Transféré lors de la trade deadline, Marc Gasol a donc posé ses valises à Toronto. Il n’a pas tardé à montrer l’étendue de son talent puisque pour son premier match à domicile contre Brooklyn, l’ancien défenseur de l’année et triple All-Star a réalisé un dernier quart-temps de haut niveau avec 12 points à 5/5 aux tirs et 2 passes décisives. Les Raptors ont de nouveau frappé un grand coup sur le marché des transferts avec cette recrue, et y ont même ajouté Jeremy Lin, coupé par les Hawks. Après plusieurs années avec les mêmes cadres, Masaï Ujiri a pris tous les risques en chamboulant son effectif. Désormais, les Raptors visent les Finales et s’apprêtent à vivre une fin de saison sous haute tension.
Une nouvelle ère
En décembre 2013, les Raptors emmenés par DeRozan, Lowry et Rudy Gay sont une équipe moyenne, trop faibles pour viser haut, trop forts pour tanker. C’est alors que le management décide de transférer Rudy Gay à Sacramento contre des role players (Chuck Hayes, Patrick Patterson, John Salmons et Greivis Vasquez) dans un trade qui ressemblait fortement à du tanking. Pourtant, à la surprise quasi générale, les Raptors se mettent à gagner dans cette nouvelle configuration. Ils battront cette année là le record de franchise en saison régulière (ils le battront de nouveau trois fois dans les années suivantes) et feront les Playoffs pour la première fois depuis six ans. La nouvelle ère des Raptors, celle de Kyle Lowry et DeMar DeRozan, avait commencé. Cette équipe fera les Playoffs cinq années de suite, et après deux déceptions les deux premières années, ils tiendront ensuite leur rang, ne perdant que face au Cleveland de LeBron James.
Avec le trade de Jonas Valanciunas, c’est une nouvelle page de cette ère qui se tourne, Kyle Lowry étant désormais le seul « survivant » de 2014. Alors que le GM Masaï Ujiri avait su être malin pour entourer ses stars en échangeant Greivis Vasquez contre deux picks qui deviendront Norman Powell et OG Anunoby, puis Terrence Ross contre Serge Ibaka, il a finalement pris la décision de définitivement tourner cette page à la suite d’une nouvelle défaite face à Cleveland l’année dernière. L’évidence sautait alors aux yeux : cette équipe est plafonnée, et il faut du changement pour viser plus haut. Juste après l’élimination, Ujiri décide de se séparer du coach Dwane Casey, qui sera élu coach de l’année quelques semaines plus tard, pour le remplacer par son adjoint Nick Nurse. Une décision courageuse qui semble porter ses fruits, en attendant la suite. Plus tard dans l’été, il a pris la décision de transférer le meilleur marqueur de l’histoire de la franchise DeMar DeRozan, avec Jakob Poeltl, contre Dany Green et la dernière année de contrat de Kawhi Leonard. C’est donc ce processus entamé l’été dernier qui a mené Ujiri à transférer un joueur historique de la franchise, Jonas Valanciunas, accompagné de Delon Wright (qui était en fin de contrat cet été et pour qui les Raptors auraient eu du mal à proposer le salaire qu’il va demander) et CJ Miles, contre Marc Gasol, qui, à court terme semble améliorer l’équipe, et en fait désormais plus que jamais un candidat aux Finals.
Si sportivement ces changements au Canada semblent être positifs, la décision n’a humainement pas été facile pour le GM, qui a été très élogieux avec Casey lors de la conférence de presse qui a suivi son licenciement, et qui a fait référence au trade de DeRozan comme une des raisons qui le pousseront à quitter un jour la NBA. De plus, des rumeurs ont fait état de tensions entre le GM et Kyle Lowry, dont l’amitié avec l’arrière est connue, à la suite de ce trade. Ujiri fait face à son plus grand challenge : pour viser plus haut, il est obligé de laisser derrière lui les joueurs qui ont construit cette équipe. Il s’est d’ailleurs exprimé sur le départ du pivot lituanien :
« Ça rend tout ça très difficile. Jonas était un bébé avec nous, il a grandi avec nous. On a drafté Delon Wright. Ces gars étaient spéciaux pour nous durant ces 5 dernières années. Valanciunas était un « team-first guy », un mec dur qui donnait tout pour l’équipe. C’était un coup de fil difficile et très émotionnel avec lui ».
Sauf qu’au delà des considérations humaines, en quelques mois il a transformé DeRozan, Valanciunas et quelques role players en Kawhi Leonard, Danny Green et Marc Gasol, renforçant considérablement l’équipe.
Gasol, la version premium de Valanciunas
Le GM poursuit sur Gasol :
« Nous avons ajouté un joueur malin, en Playoffs, on a besoin d’expérience. Pour avancer, on a besoin de dureté, de taille, de shoot, de QI Basket. Il combine toutes ces qualités. Un autre mec qui peut aller chercher un panier, ça va soulager un peu Kawhi et Kyle ».
Difficile de donner tort au Nigérian tant le pivot espagnol semble être supérieur à Valanciunas. Les Raptors, et notamment Nick Nurse quand il était assistant, ont beaucoup travaillé avec Jonas, tentant de moderniser son jeu pour en faire un joueur capable de jouer en dehors de la raquette : capable de shooter de loin (il en tentait 1 par match cette saison), capable de passer, et, de l’autre coté du terrain, capable de défendre. En fait, les Raptors ont essayé de transformer Valanciunas en Marc Gasol, mais la marche semblait trop haute pour le pivot lituanien, alors ils sont allés chercher l’original : Gasol tente 4,2 tirs à trois points par match, est toujours l’un des meilleurs pivot-passeurs de la ligue, et fut Défenseur de l’année en 2013. Même à 34 ans, l’espagnol est aujourd’hui incontestablement meilleur que le lituanien, et surtout, correspond parfaitement aux besoins de l’équipe.
Même avant l’arrivée de Gasol et la signature de Lin, les Raptors tournaient bien : Actuellement avec un bilan de 42-16, le deuxième meilleur de l’Est, et le troisième de la NBA, alors même qu’ils n’ont joué que deux matchs avec un effectif complet. Sauf que l’équipe semblait lever le pied ces dernières semaines, et notamment les titulaires qui après un début de saison tonitruant affichaient, au moment du trade, un bilan très moyen depuis 12 matchs : 7 victoires pour 5 défaites, et surtout un plus/minus négatif, à -3.3/100 possessions sur la période, sur les minutes où les 5 titulaires étaient sur le terrain. En plus, même dans les périodes positives, Toronto a souvent donné l’impression d’avoir deux visages : l’un quand Leonard est sur le terrain, l’autre quand il ne l’est pas. Kawhi a parfois donné l’impression de faire son match « à coté » de l’équipe, d’avoir quelques difficultés à s’intégrer dans le collectif Torontois. Dans cette optique, l’arrivée de deux playmakers avec Lin et Gasol vise à remédier à ça, en permettant au ballon de mieux bouger durant l’intégralité des matchs, et ainsi optimiser la présence de Leonard dans l’équipe.
Faire face à la concurrence
Avec ce transfert l’équipe se renforce mais du même coup se retrouve confrontée à des problèmes de riche. Avec trois intérieurs de niveau titulaire, se pose forcément la question de savoir qui va démarrer les matchs. Pour l’instant, après trois matchs de l’espagnol, Nick Nurse a décidé de conserver son cinq majeur et fait donc sortir l’ancien Grizzly du banc, mais on peut imaginer des changements après le All Star Break. La première question est peut-on imaginer un front court Siakam-Ibaka-Gasol (qui pousserait Kawhi en 2 et Green sur le banc) ? Dans l’absolu, oui, la mobilité de Siakam couplée à l’adresse extérieure de Gasol et Ibaka pourrait faire fonctionner ce cinq, et il y a d’ailleurs de fortes chances pour qu’on le voie à l’oeuvre durant certaines séquences. Mais de là à commencer le match dans cette configuration de manière régulière, cela me semble assez improbable tant les Raptors perdraient en vitesse. Parmi ces trois, il faudra donc choisir deux titulaires. Pascal Siakam semble être le choix logique au poste 4 étant donné l’importance qu’il a pris dans le dispositif des Raptors (et le fait qu’Ibaka soit devenu plus adapté au poste 5), et l’incertitude réside donc sur le poste 5 : Ibaka ou Gasol ? L’association Gasol/Siakam est peut être la plus complémentaire sur le papier, mais Ibaka va-t-il l’accepter ? Ou bien Nick Nurse va jongler entre les deux en fonction des match-ups, comme il l’a fait en début de saison avec Valanciunas ? C’est le plus probable, et c’est tout l’intérêt de ce trade pour Toronto qui ajoute une corde à son arc. On suivra en tous cas avec intérêt la fin de saison régulière des Raptors, qui ont deux petits mois pour tester leurs rotations avant des Playoffs qui s’annoncent dantesques tant la conférence Est s’est renforcée ces derniers mois, puisque le trade de Marc Gasol vient répondre aux autres mouvements de leurs concurrents, Milwaukee et Philadelphie.
Les Bucks ont en effet récupéré Nikola Mirotic, qu’Ujiri convoitait aussi, et les Sixers Tobias Harris, quelques mois seulement après Jimmy Butler. Deux recrues de choix auxquelles les Raptors auront répondu, s’offrant eux aussi une option supplémentaire en vue de la post-season. Déjà parce que Gasol est une arme anti small ball. Très mobile, l’espagnol n’a pas de problème pour défendre sur des joueurs plus petits que lui, et sera capable de l’autre coté du terrain d’exploiter les failles d’une défense sans pivot. On peut notamment penser aux Bucks qui n’ont plus qu’un seul vrai pivot dans leur effectif, Brook Lopez, qui n’est en plus pas le plus grand des défenseurs. Avec ou sans Lopez sur le terrain, Gasol pourrait poser de gros problèmes à Milwaukee. Mais aussi et surtout pour son travail défensif : face aux Sixers, Gasol ne sera pas de trop pour défendre leur raquette surchargée, et face aux Celtics, il semble être la réponse idéale face à Al Horford, les deux joueurs ayant un profil assez similaire. Marc Gasol n’est sans doute pas une garantie pour atteindre les Finals, mais il devrait aider Toronto dans cette quête, offrant la possibilité à Nurse de pianoter entre trois intérieurs de haut niveau, Gasol, Ibaka et Siakam.
Quel avenir ?
Enfin, se pose la question de l’avenir de cette équipe. Si Masaï Ujiri a maximisé ses assets pour monter l’équipe la plus compétitive possible dès cette année, l’avenir n’en reste pas moins incertain, puisque Kawhi Leonard est en fin de contrat cet été. Le trade de Gasol permet donc à Toronto d’abord de maximiser le présence de Kawhi dans le cas où il partirait, mais surtout de lui donner un argument qui pourrait peser dans sa décision : cette équipe veut gagner et mettra tout en place pour. Dans une situation similaire avec Paul George l’an dernier, le Thunder avait fait venir Carmelo Anthony, et même si l’expérience ne s’est pas avérée concluante, c’est le genre de message qu’un joueur aime recevoir de son Front Office. En plus de ça, et comme à chaque fois dans ces cas là, Toronto aura la possibilité de proposer 50 millions de dollars garantis de plus que les autres équipes. Cela suffira-t-il pour prolonger le candidat au MVP ? En tout cas, les Raptors auront mis toutes les chances de leur coté, et auront un dossier solide au moment d’aborder les négociations cet été. Ensuite, à l’été 2020, c’est Kyle Lowry et Marc Gasol qui seront Free Agents, libérant presque 60 millions de dollars. Évidemment, si Kawhi décide de ne pas rester au Canada, le moment sera venu de démarrer une reconstruction de zéro. Et si Leonard reste, ce sera l’occasion de recruter autour de lui, puisque même si les vétérans veulent rester, ce sera à moindre coût et l’enveloppe pour recruter serait donc importante. Qui plus est, dans une ligue en perpétuel mouvement, avoir une star signée sur le long terme est souvent un aimant à autre star (on a vu par exemple Davis mettre Milwaukee, où Giannis est sous contrat jusqu’en 2021, sur sa liste). En bref, avec ce trade, Toronto a fait « all-in » et vise clairement la couronne de l’Est, qui donnerait les garanties sportives nécessaires à Leonard. Ujiri a joué ses dernières cartes dans l’opération séduction, maintenant, leur avenir est suspendu à sa décision.
Être une bonne équipe ne suffisait plus à Masaï Ujiri qui a pris les décisions allant dans ce sens, aussi difficiles fussent-elles. En quelques mois il aura amené dans l’Ontario un candidat au titre de MVP et un All-Star confirmé. Beaucoup de questions entourent désormais cette équipe, qui aura une pression immense à l’heure d’aborder les Playoffs où tout autre résultat qu’une qualification en Finals sera en échec, chose que la franchise aimerait éviter à l’heure de convaincre Leonard de s’engager sur le long terme dans le grand Nord.