A l’été 2017, les angelinos ont perdu Chris Paul. A la rentrée 2018, ils ont échangé Blake Griffin. A la trade deadline 2019, ils ont envoyé Tobias Harris à Philadelphie. Et pourtant, aujourd’hui, ils sont en très bonne position pour retourner en playoffs.
Si le coaching n’y est pas pour rien, ces résultats ne seraient pas là sans de jeunes loups qui pointent le bout de leur nez. Or il se trouve que leur rookie est loin d’être étranger à ce succès. Flegmatique. Relâché. Doué. Don’t force. Tels sont les adjectifs qui viennent en tête lorsque l’on pense à Shai Gilgeous-Alexander. Le jeune meneur des Clippers est l’archétype du joueur qui peut être ultra impactant tout en passant constamment sous les radars.. et pourrait s’avérer la pièce décisive pour obtenir Anthony Davis.
Je me propose donc de vous faire une esquisse de l’exocet de Doc Rivers.
Apprécié des fans, le joueur ne semble pas payer de mine lorsque l’on se borne à regarder ces calamités que sont les stats brutes. 9,8 points, 2,7 rebonds et 3 assists, c’est peu dire si l’on est loin des chiffres qui font fantasmer les amateurs de stat padding.
Plutôt que de vous décrire le joueur, il me semble plus pertinent de vous faire dévoiler où le garçon est bon et où il ne l’est pas. Or il se trouve que le site BBall Index propose depuis le début de l’année un système de notation segmenté sur lequel nous reviendrons dans un prochain article.
Pour ce qui est de Shai, voici ce que cela donne:
Plusieurs choses sont à noter, notamment au regard du prospect que nous pouvions scouter l’an passé sous le maillot des Wildcats de Kentucky.
Du shooteur très moyen, la distance NBA a donné un joueur que toute bonne défense se contenterait d’ignorer. En revanche, pour piètre finisseur et joueur de 1 contre 1 qu’il était durant son année universitaire, Doc Rivers est très rapidement parvenu à en tirer quelque chose de plus que correct.
Vous allez me dire: Mais que vient faire Doc Rivers là-dedans ?
Très simple. L’entraîneur en chef des Clippers est tout simplement l’un des meilleurs coachs pour ce qui est d’optimiser et de développer l’offense de ses protégés. Le site BBall Index précité a justement mis au point un outil statistique permettant de déterminer dans quelle mesure un entraîneur réussit à tirer le meilleur de ses disciples.
Comme vous le voyez, même s’il y a des hauts et des bas, il faut bien reconnaître une grande ouverture d’esprit à ce vieil escroc de Glenn, qui accepte sans rechigner de revoir sa copie et de se remettre en question année après année.
Toutefois, pour ce qui est de notre sujet, cet indicateur, s’il donne une bonne piste, n’est pas encore suffisamment précis. Il en existe un autre, relatif au de développement des joueurs.
Il est étonnant de constater qu’en dehors du mouvement sans ballon et de la défense dans le périmètre, la plupart des domaines où le 11e choix de la draft 2018 a brillé ne sont pas franchement ceux où Rivers est le plus doué pour développer ses jeunes. Serait-ce à mettre au crédit du pur talent du joueur ou est-ce simplement que, comme je vous l’expliquais plus haut, le coach des angelinos a su s’ajuster avec brio ?
Comme souvent, la réponse est “un peu des deux”.
Pour ce qui est de la spectaculaire progression du rookie dans la sphère offensive, le crédit revient assez incontestablement à l’entraîneur, pour la simple raison que si l’on pourra toujours expliquer que le garçon a une bonne éthique de travail, est facile à coacher, etc. C’est peut-être vrai, certainement même, les fans des Clippers vous en parleront bien mieux que je ne saurais le faire. Toujours est-il que ce ne sont pas des outils dont il disposait sous le maillot des Wildcats. S’il était assez incontestablement un slasher honnête, doté d’un excellent contrôle du corps, rien ne laissait présager qu’il se révèle aussi bon à l’étage supérieur.
Néanmoins là n’est pas la plus belle surprise.
Parmi les notes que vous avez pu lire plus haut, il ne vous aura pas échappé que le garçon est déjà dans l’élite des défenseurs parmi les guards… ce qu’il était très loin d’être sous les ordres de John Calipari : malgré une “frame” vraiment idéale, les adjectifs utilisés pour désigner sa contribution de ce côté du terrain tournaient autour de “man-to-man defender moyen”, “très facilement mis dans le vent” “défense collective suspecte”, etc.
Pourtant, quand on s’y intéressait d’un peu plus près, cette demi-faillite était liée à tout un tas de petits défauts : placement d’appuis, concentration fluctuante, un peu soft sur les bords, bref, rien d’impossible à corriger mais on en a vu se planter pour beaucoup moins que ça.
Néanmoins, il faut bien le reconnaître, cette progression fulgurante était assez prévisible, car entre ce physique idéal (démesurément long, agile et doté d’une mobilité perfectible mais déjà intéressante) et les flashs vus à l’université, la clé de son développement était, comme pour 95% des prospects, de tomber au bon endroit.
Il reste deux points à étudier avant de se pencher sur la question de savoir si l’on peut voir plus qu’un futur solide titulaire en Shai Gilgeous-Alexander. La création et le shoot… soit les armes majeures des superstars de la ligue.
Comment expliquer qu’il soit noté parmi les pires playmakers et shooteurs de la ligue ?
Plusieurs raisons à cela. D’un côté, il serait assez malhonnête de dire que le joueur est prêt : offensivement, on a sans conteste un rookie encore très frustre.
Néanmoins ce constat est à nuancer par le fait que son rôle dans l’attaque des Clippers, s’il n’est pas totalement inexistant, est très faible. Autre nuance, le garçon prend un sacré paquet de tirs pourris.
Commençons par l’aspect tir justement.
Même sans être un forcené du Morey ball, prendre des tirs à 5m quand on est un shooteur moyen voire mauvais, c’est non. Surtout, quand on ajoute à cela le fait que 50% des tirs du jeune homme sont contestés ou très contestés et qu’il les prend en général en gardant la balle entre 2 et 6 secondes. C’est l’exemple type du joueur qui va monter la gonfle, prendre un écran, regarder la formation défensive, poser deux dribbles pour se stabiliser et tirer à mi-distance. Problème, même parmi les stars de la ligue, ceux qui s’acharnent à faire ça (Russell Westbrook et John Wall pour ne pas les citer) voient leur efficacité dégringoler de ce fait.
Pour ce qui est du tir à trois points, la raison de son inefficacité est que contrairement à ce qu’il peut faire à mi-distance, il va utiliser un set shot, c’est à dire un tir avec les appuis au sol.
Deux conséquences à cela. Une adaptation très difficile à la distance NBA (problème de portée + pas la confiance pour essayer de punir les défenses qui le traitent comme un non-shooteur) et une vitesse d’exécution beaucoup trop faible pour obliger qui que ce soit à le coller.
On précisera que l’on passe sur toutes les autres petites scories qui polluent son shoot (équilibre assez mauvais, manque de coordination, placement d’appuis suspect) qui ne sont pas impossibles à corriger, loin s’en faut, mais qui vont ralentir sa progression.
Malgré tout, il y a vraiment de l’espoir car le garçon a montré cette année un certain nombre de flashs sur des pull-ups off dribble à mi-distance, qui pourraient, avec le temps, être portés au delà de la ligne à 3pts. La clé de cette évolution réside dans deux choses : un release point et une élévation beaucoup plus hauts. Ces deux points, bien qu’en progrès par rapport à l’an passé, sont encore largement perfectibles.
Si Shai veut devenir un joueur d’impact dans la ligue, la route est toute tracée..
Et encore. Cela fait quelques lignes que j’énonce une montagne de si et en voici le sommet : comment va-t-il faire pour se créer de l’espace ?
Shai Gilgeous-Alexander est un dribbleur juste correct, qui perd peu de ballons certes, mais dont la créativité est quasi inexistante. Avec lui, oubliez les arabesques fous que peut produire Kyrie Irving. Son footwork est franchement mauvais, au point qu’il s’emmêle souvent les pinceaux pour placer ses appuis lorsqu’il shoote en mouvement. Autant dire que les stepbacks façon Luka Doncic, ça aussi c’est à oublier.
La finalité de tout cela est particulièrement visible sur sa shot chart : en dehors des tirs dans le corner en bout de chaîne avec du temps pour s’appliquer, le jeune homme n’est ni un desperados ni une ballerine et il serait assez miraculeux qu’il le devienne un jour.
Passons à l’aspect playmaking maintenant. Même sans possibilité de se créer quelque chose pour soi, une faculté à créer pour les autres demeure, lorsqu’elle est de calibre élite, quelque chose qui peut vous amener a minima jusqu’au All-Star Game. Ben Simmons ne dira pas le contraire.
Lors de son épisode universitaire, l’ancien élève de John Calipari était un superbe passeur, très propre, fluide, et surtout extrêmement lucide, ce qui est une qualité rare parmi les prospects que l’on voit chaque année sur ce type de poste. Pas de tunnel vision, un flegme incroyable, peu de pertes de balle, bref, le meneur gestionnaire parfait.
Malheureusement, rien n’a encore été transposé ou presque. Pas très propre (15,3 TO%, soit le 27e percentile selon cleaningtheglass.com), peu de production brute (on arrive péniblement à 4 assists en comptant les hockey assists), on a là un cas classique du meneur rookie pour qui le jeu n’a pas encore ralenti et qui galère de ce fait.
Pour cause, si Doc Rivers lui laisse malgré tout un temps de jeu intéressant (25min en moyenne), il ne lui donne finalement que très peu la gonfle. Son taux d’usage n’est ainsi que de 18,2% selon basketball reference, ce qui, pour un meneur de jeu, est extrêmement faible. Pour autant, on ne peut même pas dire qu’il impacte positivement ses coéquipiers en dehors de ses intérieurs.
Preuve en est avec ce graphique une fois encore made in BBall Index.
Reste que le passing game est incontestablement l’un des plus grands angles morts de l’analyse statistique moderne, et que comme dit plus haut, le garçon était excellent dans ce domaine à Kentucky. De mon point de vue, le fait qu’il ne soit que peu utilisé pour de la création balle en main est en bonne partie lié au nombre faramineux de porteurs de balle secondaires existant dans l’effectif des Clippers. Dans un rôle de ball handler principal, s’il y aurait sans conteste beaucoup de déchet, il y a vraiment quelque chose à faire de ce côté.
On en revient donc à la question initiale : peut-on voir un futur All-Star dans Shai Gilgeous-Alexander ?
Il est tentant de ne voir en lui qu’un glue guy parfait, qui fit avec n’importe quelle superstar. Cependant, dans un cadre idoine, c’est à dire en combinant une bonne structure (coach, GM, etc.) et un bon environnement (premier initiateur avec des scoreurs autour), pourquoi pas, après tout. Le potentiel, bien que lointain, n’est pas inexistant.
Personnellement je n’y crois pas, car le plafond me semble trop bas pour voir plus qu’un solide joueur de complément.
Je ne retiendrai que cette ineptie : “le plafond me semble trop bas pour voir plus qu’un solide joueur de complément”.
Tirer ce genre de conclusion après une analyse basée sur des statistiques qui ne veulent rien dire alors que le gars n’a même pas encore fini sa saison rookie relève de l’exploit.
Continue comme ça t’iras loin Tyrion.