Crédit : Photo de Marc-Gregor Campredon / MGoBlog
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« Yo Poole, where you from? »
« Milwaukee »
« That’s nice. You ’bout to go back to Milwaukee. »
Jordan Poole n’est pas un joueur tout à fait comme les autres dans le vestiaire des Wolverines de Michigan. Il ne semble pas être construit dans le même moule que les autres élèves du coach John Beilein, des joueurs discrets, disciplinés qui savent suivre le plan de jeu et servir le collectif sans faire de vagues. Jordan Poole est un jeune homme extravagant, dans le bon sens du terme, avec son infatigable sourire et son short remonté façon John Stockton, à la mode old school des années 80 et avant.
Recrue 4 étoiles en terminant son parcours de lycéen à La Lumière, la désormais célèbre Prep School de l’Indiana qui forme depuis quelques années de nombreuses futures stars du basket universitaire et professionnel comme Jaren Jackson Jr, Poole savait néanmoins qu’il n’aurait pas vraiment de passe-droit à Ann Arbor sous les ordres de Beilein. Terminant sa première saison avec seulement 12 minutes de moyenne, un total de 25 pertes de balle supérieur à ses 22 passes décisives et une défense parfois poreuse, le jeu de l’arrière ressemblait encore à un « work in progress ».
Mais dans une équipe qui perdait au passage plusieurs joueurs cadres comme Moritz Wagner, Duncan Robinson ou encore Muhammad-Ali Abdur-Rahkman, il allait peut-être falloir trouver un nouveau charmeur de serpent, terme utilisé par le journaliste Brendan Quinn pour décrire ces joueurs de Michigan capables de manipuler et déstabiliser les défenses adverses par leur talent, un titre réservé à des joueurs comme Caris LeVert ou Tim Hardaway Jr, et un statut qui leur a permis de se frayer un chemin vers la NBA, la ligue amatrice de ce genre de profil de marionnettiste pour mener une attaque. Et il peut suffire d’un moment, d’un tir, pour se montrer digne d’être le nouveau charmeur de serpent des « Maize and Blue ».
En séjour international en Espagne l’été dernier, les Wolverines peuvent découvrir les plus belles beautés de Barcelone, de Madrid et de leurs alentours. Dans la cathédrale Sainte-Marie de Tolède, Poole complimente un passant sur son t-shirt Rick et Morty. « Gracias », l’espagnol le remercie, puis le fixe, le fixe… « Tu es le joueur de Michigan ! Numéro 2 ! C’est toi qui a mis le tir ! ».
L’homme demande une photo, et Jordan Poole accepte évidemment. Il repense à ce jour où Scottie Pippen avait refusé d’en faire de même avec lui quand il était plus jeune, dans un tournoi de jeunes dans l’Indiana. Jordan Poole ne refuse jamais une photo.
Pourtant, depuis ce tir, les demandes se multiplient, on le reconnait bien évidemment dans les rues d’Ann Arbor, mais aussi ailleurs, dans d’autres Etats, dans d’autres pays. Ce tir, il l’a inscrit au buzzer, dans un match couperet, en mondovision.
Hier, cela faisait un an jour pour jour. Wichita, Kansas, 17 mars 2018.
Houston mène 63 à 61 et Devin Davis va tirer deux lancers francs pour donner deux possessions d’avantage à son équipe à 3.6 secondes de la fin et garantir une deuxième victoire à ses Cougars dans le tournoi NCAA.
Jordan Poole rentre en jeu et croise le regard de Rob Gray, la star de l’équipe adverse.
« Yo Poole, where you from? »
« Milwaukee »
« That’s nice. You ’bout to go back to Milwaukee. »
Devin Davis rate le premier. Il rate le second.
Temps mort. 3.6 secondes à jouer, Michigan à la balle mais doit repartir de sa ligne de fond. Quelques semaines plus tôt, dans la même situation, une longue passe avait permis à Abdur-Rahkman d’obtenir deux lancers et de valider une victoire à domicile face à Maryland. Le plan est le même, longue passe sur Abdur-Rahkman, pénétration, panier ou faute. Moe Wagner est le plan B, Jordan Poole est le plan C.
Face à une défense qui s’adapte, Rahkman ne peut franchir la ligne médiane et doit improviser, il donne le ballon à son coéquipier qui hurle en se démarquant.
La suite, c’est une histoire qu’on raconte tous les jours à Jordan Poole, c’est un repère temporel, qu’on appelle un souvenir flash en psychologie cognitive. Tous ceux qui le croisent veulent lui dire où ils étaient, avec qui, quand ils ont vu ce tir, car tous s’en souviennent.
Rob Gray est sûrement rentré chez lui. Michigan a continué sa route vers le Final Four puis la finale nationale contre Villanova.
Pour son deuxième mois de mars en jaune et bleu, Jordan Poole est un nouveau joueur, plus calme, plus concentré, suivant l’exemple de son prédécesseur Abdur-Rahkman, qui lui a passé ce ballon décisif mais également son savoir et l’a inspiré avec son tempérament calme et pragmatique. Et Poole aura encore l’occasion de charmer les défenses adverses et d’alimenter la mémoire des fans d’inoubliables souvenirs, ceux qui définissent la March Madness et qui composent tous les ans le culte « One Shining Moment ».