Soyons tout à fait honnête, j’attendais avec une certaine crainte le retour d’Isaiah Thomas depuis son arrivée dans les Rocheuses. L’ex-brillant meneur des Celtics débarquait cet été à Denver avec un objectif, se refaire une santé et une réputation en s’imposant dans une équipe dense mais jeune. Pour cela, il acceptait deux choses : un contrat minimum et prendre le temps de se soigner correctement de sa blessure à la hanche.
Malgré deux déconvenues consécutives au cours de la même saison, aux Cavaliers puis aux Lakers, le lutin ne comptait pas changer la recette. Arrivée en grande pompe dans sa nouvelle équipe, il s’illustrait par des déclarations tapageuses, revanchardes et ambitieuses. Tout ce qu’il fallait à ses fans pour croire en son retour, tout ce qu’il fallait à ceux de Denver pour espérer une reprise tardive. Dans un groupe discret, Isaiah Thomas fait de suite office de leader, mais la place qu’il pouvait prendre avait également de quoi inquiéter. Quel ingrédient serait-il dans le succès ou l’échec de cette franchise ?
Et il faut dire, que si j’appréhendais son arrivée, il m’aura bien fait mentir sur un aspect. De l’extérieur, l’IT spectateur semblait en tout point bénéfique au groupe. Vocal, engagé, toujours le premier à célébrer le succès de ses coéquipiers, difficile de ne pas trouver le meneur de poche enthousiasmant et altruiste dans sa démarche.
Ses coéquipiers, son coach, ne cessaient d’ailleurs de chanter ses louanges et difficile de ne pas finir par y croire. Car s’il prend trop de place, il pouvait aussi devenir la présence, le supplément d’âme qui permettait à un groupe de se transcender là où il s’écroulait par le passé.
Puis finalement, comme annoncé de longue date, le retour du joueur était officialisé. Ce serait face aux Kings, juste avant la trêve du All-Star Game.
Voilà maintenant 7 matchs que Thomas est de retour. Je vous propose un petit bilan.
Isaiah Thomas dans la forme
C’est avec beaucoup de défiance que j’ai reçu le retour du joueur. Ma peur ? Que le joueur utilise son temps de jeu pour briller et foutre en l’air une des meilleures circulations de balle de la NBA cette saison. Dans le meilleur des cas, le joueur avait retrouvé son explosivité et devenait une force en isolation pour les Playoffs. Dans le mauvais, c’était insuffisant puisqu’il éteignait ses coéquipiers. Dans le pire, il l’avait perdu mais était en prime incapable de s’en rendre compte.
La première leçon de son retour, c’est que le meneur a ce qui fait les stars NBA : une confiance en lui, en sa capacité à faire la différence à toute épreuve. Si c’est une force lorsqu’un joueur est au sommet de sa grandeur, c’est aussi ce qui peut mener vers des fins de carrières catastrophiques. Quand un joueur a perdu ce qui faisait sa gloire et refuse de s’adapter.
Pour autant, le retour du lutin donnait de quoi espérer. Pas forcément le joueur de Boston (étonnant), il montrait dans ses 2 premières rencontres une belle adresse, malgré une tendance à vouloir faire la différence par lui-même. Ne bénéficiant en général que de peu de temps de jeu, dans un effectif très profond, on pouvait excuser une tendance à forcer le jeu. En effet, ne possédant que d’une quinzaine de minutes tout au plus, le besoin de retrouver des sensations et de faire sauter la rouille pouvait se faire sentir. Néanmoins, l’impact du joueur était relativement neutre malgré sa belle adresse et on pouvait d’ores-et-déjà redouter les pannes à venir.
La suite donnait forcément raison aux craintes exprimées, puisque le jeu de Denver, solide durant l’essentiel de la saison, commençait à montrer des fissures inquiétantes. Si c’est quelque chose qui est susceptible d’émailler une saison NBA – surtout pour une équipe ayant réalisé un progrès si soudain à ce niveau de la saison – compliqué toutefois de ne pas voir une corrélation avec le retour du lutin.
En effet, le joueur est toujours cet élément limité en défense, parfois nonchalant, mais évidemment, ce n’est pas le cœur du problème. Denver connaissait cette limite en l’engageant.
En réalité, le problème vient évidemment de l’autre côté du terrain. Lorsque le joueur sort du banc pour retrouver les parquets, c’est tout le jeu des Nuggets qui a tendance à plonger. Les joueurs autrefois tous impliqués et responsabilisés offensivement, se retrouvent prisonniers du “Thomas Show”. De nombreux joueurs de banc de Denver deviennent alors des spectateurs des choix offensifs du lutin, qui, sans surprise, affiche souvent une velléité unique : trouver un moyen de scorer.
Evidemment, tout n’est pas noir et le joueur n’oublie pas systématiquement ses coéquipiers. Mais force est de constater qu’après 7 rencontres, le meneur va souvent à un moment du match vouloir remettre son costume de superhéros. Un costume trop grand pour lui à l’heure actuelle.
Isaiah Thomas dans l’impact
Le portrait tiré dans la forme est assez négatif, mais qu’en est-il dans le fond ? Est-il ce que les images, parfois trompeuses, disent la vérité ?
Tout d’abord, il faut comprendre que donner du temps de jeu, à ce stade de la saison, à un joueur qui n’avait pas joué est compliqué. Surtout dans une équipe qui n’avait pas besoin de renfort(s) pour gagner. Conséquence évidente, le coach, proche de longue date du joueur, n’a pas hésité à réduire le temps de jeu de ses titulaires et sortir des joueurs de la rotation. Torrey Craig, excellent cette saison et précieux par sa défense a particulièrement pâti de l’intronisation du meneur.
Le temps de jeu de Jamal Murray et Monte Morris a baissé, ce qui est un atout en terme de repos, mais pas pour le fond de jeu des Nuggets. D’autant que Morris, dont l’émergence fut un élément clé du succès de l’équipe, voit son rôle changer au profit de Thomas. Pour ne rien aider, le retour de Will Barton, attaquant talentueux mais dénué de discipline, piètre défenseur, ajouté à celle de Thomas fait beaucoup de remous dans un effectif en place durant toute la saison.
Donc quelles conséquences ?
Chez les joueurs possédant du temps de jeu hors “garbage-time”, Isaiah Thomas possède le pire net rating de l’équipe : -5,9.
Le ton est donné, il ne s’arrête pas là. En effet, si l’équipe arrive relativement bien à cacher la présence du lutin en défense (seulement 100 points encaissés pour 100 possessions), il a un impact catastrophique en attaque 94,1 points inscrits pour 100 possessions en sa présence.
(Je vous laisse tout de même admirer le langage corporel de Thomas en défense)
Le fait est que le Thomas fait chuter l’efficacité de tous les autres joueurs qui partagent une large partie de leurs minutes avec ce dernier. Ainsi :
- Monte Morris a un net rating de +5,1 sur la saison; -1,0 depuis le retour de Thomas
- Mason Plumlee passe de +3,4 à -2,4
- Malik Beasley de +4,5 à -0,8
On peut continuer ainsi avec tous les joueurs de banc. Bien sûr, tout n’est pas imputable au meneur. Le manque de discernement de Malone, qui ne semble pas remettre en question ses rotations, le manque d’énergie de l’équipe qui ne joue à son niveau que dans les 4eme QT, sont des événements dont la cause reste à trouver.
Néanmoins, la tendance du joueur à aller chercher des tirs compliqués n’est pas dans la philosophie de l’équipe et casse le rythme, que cela rentre ou pas.
Car malheureusement, IT n’a pas perdu de temps pour prendre le jeu à son compte. Il a ainsi le second plus gros USG% (temps passé avec la balle en main), tout proche de Nikola Jokic et loin devant Jamal Murray. Ceci, accompagné du pire ratio passe/perte de balle de l’équipe, le tout en prenant 9,1 tirs par match, en seulement 15min de temps de jeu… à 37,5% au tir.
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Ce ne sont que 7 matchs, et le trop grand nombre d’options semble perturber le coaching de Michael Malone. Les Nuggets montrent un véritable “moins bien”, et la présence de 2 joueurs comme Barton & Thomas n’y est pas étrangère. Pour autant, après 3 défaites consécutives, difficile de tout mettre sur le dos des revenants. Il faudra, en revanche, surveiller leur impact sur les semaines à venir, notamment celui d’IT, afin de ne pas plomber la fin de régulière d’une des plus belles surprises de cette saison.