et en colère devant ce sentiment d’échec et de défaite qu’il haïssait tant, Magic fut, pour la première fois, sans mots devant les micros et journalistes qui s’amassaient à la fin du match. La défaite lui nouait la gorge, et il n’acceptait pas l’évidence du résultat.
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Magic en était persuadé : il fallait que le Jazz bouge. Dans la configuration actuelle, avec seulement Dantley et lui pour mener l’équipe, Utah n’arrivait à rien. Passée la colère de l’élimination, le constat était là, froid et implacable : ils avaient atteint leur plafond de verre Pour faire mieux, il fallait changer des choses, bouger, tenter. Magic demanda à être entendu par le front-office, qui comprit ses remarques, mais devait également faire face à une réalité : Salt Lake City, et le Jazz, était un petit marché. Les finances avaient été mises à mal dès les débuts de la franchise, et l’équipe ne pouvait pas se renforcer en débauchant des agents libres sans compter.
Magic fut de marbre devant cette réponse. Il ne concevait pas qu’une équipe ne mette pas tous ces moyens pour arriver à l’ultime but qu’était la victoire. Alors il prévint une dernière fois les dirigeants, avec son franc parler habituel : « Si on ne bouge pas, il n’arrivera jamais rien ici. Et je refuse qu’il ne m’arrive rien dans ma carrière. ».
Quelques semaines plus tard, à la draft 1982, le Jazz avait cerner les besoins de l’effectif. Il fallait plus de profondeur de banc et également plus de poids dans la raquette. Magic devait être séduit par ce qui allait arriver l’été, sous peine de voir la pépite du Michigan avoir des envies d’ailleurs… Avec leur 11è choix de draft, ils jetèrent leur dévolu sur Clark Kellog, ailier-fort de Ohio State, qui venait d’être élu MVP de la Big Ten Conference. Kellog était joueur technique, avec un très bon sens du placement en attaque et au rebond.
Au quatrième tour, avec son pick 72 et alors que tout le monde s’apprêtait à aller se coucher, le Jazz mit la main sur un certain Mark Eaton, un géant de 2m24 pour 124 kilos, déjà âgé de 26 ans. Eaton avait joué très peu à UCLA, mais coach Layden avait eu une intuition en se renseignant sur lui. Layden avait apprit que Wilt Chamberlain, qui allait souvent s’entrainer à UCLA, avait vu la frustration d’Eaton, et lui avait conseillé de se concentrer sur des choses que quelqu’un de sa taille devait faire : protéger le cercle, gober des rebonds, passer la balle aux arrières, rien de plus, rien de moins… Pile ce dont avait besoin le Jazz.
Avec Kellog et Eaton, Utah avait rempli sa mission sur le papier. Restait à voir si le tout allait prendre forme sur le terrain…
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Et voilà, c’en est terminé de votre aventure !
Si vous avez un goût d’inachevé en bouche, un goût de « Eh mais j’en veux encore, raconte la suite ! », et bien c’est que j’ai bien fait mon boulot. Le monde ouvert par vos choix et par toute cette histoire est un monde de possibilités infinies, et le temps manque pour pouvoir creuser de fond en comble chaque branche possible et imaginable.
Cette partie sur Utah vous semble peut-être désuète d’intérêt aux premiers abords, et je peux le concevoir. Mais quand on continue un peu le déroulé chronologique, on arrive à un point crucial de l’histoire d’Utah : voyez plutôt…
L’histoire que je vous ai présenté ici s’arrête à la draft 1982, avec la saison 1982-83 en ligne de mire. Si Utah avait vraiment eu dans ses rangs Magic Johnson, s’il avait progressé main dans la main avec Eaton et Dantley, est-ce que le Jazz, un an plus tard, en 1984, aurait été en position pour drafter John Stockton ? Et en 1985, est-ce que le Jazz aurait eu l’opportunité de prendre Malone ? C’est sur le long terme que cette fiction sur Magic et Utah était folle, alors si le temps ne me permet pas d’aller voir aussi loin, j’espère que votre imagination aura au moins été stimulée !
L’idée, vous l’aurez compris – du moins j’espère –, n’est pas d’avoir un esprit révisionniste, idéaliste, de proclamer que ces histoires inventées de toutes pièces auraient été meilleures à vivre que la réalité, loin de là. Justement même, c’est tout le contraire.
Ces histoires sont avant tout là pour témoigner du fait qu’un simple lancé de pièce un soir de 1979 à changer à jamais la face du basket mondial et la face de la NBA. Si cette pièce était tombée ce soir-là de l’autre côté, tout ce que l’on connait de la Grande Ligue aurait été chamboulé, renversé, tous les codes, les histoires, les champions, héros, légendes.
C’est en quelque sorte un hommage qui ne porte pas son nom à la NBA actuelle, à Magic Johnson, à cette foutue pièce qui m’a fait écrire des heures durant des histoires qui me paraissaient totalement folles tellement elles étaient éloignées de ce que l’on connait. Et pourtant, pourtant ça aurait pu être possible…
On se dit à très vite pour de nouvelles aventures !
III. Magic et Bird, wild wild est
Et bah merci de poser la question ! Parce qu’en me forçant à imaginer Magic Johnson sous le maillot des Bulls, vous avez tiré un trait sur toute la rivalité Lakers-Celtics, certes, mais surtout sur la rivalité Johnson-Bird ! Enfin, peut-être pas tout à fait… Laissez moi voir.
Juin 1980 – Intersaison
Quelque temps après l’élimination subie contre les Lakers, Magic vit ceux-ci échouer en Finales NBA contre les Sixers de Philadelphie. Julius Erving et Moses Malone avaient réussi à dominer les troupes de Kareem Abdul-Jabbar et remportaient leur premier titre de champion.
Il s’était secrètement réjouit de la qualification des Sixers en Finales, notamment car en finales de conférence ils avaient passés l’obstacle Boston. Magic s’était vu voler le trophée de Rookie de l’Année par Larry Bird, et il n’aurait pas supporter le voir accéder à ses premières Finales avant lui.
Depuis l’université et ce point d’orgue qu’avait été la mythique finale NCAA 1979, les deux jeunes hommes avaient toujours été comparés. Leurs histoires respectives et leurs personnalités avaient nourri les fantasmes de tous les observateurs lors de leur dernière année universitaire, et tous avaient attendus que cette rivalité naissante passe au niveau supérieur en NBA. Lors de leur année rookie, les deux ne s’étaient croisés sur les parquets qu’à deux reprises, pour une victoire chacun.
Bird était à Boston ce que Magic était à Chicago : un nouveau souffle, et déjà un joueur adulé par les siens et par son public. Dès son arrivée, il avait transformé l’équipe. 21.2 points par match dès sa première saison, le tout avec 10.4 rebonds, 4.5 passes et 1.7 interception : Bird était un joueur complet, déjà extrêmement mûr et réfléchi. C’est bien simple, on aurait dit qu’il évoluait dans la ligue depuis des années : Rookie de l’Année et All Star, il avait déjà coché toutes les cases. Sur le terrain, il s’occupait de tout, jouant avec une énergie et une passion folle. Il était doté d’une intelligence de jeu hors du commun, voyait les espaces avant qu’ils ne soient créés, anticipait les passes adverses, et lisait le jeu comme peu étaient capables de le faire. Autant de points qui le rapprochaient de Magic Johnson.
Quand les deux joueurs s’étaient côtoyés lors du World Invitational Tournament en 1978, chacun était rentré chez lui convaincu que l’autre était le meilleur joueur qu’il ait vu jouer. Cette mini-expérience partagée leur avait permis de se remotiver chacun dans leur coin, pour se pousser à aller encore plus haut, encore plus fort. Depuis lors, jamais ils ne s’étaient trop quittés du regard. Bird avait une sorte d’admiration cachée pour Magic, et inversement. Ils savaient leurs points communs, mais savaient aussi que dans la jungle du terrain, il ne pouvait y avoir qu’un vainqueur. Et parmi leurs ressemblances, une envie immense de gagner, de l’emporter, et un profond dégoût de la défaite.
Alors quand Magic avait vu Bird échouer, sa conscience était un peu soulagée. Il n’aurait pas accepté de voir Bird triompher avant lui, tout comme Bird n’aurait pas supporter la chose inverse.
Pour la saison à venir, suite à une restructuration de la Grande Ligue, les Bulls allaient passer dans la conférence Est, de la division Midwest à la division Central. Et ceci avait pour conséquence notable que Bulls et Celtics allaient se croiser beaucoup plus souvent qu’à l’accoutumée. Sept matchs au programme dans le calendrier de la saison 1980-81, et surtout sept occasions pour Magic et pour Bird de se jauger dans la quête de leur objectif final commun : les Finales NBA, et le titre. Aucun n’avait une autre issue en tête.
***
Mai 1981 – Finales de Conférence Est
« Fais chier, putain ! Oh les gars ! Vous allez pas me faire croire qu’on est pas capable d’aller faire chier ce mec ! »
Magic était furieux. Artis Gilmore, le vétéran du vestiaire des Bulls, tentait tant bien que mal de contenir son coéquipier, mais il ne comprenait que trop bien sa frustration. Chicago avait été impuissant contre Larry Bird durant ce troisième quart-temps.
Bulls et Celtics en étaient au game 6 de leur confrontation en finales de conférence. Les cinq matchs précédents avaient été disputés à couteaux tirés, se jouant tous à moins de 8 points d’écart. Magic et Bird se livraient depuis le premier match un duel en haute altitude, essayant à chaque match de mener leur troupe à la victoire. Leur confrontation directe permettait de voir ce qu’eux-mêmes savaient au fond d’eux depuis quelques temps maintenant : ils étaient faits d’un bois différent des autres. Imperméables à la pression, à l’enjeu d’une finale de conférence ou d’un moneytime, chacun jouait avec une maturité telle qu’ils donnaient l’impression d’être habitués de ce folklore théâtral qu’étaient les playoffs.
Leur duel était tout simplement beau, dans le jeu et dans l’histoire. Le basket et l’énergie qu’ils déployaient pour la victoire finale transcendaient leurs coéquipiers et leurs publics, et même au-delà. L’engouement autour de cette finale de conférence Est était absolument dingue, voire unique. C’était le retour de la rivalité universitaire qui avait passionné l’Amérique entière deux ans plus tôt, mais cette fois-ci chez les grands, avec au bout non pas un titre NCAA, mais un accès aux Finales NBA.
Les journalistes s’étaient emparés des histoires de Magic d’un côté et de Bird de l’autre, et avaient bercé les foyers américains de leur parcours, de leur rencontre, de leur historique. Ce n’était que deux jeunes hommes de 21 et 24 ans, mais ils étaient en train de devenir plus que de simples joueurs de basket.
Magic était considéré comme le phare d’une ville trop longtemps plongée dans l’ombre, comme la lueur d’espoir d’un Chicago sombre, assimilé à la misère, à la pauvreté, à la délinquance. On l’érigeait en exemple pour les jeunes afro-américains, qui voyaient en lui un véritable héros, un modèle, une référence. Ses épaules portaient un poids considérable, celui d’être le porte-parole, ou du moins le représentant d’une cause jusqu’à présent trop souvent ignorée. Bird, lui, était montré comme le digne héritier de la maison Celtics, celui qui devait reprendre le flambeau des glorieuses années passées pour assurer à Boston un futur encore meilleur. Il était devenu l’étendard de cette ville et d’une Amérique qui se reconnaissait en lui, le petit blanc-bec redneck, le jeune fermier venu de l’Indiana. Souvent, à la lecture des papiers qu’on pouvait lire sur leur rivalité, on pouvait deviner que derrière le simple duel « Magic vs Bird » se cachait un combat social et identitaire que jamais aucun d’eux n’avait voulu.
Ni Bird, ni Magic n’étaient à l’aise avec cette idée, avec les stéréotypes ou causes qu’on pouvait leur attacher. Ils s’en étaient toujours tenus au terrain et au basket depuis leur arrivée en NBA. Ils n’avaient que la balle orange comme moteur, comme principale motivation. Quand Bird parlait de Magic, il ne parlait pas d’un jeune afro-américain représentant la ville de Chicago, il parlait d’un meneur de jeu de 2m06 terrifiant à affronter et imprévisible. Quand Magic parlait de Bird, il ne parlait pas d’un redneck représentant l’Amérique blanche, mais d’un ailier doté d’une science et d’une intelligence de jeu remarquable.
Ni Bird, ni Magic n’étaient à l’aise avec cette idée, avec les stéréotypes ou causes qu’on pouvait leur attacher. Ils s’en étaient toujours tenu au terrain et au basket depuis leur arrivée en NBA. Ils n’avaient que la balle orange comme moteur, comme principale motivation. Quand Bird parlait de Magic, il ne parlait pas d’un jeune afro-américain représentant la ville de Chicago, il parlait d’un meneur de jeu de 2m06 terrifiant à affronter et imprévisible. Quand Magic parlait de Bird, il ne parlait pas d’un redneck représentant l’Amérique blanche, mais d’un ailier doté d’une science et d’une intelligence de jeu remarquable.
Mais rien de tout ça ne comptait à l’instant T. Magic était en colère, Bird venant d’inscrire 15 points dans le seul et unique troisième quart-temps de ce game 6 crucial. Crucial car Boston menait 3-2 la série, et alors que les Bulls menaient d’une dizaine de points à la mi-temps, les Celtics étaient revenus dans leur ombre à l’aube des douze dernières minutes. Chicago ne menait plus que de deux petits points, et aucune solution défensive des hommes de Windy City n’avait réussi à contenir l’incendie Bird, et encore moins à l’éteindre. Magic essayait de provoquer un électrochoc chez ses coéquipiers, une prise de conscience.
Il ne voulait pas que la montée en puissance de Bird devienne une force incontrôlable, que les Bulls allaient devoir regarder les écraser sans pouvoir bouger le moindre petit orteil. Magic se refusait à cet état léthargique. Il continua à pester et à essayer de provoquer quelque chose chez ses partenaires. Jamais auparavant il ne leur avait fait passer un tel message, lui qui était toujours dans le positif, dans l’encouragement, mais il sentait que les choses étaient en train de tourner et qu’il fallait remettre le train sur les rails. Ses coéquipiers comprirent à son attitude qu’ils ne pouvait pas rester Il passa les premières minutes du 4è quart-temps sur le banc, pour se reposer en vue des dernières minutes qui s’annonçaient comme déterminantes. A son retour sur le parquet, les Bulls menaient toujours de deux points, et Bird s’apprêtait également à revenir en jeu.
Et la bataille entre les deux jeunes ogres était monumentale. Œil pour œil, dent pour dent, coup pour coup, Magic et Bird se rendait la pareille à chaque action. Bird continuait ses coups de butoir, en enchainant la défense de Chicago au poste et en profitant du moindre espace pour faire cramer la ficelle. Magic continuait à transpercer les lignes celtes, à attirer la défense comme un aimant, et à crucifier les Celtics à la moindre faute d’inattention. Le chronomètre filait inéluctablement vers sa fin, l’air se faisait de plus en plus rare, et l’atmosphère du Chicago Stadium se chargeait en électricité de seconde en seconde. Bientôt, le parquet allait rendre son verdict.
***
Monumental. Tout simplement monumental. Les murs avaient failli exploser tant la foule en délire avait rugi, déchargeant toute la tension emmagasinée dans ce moneytime insoutenable. Quelques minutes plus tôt, Magic Johnson venait de crucifier les Celtics au buzzer, arrachant l’égalisation à 3 victoires partout.
Sur un énième jumper au poste de Larry Bird, pourtant bien contesté par Gilmore, les Celtics étaient parvenus à revenir à égalité, avec moins de 14 secondes à jouer. Les Bulls avaient intelligemment conservé un temps-mort, que Jerry Sloan ne se priva pas de prendre. Tout le monde savait quel joueur hériterait de la balle, mais comme souvent avec Magic, personne n’était capable de savoir ce qu’il allait en faire.
14 secondes
Theus était chargé de la remise en jeu. Sur un jeu d’écran, Magic hérita de la balle en tête de raquette, Bird en défense sur lui. Il temporisa le jeu durant de courtes secondes, analysant l’espace. Le public, voyant le duel Johnson-Bird se dessiner et prendre forme plus que jamais sous ses yeux, se leva comme un seul homme. Magic se dirigea sur la gauche du terrain, ordonna à ses coéquipiers de dégager le quart de terrain. Il se positionna de dos à Bird, près à le défier au poste grâce à son avantage de taille naturel.
7 secondes
Il commença à enfoncer Bird sur un premier dribble. Sur un deuxième. Sur le troisième, il savait que la défense des Celtics allaient réagir. Ça ne manqua pas. Robert Parish décrocha le marquage sur Artis Gilmore, en restant sur ses gardes. Quand Magic vit l’ombre de Parish arriver vers lui, il se redressa et feinta une passe en direction de son pivot par-dessus la potentielle double team. Ce geste bref et rapide obligea Parish à marquer un temps d’arrêt.
3 secondes
Quand le pivot celte recula, Magic renfonça Bird un dernier coup sur un nouveau dribble et s’éleva dans les airs, aux abords de la raquette. Bird avait un temps de retard, mais réussit à suivre Magic dans son geste. C’est alors que le meneur des Bulls déploya son bras en skyhook, le geste cher à Kareem Abdul-Jabbar, le même qui avait mis un terme aux espoirs de Chicago il y a un an de ça. La balle s’éleva dans les airs, et amorça sa descente vers le filet pour le transpercer. Buzzer.
La folie s’était emparée de la ville entière quelques secondes après ce shoot miraculeux de l’idole de tout un peuple. L’image de Magic Johnson, le bras tendu au-dessus d’un Larry Bird impuissant fit rapidement le tour des télévisions et des journaux. Dans cet acte II de la rivalité Magic-Bird, on venait là d’assister à un moment unique, disputé les yeux dans les yeux entre les deux principaux protagonistes. Mais une fois la folie de l’instant retombée, Magic savait qu’il avait simplement contribuer à garder en vie les siens. La route n’était plus très longue pour accéder à ses premières Finales NBA, mais le dernier obstacle était de taille : un game 7, à Boston, dans le bouillon du Boston Garden.
***
Les fans de Chicago avaient placé la barre très haute lors du dernier match, mais le public de Boston n’était pas reste lorsqu’il s’agissait de soutenir son équipe. Les habitants de la ville entière s’étaient regroupés aux abords du Boston Stadium pour s’y frayer un chemin. Ceux qui n’avaient pas eu la chance de décrocher un billet s’étaient précipités dans des cafés, des bars ou autour de la télévision d’un ami. Ils étaient tous, qu’importe l’endroit, chargés d’un stress unique en son genre, celui du quitte ou double, du do or die, celui d’un game 7 si précieux.
L’expérimenté Artis Gilmore avait prévenu ses coéquipiers : l’entame de match allait être décisive. Si les Celtics surfaient sur l’ambiance de la salle, ils allaient devenir quasiment injouables. Si les Bulls faisaient le dos rond dans les premiers instants de la partie, tenaient le rythme et le combat que Boston allait leur imposer, ils auraient les armes pour les faire douter plus tard dans la partie. Mais malgré les avertissements de leur aîné, les Bulls allaient être pris à la gorge d’entrée par des Celtics ultra-déterminés, trouvant le chemin du cercle sur chacune de leurs attaques. Bird et McHale faisaient souffrir les intérieurs de Chicago tour à tour, et les Bulls surnagaient à peine.
A la fin du premier quart-temps, Boston comptait 13 points d’avance. Le Boston Garden était en transe depuis le coup d’envoi, et n’avait pas eu l’occasion de redescendre en pression depuis. Chaque temps-mort pris par Jerry Sloan pour tenter de couper le rythme et le momentum des Celtics était une occasion pour le public de se faire entendre encore plus. A la mi-temps, les choses ne s’étaient pas arrangées. Boston continuait de voguer sur l’avance acquise, et côté Bulls, le ciel était toujours aussi sombre. Gilmore n’arrivait pas à peser outre mesure, aux prises avec Robert Parish sous les cercles. Theus était lui complètement absent, en perdition au niveau adresse. Seul Magic arrivait à survivre dans ce spectacle en forme de tragédie pour Chicago. Il tentait tant bien que mal de laisser le wagon Bulls à distance des Celtics, portant le roster sur ses épaules pour ne pas franchir le point de rupture.
A la mi-temps, dans le vestiaire, Magic haussa le ton à nouveau, pour tenter de provoquer un ultime électrochoc :
“Les gars, on ne peut pas continuer comme ça. On ne peut pas se laisser bouffer comme ça, partout, dans tous les secteurs, dans toutes les phases de jeu. Larry et McHale sont en train de nous tuer, on arrive pas à imposer notre rythme, il faut qu’on court les gars, qu’on envoie du jeu ! On a plus rien à perdre, on est à 15 points et il reste une putain de mi-temps avant qu’on rentre chez nous ! Si vous comptez déposer les armes maintenant dites-le au coach, qu’il colle votre cul sur le banc, mais si vous avez envie de vous battre revenez sur le terrain et prouvez le, merde !“
Le discours de Magic fit écho dans le cœur de ses coéquipiers. Theus revint sur le parquet avec de toutes autres intentions, se mettant dans le rythme en faisant les petites choses d’abord, les bonnes transitions, coupes, transmissions, rebonds, décalages, puis en prenant les tirs que la défense lui laissait d’abord, puis en forçant le trait ensuite. Gilmore se démenait dans son combat de titans contre Parish, et faisant de son maximum pour aider les siens offensivement. Magic tentait d’impulser du rythme, de la course, jouant la carte du va-tout offensif à 1000%. A la fin du 3è quart-temps, les Bulls avaient refait la moitié de leur retard, et ne pointaient plus qu’à 7 longueurs des Celtics.
Côté celte, Bird avait senti le vent tourner au retour des vestiaires. Il savait que Magic avait dû remotiver ses troupes, et qu’il ne déposerait pas les armes si facilement. Ils étaient faits du même bois, et jamais dans leurs esprits abandonner n’avaient été une option, même largués de 15 longueurs à la mi-temps d’un game 7 à l’extérieur. Les Bulls s’étaient relancés petit à petit et Boston, pris dans une sorte de confort et de sentiment de supériorité, s’était laissé rattraper à petit feu. Larry était fou furieux à l’aube du 4è quart-temps, n’hésitant pas à réprimander violemment certains de ses coéquipiers trop permissifs défensivement. Au fond de lui, il savait que Magic était capable de tout : il fallait éteindre tout espoir.
Malheureusement pour les Bulls, il n’y eut pas de nouveau moneytime de génie de la part de leur leader Magic Johnson. Ce dernier avait tenté, jusqu’au bout, de faire trembler la maison verte et blanche, mais en face, Larry Bird avait décidé de mettre un terme à la bataille. Dans les 4 premières minutes du dernier quart-temps, les deux second unit s’étaient neutralisées, comme paralysées par l’enjeu. Au retour des starters, Larry Bird avait pris les choses en main. Sur 4 attaques consécutives, il se joua de la défense des Bulls. Main gauche, main droite, mi-distance ou au poste, Bird était on fire. Le Boston Garden rugissait de nouveau, réveillé par la série de leur numéro 33. Sur une transition lancée par ses soins, Larry envoya une longue passe sous le cercle en direction de Kevin McHale, que celui-ci ne se priva pas se convertir, faisant exploser la salle. Les Celtics reprenaient 12 points d’avance, avec 5 minutes à jouer.
Magic eut beau essayer de lancer un dernier run, le buzzer final arriva trop tôt pour permettre aux siens de se rapprocher de nouveau au score. Quand la sirène se fit entendre, Magic comprit la sentence. Boston s’imposait 98-87, et filait vers les Finales NBA, les premières de l’ère Larry Bird.
Chicago échouait une nouvelle fois dans sa quête de titre. Magic fila directement en direction de son banc, le visage fermé. Il resta assis de longues secondes, laissant les joueurs de Boston venir à lui pour les habituelles salutations de fin de match. Quand Larry Bird s’avança, les deux joueurs échangèrent une brève poignée de main ainsi que les mots d’usage. Les festivités avaient déjà commencé sur le parquet, et devant ce spectacle qu’il trouvait dégoûtant, Magic se dirigea dans les vestiaires.
Isolé du bruit, de la fête et des autres, il retrouva en bouche de même goût amer et désagréable de la défaite, le même qu’il avait déjà ressenti l’an dernier, lors de la défaite contre les Sixers. Mais cette défaite-là faisait encore plus mal, non seulement car elle intervenait aux termes d’un game 7, mais surtout car elle intervenait contre les Celtics, et contre Bird. Il savait qu’il allait être désigné comme le perdant de leur premier duel de playoffs, mais ce n’est pas ça qui le gênait vraiment : c’était que lui-même se considérait comme perdant. Le terrain avait rendu son verdict, et il était clair. La pilule allait être particulièrement dure à avaler, et les discours réservés aux fameux « beaux perdants » n’étaient définitivement pas de ceux qu’il voulait entendre.
En quittant le Boston Garden, Magic se retrouva au milieu des reporters, qui avaient attendu de nombreuses minutes de le voir sortir pour avoir sa réaction. Il ne voulait pas paraître accabler par cette défaite, encore moins à terre. Quand on lui demanda son ressenti sur cette élimination toute fraîche, Magic fut très direct :
« Ils ont été meilleurs sur ce match, rien à dire. J’espère qu’on retrouvera les Celtics l’an prochain, qu’on reviendra les défier. Si ce jour arrive, on sera prêt, et on viendra gagner. Ils ont eu peur de nous cette année, ils y passeront un moment ou à un autre. ».
***
Dans les bureaux de la Ligue, David Stern se frottait les mains. Il avait disposé sur son bureau tout un paquet de journaux qu’on lui avait remonté un peu plus tôt. Tous parlaient du triomphe de Bird sur Magic, et des Celtics sur les Bulls. Il avait lu à plusieurs reprises le terme « rivalité », et c’était exactement le genre d’histoire qu’aimaient l’Amérique. Une histoire tout droit sortie d’un scénario hollywoodien, celle d’une rivalité plus que naissante, entre deux jeunes joueurs aux nombreux points communs mais aux personnalités diamétralement opposées, et dont l’envie de gagner surpassait tout. C’était exactement ce qu’il fallait à la Ligue, exactement ce qu’il avait attendu depuis qu’il avait vu cette finale NCAA 1979 qui les avait opposés Il ne lui restait qu’à faire monter la sauce correctement. Ces deux jeunes avaient dans leurs mains l’avenir de la Ligue, il en était persuadé. Chicago et Boston, Magic et Bird. L’avenir était à eux.
***
Et voilà, c’en est terminé de votre aventure !
Si vous avez un goût d’inachevé en bouche, un goût de « Eh mais j’en veux encore, raconte la suite ! », et bien c’est que j’ai bien fait mon boulot. Le monde ouvert par vos choix et par toute cette histoire est un monde de possibilités infinies, et le temps manque pour pouvoir creuser de fond en comble chaque branche possible et imaginable. Imaginer Magic Johnson sous un autre maillot, c’est déjà n’importe quoi, alors imaginez un peu quand vous devez réinventer totalement sa rivalité avec Larry Bird… Croyez-moi, c’est mieux pour ma santé que j’arrête là !
L’idée, vous l’aurez compris – du moins j’espère –, n’est pas d’avoir un esprit révisionniste, idéaliste, de proclamer que ces histoires inventées de toutes pièces auraient été meilleures à vivre que la réalité, loin de là. Justement même, c’est tout le contraire. Ces histoires sont avant tout là pour témoigner du fait qu’un simple lancé de pièce un soir de 1979 à changer à jamais la face du basket mondial et la face de la NBA. Si cette pièce était tombée ce soir-là de l’autre côté, tout ce que l’on connait de la Grande Ligue aurait été chamboulé, renversé, tous les codes, les histoires, les champions, héros, légendes. C’est en quelque sorte un hommage qui ne porte pas son nom à la NBA actuelle, à Magic Johnson, à cette foutue pièce qui m’a fait écrire des heures durant des histoires qui me paraissaient totalement folles tellement elles étaient éloignées de ce que l’on connait. Et pourtant, pourtant ça aurait pu être possible…
On se dit à très vite pour de nouvelles aventures ! Merci à ceux qui ont tenu le coup d’être arrivés jusque-là, sincèrement.
III. Magic et Mike, à la croisée des chemins
Avouez que quand vous avez cliqué sur « Chicago ! » il y a quelques minutes, vous n’aviez pas pensé à ça. Pour les gens qui y ont pensé d’emblée, bien joué. Oui, car qui dit Magic Johnson à Chicago, dit une équipe des Bulls bien meilleure – en théorie – et donc… une équipe qui ne serait pas en position de choisir Michael Jordan en #3 à la draft 1984.
Alors qu’advient-il de Jordan ? Où atterrit-il à sa sortie de North Carolina ? A quoi ressemble la fin des années 80’s ? Et puis, qu’est-ce qu – bon, vous avez compris l’idée. L’impact de votre décision sur Michael Jordan, voilà ce que vous vous apprêter à découvrir. En route !
Chicago, 19 juin 1984
Magic venait de s’installer devant son poste de télévision. Avec quelques-uns de ses coéquipiers, ils avaient prévu de regarder la draft en direct, afin de voir quels allaient être les choix du front-office des Bulls, et pour découvrir également les futurs visages qu’ils allaient côtoyer sur les parquets. Très marqué par son passage universitaire à Michigan State, Magic avait toujours gardé beaucoup d’affection pour la NCAA. Il suivait autant que possible l’évolution des principales équipes du pays, les Spartans en tête.
Les Rockets avaient le premier choix, suivis de Portland et Dallas. La tendance des derniers jours semblait confirmer le choix de Houston de prendre avec leur first pick le jeune intérieur sorti tout droit de la fac locale, Hakeem Olajuwon. Le mystère entourait le choix de Portland, mais ceux-ci semblaient favorables à se pencher sur un intérieur, restait à savoir lequel, entre Sam Bowie, Sam Perkins, ou encore Charles Barkley, plus petit mais plus physique et mobile. Magic avait beaucoup entendu parler de la nouvelle pépite sortie tout droit du North Carolina sous l’aile de Dean Smith, un jeune nommé Michael Jordan. Dans le système de Smith, très rigoureux et où il n’y avait que peu de place à l’improvisation, Jordan avait su structurer son jeu – les mauvaises langues disaient même qu’on l’avait bridé – , et il était, à ce qu’on disait de lui, un phénomène physique rarement observé, animé d’un esprit de compétition très affirmé. Magic était intrigué.
David Stern, le nouveau commissionnaire qui venait tout juste de prendre la place de Larry O’Brien, s’apprêtait à annoncer les sélections des franchises, une par une. Dans le salon de Magic, on avait déjà lancé les paris.
Olajuwon fut assez logiquement choisi en première position par les Rockets. Portland jeta finalement son dévolu sur Sam Bowie. Des doutes avaient fusé ces derniers jours sur le physique de ce dernier, dont les genoux avaient déjà été mis à rude épreuve à l’université. « Ils sont fous, il va pas tenir 3 ans en NBA le gamin avec les trucs qu’il traine » déclara Reggie Theus, affalé dans le canapé, un bol de chips dans les mains. « En tout cas, ça fait de la viande fraîche sous les paniers tout ça ! C’est plus de mon âge, putain. » lui répliqua Gilmore, qui allait fêter ses 35 ans dans quelques mois. Magic lui suivait attentivement le déroulé de la draft. Dallas allait faire son choix. Avec Mark Aguirre et Rolando Blackman, Dallas était bien équipé sur les ailes mais trop léger dans la peinture : le choix, logique, fut celui de Charles Barkley. Venait le 4è choix, celui des Sixers.
Avec Julius Erving, Moses Malone, Andrew Toney ou même Maurice Cheeks dans le roster, Philly était déjà un concurrent sérieux au titre depuis plusieurs années, et ce 4è pick, récupéré via un trade avec les Clippers, pouvait les propulser en favori et renforcer la concurrence pour les Bulls à l’Est… Tous les joueurs des Bulls présents dans le salon de Magic se redressèrent, tous étant conscients de ce qui se jouait. Theus arrêta les chips, Gilmore les blagues. David Stern refit son apparition sur l’estrade, et annonça le choix effectué par les Sixers : Michael Jordan.
Le seul poste où le talent était défaillant chez les Sixers était le poste 4, et ils avaient un temps espéré et négocié avec les Mavs pour que ceux-ci leur laisser choisir Barkley. Malheureusement pour eux, Dallas ne souhaitait pas mettre en péril sa base arrière, et voulait se renforcer dans la raquette. Se faisant, Philly se rabattu sur le meilleur joueur disponible, Michael Jordan. « Ils vont faire comment avec Toney ? » questionna Magic. Il était perturbé par ce choix, car les Sixers avaient en Toney un joueur qui venait d’être All Star deux fois de suite aux côtés de Julius Erving et Moses Malone. « Je sais pas, mais j’aime pas ça » lui répondit Gilmore.
***
Et bien on ne lui avait menti. Quand il avait annoncé son souhait de s’inscrire à la draft, on avait dit à Michael Jordan que la NBA lui réserverait son lot de surprises. Depuis qu’il avait choisi le basketball comme voie, il savait qu’il mettrait les pieds dans le monde professionnel. Il avait connu certaines embuches sur son chemin, mais il était désormais aux portes de son premier objectif. Car oui, dans sa tête, la NBA n’était qu’une étape
Depuis déjà quelques étés et quelques temps, il partageait le gymnase avec certains joueurs NBA. Il aimait à les défier, comme il avait toujours aimé défier ceux qu’on considérait meilleurs que lui, pour montrer à qui voulait le voir qu’il pouvait les regarder dans les yeux sans trembler. Jordan avait toujours cet air fougueux, insolent, sûr de lui, sans peur et crainte. En arrivant à l’université de North Carolina, il avait intégré le programme prestigieux et très encadré de Dean Smith. Smith est le premier entraineur qu’il rencontrait qui lui fit passer un message clair et net : pas de passe-droit, pas de privilège. Le jeune Jordan dû se plier à la chose et au système Smith, en-dehors mais surtout sur le terrain.
Les différents observateurs qui suivaient Jordan de près depuis plusieurs années, à travers les camps et sélections nationales juniors, voyaient ainsi ce dernier se plier à un système qui pouvait sembler le brider. Pour eux, qui avaient vu Jordan à l’œuvre contre des joueurs de son âge ou de sa génération, et qui l’avait vu dominer de la tête et des épaules grâce à ses qualités physiques hors normes et ses qualités de scoreur bien au-delà de la moyenne, on était proche du gâchis. Mais le système de North Carolina eu au moins le mérite de faire travailler d’autant plus Jordan sur d’autres aspects de son jeu, de le mettre à l’écoute d’un système, d’un coach, d’une philosophie entière qui était présente avant lui et qui perdurerait bien après son passage.
Il avait marqué la ligue universitaire dès sa première année, avec le titre glané par North Carolina en 1982 contre Georgetown, et ce shoot décisif qui donna la victoire aux siens. Dans l’ombre de James Worthy d’abord, puis dans le premier rôle ensuite, il avait effectué 3 saisons de grande qualité sur le circuit NCAA. Mais il était convaincu d’en avoir fait le tour et n’en pouvait plus d’attendre son tour.
Quand la loterie délivra le vainqueur du coin toss et l’ordre de sélection, le jeune Michael Jordan et sa famille n’avaient aucune idée d’où il pourrait bien atterrir. Il savait simplement que les Rockets allaient sélectionner Olajuwon avec leur premier choix. Mais pour le reste, il ne savait rien. Il espérait être drafté le plus haut possible, comme si cette place était le fruit de toutes les années de travail qu’il avait déjà abattu. Quand il vit Portland passer son tour et sélectionner Sam Bowie, il comprit que ces derniers n’avaient pas souhaité tenter le pari de l’associer avec Clyde Drexler. Vint le tour de Dallas. Avec Aguirre et Blackman, les postes extérieurs étaient déjà réservés. Jordan était persuadé de pouvoir prendre leur place à terme, mais les Mavericks privilégièrent Charles Barkley, pour renforcer leur raquette trop faible. Le choix 4 appartenait à Philadelphie. Et le cœur de Jordan se mit à taper d’autant plus fort contre sa poitrine.
Il faut dire qu’à Philadelphie, il y avait l’un des rares joueurs qui avaient inspiré le jeune Jordan. L’un des rares joueurs pour lequel il vouait une réelle admiration, dont il était réellement fan depuis plusieurs années. Une inspiration, un modèle, une référence : Julius « Doctor J » Erving. L’ailier virevoltant des Sixers était une légende vivante. Jordan connaissait tout de lui : son titre NBA, ses titres ABA, son style, ses records, ses trophées de MVP, ses dunks mémorables, son influence… Et voici que l’opportunité se présentait pour lui d’évoluer à ses côtés, pour quelques années encore au moins.
Quand David Stern remonta sur l’estrade, s’approcha du micro et déclara : « Avec le 4ème choix dans cette draft 1984, les Philadelphie Sixers sélectionnent Michael Jordan, de North Carolina ! », le jeune joueur d’UNC sentit l’émotion l’envahir. Moses Malone, Julius Erving, Maurice Cheeks, une franchise installée, historique, une équipe compétitive… Le décor semblait idéal. Jordan oublia presque sur le moment que Philadelphie comptait déjà Andrew Toney à son poste, qui venait d’être deux fois All-Star. Il était aux anges au moment de monter sur l’estrade pour serrer la main du commissionnaire. Le rêve devenait réalité.
***
A l’aube de la saison 1984-85, Magic savait que la compétition allait être âpre, dure, mais ô combien palpitante. Il était devenu l’un des visages de la NBA, et ses duels à répétition avec Larry Bird, son plus fidèle ennemi aux Celtics, avaient créé une hype sans précédent auprès du grand public. Magic représentait les Bulls comme jamais ils n’avaient été représentés. Il était, depuis deux saisons maintenant, le meilleur passeur de la ligue, avec plus de 12 caviars de moyenne. Il était devenu plus qu’un meneur, un vrai capitaine de bord, un leader charismatique hors pair.
Dans son élan, il avait été suivi par Artis Gilmore, qui semblait rajeunir d’années en années en se régalant des offrandes de son meneur, et par Reggie Theus, son fidèle compère sur le backcourt. Comme il l’avait laissé entrevoir lors de ces deux premières saisons, Theus était devenu un formidable scoreur, garantissant à Chicago 20 points a minima soir après soir, avec une efficacité redoutable. La jeune ligne arrière Magic-Theus s’était développée ensemble, et formait un duo très complémentaire sur le terrain. Le banc avait été renforcé, avec la présence de role players efficaces, qui acceptaient le travail de l’ombre sans rechigner et sans faire de vagues.
Pour se renforcer, Chicago venait de mettre la main sur Marques Johnson, en fin de contrat à Milwaukee après y avoir passé 7 saisons, dont 4 avec le statut de All-Star. C’était un joueur expérimenté, très précieux des deux côtés du terrain, qui apportait au frontcourt de Chicago un peu de rugosité bienvenue.
Les Bulls venaient d’atteindre le stade des Finales de conférence à l’Est. Ils s’étaient livrés un duel sans merci face aux Celtics, au meilleur des 7 matchs, après avoir renversé les Sixers du MVP Moses Malone au tour précédent. C’était la deuxième saison consécutive qu’ils parvenaient à atteindre ce stade, mais encore une fois ils avaient dû s’incliner, cette fois aux termes d’un game 7 mémorable, disputé dans une atmosphère de folie au Boston Garden. L’avantage du terrain leur avait coûté cher, et malgré leurs efforts en saison régulière, Boston avait terminé avec le meilleur bilan de la ligue. Le duel entre Magic et Bird avait été complètement dément, constituant le point d’orgue de cette saison 1983-84. Un réel affrontement, où chaque coup était rendu au double. La NBA surfait sur cette rivalité, qui durait depuis la finale NCAA 1979. Cette fois, c’était l’homme en vert qui en était repartit victorieux, tout comme c’est ce dernier qui avait soulevé le trophée des Finales NBA, devant un Magic Johnson furieux de ce spectacle devant sa télévision.
Cela faisait maintenant deux fois que Celtics et Bulls se rencontraient en playoffs, et tout portait à croire que c’était loin d’être fini. Mais il fallait être fou pour faire abstraction de Philadelphie et des Sixers, qui venaient de rajouter à leur solide roster une nouvelle pièce prometteuse avec ce jeune Michael Jordan.
La saison fut une nouvelle fois très bonne côté Bulls. L’intégration de Marques Johnson se fit sans grande difficulté, et son apport fut immédiat offensivement et défensivement. Magic Johnson continuait sa domination, et était désormais clairement le meilleur meneur de la Ligue. Il continuait à mener les siens de main de maître, agissant sur le terrain en véritable maestro. Il dictait les consignes, plaçait ses coéquipiers en cas de besoin, et était souvent à l’origine des plus belles envolées des Bulls au score. Il continuait à régaler le public dans son style si caractéristique, avec son physique atypique pour un meneur, ses grandes foulées, ses passes inattendues, spectaculaires, et toujours aussi efficaces. Pour la 4ème saison de suite, il termina meilleur passeur de la saison avec 12.4 passes de moyenne par soir, le tout accompagné de 18.1 points et 7.2 rebonds par match.
Le trio Bulls-Celtics-Sixers avaient joué au chat et à la souris toute la saison durant. Finalement, les Celtics arrachèrent le bénéfice de la première place, juste devant les Bulls et les Sixers. Encore une fois, le rival Boston avait doublé Chicago sur les derniers matchs de la saison. Les playoffs pointaient déjà le bout de leur nez, avec les Hawks d’Atlanta au programme pour les troupes de Magic Johnson. L’affrontement tourna court, les Bulls renvoyant les Hawks en trois matchs secs. L’autre étape s’annonçait beaucoup plus difficile et problématique : victorieux des Nets 3 victoires à 1, les Sixers se mettaient en travers du chemin de Chicago. Les Sixers d’Erving, Malone, Cheeks… Et Jordan.
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Il était incapable de dire si cette saison était semblable à ce qu’il avait imaginé. A vrai dire, il n’arrivait plus à dire ce qu’il s’était ou non imaginé. Dès ses premiers pas dans la franchise des Sixers, il sentait qu’il avait mis les pieds dans une terre de basket à part entière.
Julius Erving avait suivi d’un œil son cursus universitaire à North Carolina, tout comme Malone, Cheeks et les autres joueurs majeurs de Philly. Tous savaient que le gamin qui débarquait ne poserait pas de difficultés pour intégrer un système déjà bien rôdé en ayant fait ses gammes chez Dean Smith. En revanche, ce qu’ils n’avaient peut-être pas vu venir, c’est que ce même gamin allait tout faire pour bousculer la hiérarchie et ça, dès qu’il en aurait l’occasion. Certes, Erving était son idole de jeunesse, certes il avait un respect immense pour les joueurs qu’étaient Doctor J ou encore Moses Malone, mais cela ne l’empêchait pas d’avoir la même rage de vaincre contre eux lorsqu’il s’agissait de gagner ses galons dans l’équipe.
Passés les premiers instants de découverte de ce nouveau milieu qui allait être le sien pour les années à venir, Jordan comprit qu’à Philadelphie non plus, il n’y aurait pas de passe-droit. Il allait devoir prouver à son coach, Billy Cunningham, qu’il avait largement le niveau pour aider ces Sixers à remporter un nouveau titre. Dès les premières sessions d’entrainements, lorsque Cunningham faisait les fameuses séquences d’opposition entre titulaires et remplaçants, l’égo de Jordan était touché, piqué au vif. L’idée même d’être dans l’équipe désignée comme la plus faible le révoltait, et il voulait à chaque fois prouver que peu importe le statut qu’on lui conférait, la seule vérité était celle du terrain. Jordan était plus grand qu’Andrew Torney, son concurrent direct au poste 2. Il était également plus athlétique que lui, et plus rapide également.
Dès ces premières confrontations, Jordan avait subjugué ses coéquipiers par son aisance technique, mais surtout par la dimension physique qu’il apportait à son jeu. Avec un joueur comme Julius Erving dans le roster, les Sixers étaient pourtant habitués aux envolées spectaculaires, mais il y avait en Jordan quelque chose d’autre, une férocité inhabituelle, un temps de suspension supplémentaire qui le faisait flotter dans les airs quand les défenseurs eux amorçaient leur chute. Il était animé d’une envie furieuse de gagner, chaque jeu, chaque exercice, chaque confrontation.
Il y avait un autre point chez Jordan qui interpellait ses coéquipiers, et également le staff : sa confiance. Plus que de la confiance, on pourrait même parler d’assurance. Peu importe son statut de rookie, Jordan n’hésitait pas à haranguer ses coéquipiers, à provoquer les vétérans et à bousculer les codes. Cet aspect de la personnalité de Jordan mit Erving, Malone et coach Cunningham en garde. Tous voyaient pleinement le potentiel de la nouvelle pépite qui avait rejoint leurs rangs, mais ils voyaient aussi ce qui l’animait : une furieuse envie de dominer, de vaincre, d’écraser. Or, ce désir absolu pouvait s’avérer destructeur s’il n’était pas géré ou canalisé. Nul besoin de griller les étapes, Jordan devait éclore avec le temps.
Mais ça, c’était en théorie. La pratique, elle, força le destin. A mi-saison, peu de temps après le match de Noël, Torney se blessa. Lors d’un match très rugueux contre les Knicks, l’immense pivot Bill Cartwright chuta sur le genou de Torney à la suite d’un rebond, alors que celui-ci était de dos à l’action. Le genou se plia immédiatement, et l’arrière hurla au sol. Les examens médicaux furent unanimes : fin de saison pour l’arrière All-Star des Sixers. Un coup d’arrêt pour les siens, qui surfaient alors sur une vague de 8 victoires d’affilée. Coach Cunningham lança alors Jordan dans le grand bain, lui qui avait passé la première partie de saison dans un rôle de scoreur avec la second unit. L’adaptation allait devoir être rapide, et Jordan allait devoir vite intégrer son nouveau rôle dans le cinq majeur pour ne pas que Philly perde de sa superbe.
Et c’est peu dire que le jeune Michael Jordan allait être à la hauteur de la tâche. Il reprit le flambeau laissé par Torney sans une once d’hésitation, saisissant sa chance dès les premiers matchs. Avec ses 1m98, il était plus grand que la plupart des postes 2 qu’il rencontrait, sans compter ses qualités physiques qui lui donnaient un avantage supplémentaire une fois qu’il décollait du sol. Ses missions étaient simples : défendre, courir, et attaquer le cercle aussi souvent que possible pour soulager Erving et Malone au scoring. Quand Malone était dans des bons soirs – ce qui arrivait très fréquemment –, il n’était pas rare que les équipes adverses tentent de le stopper à 2 joueurs, laissant des couloirs béants pour les slasheurs qu’étaient Erving et Jordan. Avec ce nouvel arrière virevoltant, Mo’ Cheeks n’hésita pas non plus à envoyer son nouveau compère dans des grandes envolées en contre-attaque. Jordan se régalait, et le public de Philadelphie voyait lui sa perle s’ouvrir plus tôt que prévu.
L’intégration fut parfaite, et Jordan termina sa saison rookie dans le cinq majeur des Sixers, avec un rôle à part entière, en ayant scoré plus de 20 points par match en moyenne depuis son changement de statut. Erving l’avait pris sous son aile durant la saison, et gardait toujours un œil sur ce gamin dont le jeu et le caractère était plein d’insolence et de génie.
Les playoffs étaient déjà là, et la deuxième saison des Sixers débutait enfin. Les Nets allaient faire figure d’échauffement grandeur nature pour Philadelphie, et si New Jersey sauva les meubles avec une petite victoire arrachée, ceux-ci s’inclinaient logiquement 3-1. Pour sa première série de playoffs, Jordan avait été discret, mais efficace. Cunningham n’avait pas eu besoin de trop user ses starters sur cette opposition, et c’était tant mieux, tant le second tour allait être d’un tout autre acabit. Les Bulls se dressaient sur leur route. Magic, Gilmore et Theus avaient le couteau entre les dents après leur échec l’an dernier en finale de conférence…
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« Julius, gère ton fanboy s’il veut pas que je lui botte encore le cul ! »
Ces doux mots d’amour étaient signés de la bouche de Magic himself. Après une énième contre-attaque amenée par ses soins, Magic avait envoyé en l’air son compère Reggie Theus pour que ce dernier arrache le cercle. Pris à contre-pied dans le repli défensif, les Sixers avaient été débordés, et le rookie Michael Jordan avait désespérément tenté de sauver la mise en contestant la prise de balle de Theus. Ce dernier – pas manchot pour un sou – se saisit tout de même de la gonfle, mais le contact en l’air le fit redescendre violemment sur le sol, quasiment à plat, sur le dos. Il était resté de longues secondes sur le parquet, avec finalement plus de peur que de mal.
Les esprits s’étaient échauffés à la suite de ce contact, les Bulls venant au secours de leur coéquipier et venant également mettre la pression sur ce jeune rookie impétueux qui osait jouer des coudes avec eux. Depuis le début de la série, une ambiance électrique régnait à chaque confrontation, et elle était montée en intensité au fil des matchs. Jordan, avec son caractère bien trempé, ne resta pas de marbre face aux pressions que tentaient de lui mettre les joueurs de Chicago, et il n’hésita pas à tous les invectiver pour se faire respecter. Magic y compris. C’était la raison de l’appel de Magic à Julius Erving relaté un peu plus haut.
Il savait pertinemment que se faisant, il allait énerver d’autant plus le jeune Jordan. Le réduire au « fanboy » d’Erving allait sans aucun doute lui mettre l’égo à mal, lui qui se battait depuis son arrivée toute récente dans la Ligue pour être reconnu parmi les stars de Philly. Magic espérait faire vriller le jeune gamin, pour dégager la voie aux siens dans cette fin de match 6 accrochée. Il faut dire qu’aussi jeune était-il, Michael Jordan posait de vrais problèmes aux Bulls.
Magic et Theus était un backcourt très grand, de 2m06 et 2m01 chacun. Avec leurs longueurs de bras et leur coffre, ils ne se laissaient pas facilement passer et dépasser, et étaient toujours aptes à switcher ou à empêcher leurs adversaires directes de bénéficier d’un quelconque avantage de taille ou de gabarit. Mais Jordan était spécial. Il était plus athlétique que les deux comparses de Chicago, et n’hésitait pas à se frayer un chemin au cercle, comptant sur sa vélocité et ses aptitudes aériennes pour terminer le travail, au contact ou non. Alors qu’Erving et Malone étaient bien contenus par la défense des Bulls, selon le plan de jeu établi et par l’énorme travail d’Artis Gilmore dans la peinture, c’était ce petit rookie qui jouait le rôle de caillou dans la chaussure.
Heureusement pour les Bulls, Jordan, s’il avait les principales qualités de la jeunesse, en avait aussi les défauts. Il était parfois trop fougueux, trop sûr de lui, et avait tendance à s’emporter plus que de raison. Il avait tellement la rage de prouver, aux autres et à lui-même, que cela le perdait parfois.
Et cette petite pique envoyée par Magic à son encontre, cette pique de la part d’un joueur qu’il admirait, dont il avait suivi tout le parcours depuis l’université, allait réveiller la cruauté de ses défauts.
Voulant prouver qu’il n’était pas à vouloir se cacher dans l’ombre de Doctor J., qu’il n’était pas son « fanboy » et encore moins qu’il se cachait dans les jupes de ce dernier, Jordan voulu montrer qu’il pouvait y arriver seul. Pris dans une spirale égoïste, il perdit 2 ballons consécutivement, et donna deux lancers-francs gratuits à Chicago dans un élan de frustration. Les Bulls n’eurent qu’à plier l’affaire en gérant l’avance acquise de 8 petits points à 1 minute du terme du game 6. Magic termina les espoirs de Philadelphie en convertissant un and one décroché au poste contre Mo’ Cheeks.
La série était terminée, et les Bulls s’imposaient 4 victoires à 2. Magic terminait le match avec 31 points et 14 passes décisives. Il avait dominé toute la série durant son poste, mais pas uniquement. Dans une bataille de grands noms, avec Julius Erving, Moses Malone, Artis Gilmore et lui-même, c’était lui qui sortait couronné de la bataille. Tous étaient plus âgés que lui de quelques années, et à 25 ans, Magic prouvait que désormais le trône de la Ligue allait devoir s’habituer à sa génération et à son empreinte.
Mais Magic n’allait certainement pas oublier cette confrontation de sitôt. S’il avait eu le dernier mot face aux Sixers, il avait entraperçu le potentiel de Jordan. Il s’était reconnu brièvement dans la soif de vaincre et de triomphe de ce dernier par séquence, et se reconnaissait d’autant plus en lui au moment où le buzzer final retentissait : il voyait dans les yeux de Jordan la même haine de la défaite qu’il avait en lui, et qui continuait de l’animer quand celle-ci pointait le bout de son nez.
Quand les joueurs se saluèrent, Magic eut un mot pour son jeune adversaire.
« Cette haine que tu ressens, pour la défaite et tout ce qui va avec, garde là. C’est ça qui te poussera. Bien joué rookie, bien joué. On va se recroiser, j’en doute pas. »
Les Bulls filaient vers les Finales de conférence, pour y jouer la revanche de l’année dernière contre les Celtics. En réponse au reporter de terrain qui s’était faufiler jusqu’à lui, Magic rendit un dernier hommage aux Sixers et à ce rookie qui lui avait tapé dans l’œil :
« On retrouve les Celtics, et cette fois, il faut passer. C’est même pas négociable. Il faut passer parce que le petit gars qu’on vient de croiser à Philly pourrait bien nous empêcher d’être si tranquilles dans les années à venir. ».
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Et voilà, c’en est terminé de votre aventure !
Si vous avez un goût d’inachevé en bouche, un goût de « Eh mais j’en veux encore, raconte la suite ! », et bien c’est que j’ai bien fait mon boulot. Le monde ouvert par vos choix et par toute cette histoire est un monde de possibilités infinies, et le temps manque pour pouvoir creuser de fond en comble chaque branche possible et imaginable. Imaginer Magic Johnson sous un autre maillot, c’est déjà n’importe quoi, alors imaginez un peu quand vous devez coupler ça au fait que Michael Jordan lui aussi est sous un autre maillot… Croyez-moi, c’est mieux pour ma santé que j’arrête là !
L’idée, vous l’aurez compris – du moins j’espère –, n’est pas d’avoir un esprit révisionniste, idéaliste, de proclamer que ces histoires inventées de toutes pièces auraient été meilleures à vivre que la réalité, loin de là. Justement même, c’est tout le contraire.
Ces histoires sont avant tout là pour témoigner du fait qu’un simple lancé de pièce un soir de 1979 à changer à jamais la face du basket mondial et la face de la NBA. Si cette pièce était tombée ce soir-là de l’autre côté, tout ce que l’on connait de la Grande Ligue aurait été chamboulé, renversé, tous les codes, les histoires, les champions, héros, légendes.
C’est en quelque sorte un hommage qui ne porte pas son nom à la NBA actuelle, à Magic Johnson, à cette foutue pièce qui m’a fait écrire des heures durant des histoires qui me paraissaient totalement folles tellement elles étaient éloignées de ce que l’on connait. Et pourtant, pourtant ça aurait pu être possible…
On se dit à très vite pour de nouvelles aventures !