What if, c’est quoi ? Simple comme bonjour. Il s’agit de reprendre un fait historique de l’histoire NBA, un trade, une blessure, une fin de carrière, un shoot, une action, et d’en changer le cours. Pourquoi ? Pour raconter des histoires, déjà. Pour revisiter les coulisses de certains moments-clés de l’Histoire de la balle orange et les faire découvrir à ceux qui les ignorent, ensuite. Aussi pour faire prendre conscience que la NBA que l’on connait aujourd’hui est le résultat d’un nombre incalculable de facteurs différents, et qu’elle aurait pu être toute autre si l’on touche à un seul d’entre eux. Bienvenue dans le monde de What if !
C’est fou, mais un pile ou face a changé toute ma vie – Magic Johnson
Dans la grande Histoire de la NBA, on entend souvent parler du pile ou face entre les Bucks et les Suns, pour savoir laquelle de ces deux franchises aurait le privilège de sélectionner celui qui deviendra Kareem Abdul-Jabbar. On le comprend aisément, tant l’impact de ce dernier va être immédiat. Nul doute d’ailleurs que si la pièce était tombée de l’autre côté ce jour-là, ce serait Phoenix et non Milwaukee qui aurait des bannières au plafond. Puis après tout, bercé par le soleil de l’Arizona, peut-être que le pivot n’aurait pas demandé à changer d’air et ne serait jamais allé aux Lakers, qui sait ?
Non, vraiment, on ne peut pas le nier, l’histoire NBA aurait pu changer de manière radicale à cette occasion.
Mais que dire du coin flip qui concerne la draft de Magic Johnson ? Et oui, ici aussi. Ça parait fou, mais deux des joueurs les plus emblématiques de la franchise des Lakers auraient pu ne jamais y mettre les pieds. Pour Magic, c’est peut-être encore plus frappant que pour son compère KAJ, vous le verrez.
Je sais oui, c’est assez dur à imaginer comme histoire. Parce que Magic, c’est Los Angeles personnifiée. C’est le fameux Showtime mené sous Pat Riley, un show permanent sur le terrain. Magic, c’est un frisson qui parcourt la salle à chaque contre-attaque lancée. Ce sont des éclairs de génie sous le maillot or et pourpre, un joueur hors du commun, spectaculaire, unique, inestimable. C’est un sourire à vous faire mal aux yeux, tout comme le soleil en pleine après-midi sur Venice Beach. C’est une bonne humeur constante, une excentricité totale comme l’est la cité des Anges.
Et pourtant oui, Magic aurait pu ne jamais mettre les pieds à LA. C’est même encore plus fou que ça. Car la pièce jetée en l’air par Larry O’Brien, le commissionnaire NBA de l’époque, le 19 avril 1979 n’est que le résultat d’un accord conclu par les Lakers trois années auparavant, le 5 août 1976, plus précisément.
Ça vous intrigue ? Allez, je vous raconte tout.
Sommaire :
- L’heure du choix
- C’est l’histoire d’un pick
- Pile ou face, le choix du peuple
- Le boss contre le gosse
- Et les Bulls ?
L’heure du choix
Nous sommes le 26 mars 1979. Ce soir-là vient d’avoir lieu sans doute la plus grande finale qu’ait jamais connue la NCAA. Celle qui restera dans les annales, qui marquera l’histoire, qui remportera tous les suffrages et qui explosera les records d’audience de l’époque. Cette finale, c’est celle que tout le monde attendait, entre Michigan State et Indiana State, mais surtout entre Magic Johnson et Larry Bird. Cette finale, c’est le théâtre de la première rencontre entre deux futures légendes de la NBA. C’est la première rencontre de deux monstres, dont la rivalité sauvera la NBA d’une mort lente mais certaine quelques années plus tard.
Dans ce décor de rêve, Magic est reparti avec la victoire pour Michigan State. Un succès en forme d’exploit, Indiana se présentant alors en finale avec un bilan parfait de 33 victoires pour aucune défaite. A cette époque, et plus encore au terme de ce dernier match de l’année, Earvin Johnson – de son vrai nom – est considéré sans grand débat possible comme le meilleur joueur universitaire du pays [1].
Après avoir décroché le titre suprême, le premier dans l’histoire des Spartans, se pose pourtant une question pour l’idole de tout un peuple : et maintenant, on fait quoi ?
D’un côté, il y a l’évidence : la NBA. Comment peut-on même se poser la question, comment peut-on envisager autre chose que de rejoindre l’élite ? Et bien tout simplement car à l’époque, la ligue n’est pas tout à fait – et même pas du tout – celle que nous avons aujourd’hui devant les yeux. A la fin des années 70, sa réputation est même au plus bas. Entre les affaires de drogue et d’alcool à répétition, des soucis financiers qui ne se règlent pas, des audiences TV en berne, un public peu concerné, une image dégradée au plus haut point, on peut le dire sans sourciller : la NBA est à l’agonie, ou pas loin.
De l’autre côté… Magic peut rempiler une saison de plus avec Michigan State. Ça serait la troisième pour lui, et il aurait là l’opportunité de réaliser l’impossible : décrocher un deuxième titre NCAA consécutif. Et puis, contrairement à la morosité qui guette la NBA, la NCAA lui offre le paradis. Sa personne est déjà adulée par les fans de son université et même d’ailleurs. Son jeu, lui, est craint dans les quatre coins du pays, son statut est déjà établi. Les salles sont combles où qu’il aille, et il ne peut déjà plus sortir dans la rue comme tout un chacun. Non vraiment, la tentation est grande…
Quand le reporter lui demande, juste après la finale qu’il vient de remporter, s’il confirme les bruits de couloirs disant qu’il souhaite passer professionnel, Magic garde le mystère. Et pour cause : il sait ce qui s’apprête à se jouer dans les hautes sphères de la Grande Ligue, et il n’est encore sûr de rien.
Qu’est-ce qui pourrait le troubler à ce point ? Outre les différences flagrantes entre la situation de la NBA et de la NCAA que l’on a vues plus haut, il s’avère que la prochaine draft NBA est incertaine. A cette époque-là, le first pick se décide encore via un pile ou face entre les deux dernières équipes de la Ligue. Pour cette draft 1979, tout va ainsi se jouer entre les Lakers et les Bulls.
Magic est conscient de son statut de meilleur joueur universitaire du pays. Il sait qu’il sera probablement choisi avec le first pick. Mais il reste une inconnue majeure : on ne sait pas encore qui obtiendra le sésame. C’est pour cette raison précise, qu’en ce soir de victoire du 26 mars 1979, Magic ne répond pas à la question qu’on lui pose.
Et je crois qu’il est temps de faire une pause dans le récit, car on arrive ici à un carrefour essentiel de l’histoire NBA, ni plus, ni moins.
C’est l’histoire d’un pick…
Si les Bulls ont entièrement leur place dans ce coin flip, étant arrivés derniers de la conférence Est avec 31 victoires, les Lakers eux n’ont rien à faire ici en temps normal. Avec leurs 47 victoires, ils ont accédé aux playoffs, en chutant face au futur champion, Seattle, au deuxième tour. Si les représentants des Lakers se retrouvent, le 19 avril 1979, au bout de la ligne téléphonique du commissionnaire NBA de l’époque – Larry O’Brien – s’apprêtant à jeter la pièce en l’air pour déterminer qui aura la chance de sélectionner Magic, ils ne le doivent qu’à une chose : la chance.
Remontons encore un peu plus le temps pour y voir plus clair.
En 1970, les Lakers décident de ramener au bercail Gail Goodrich, exilé à Phoenix depuis 2 ans après avoir quitté ces mêmes Lakers. Entre 1970 et 1976, Goodrich marquera l’histoire de LA de son empreinte, avec 22.5 pts de moyenne, dont deux saisons au-dessus des 25 : dans la NBA de l’époque, c’est tout simplement l’un des plus grands artilleurs. Il sera l’un des piliers du premier titre remporté par les Angelinos en 1972 aux côtés de Wilt Chamberlain et Jerry West.
En 1976, ses deux compères précités ont fait leurs valises, Chamberlain en 73, West un an plus tard. Le jeune phénomène en provenance de Milwaukee, Kareem Abdul-Jabbar, vient de débarquer et apporte à LA un peu plus de talent. Toutefois, pour la deuxième saison consécutive, les Lakers loupent les playoffs. Goodrich a alors 32 ans, et est en fin de contrat.
A l’époque, si une franchise souhaite engager un free agent alors que ce dernier est un joueur NBA confirmé – veteran dirait-on aujourd’hui – il faut qu’elle compense son départ à l’équipe qu’il quitte. A l’été 1976, le Jazz se montre intéressé par la signature de Goodrich, et pour pouvoir l’engager dans les règles, il faut donc que New Orleans offre compensation aux Lakers.
Le 5 août 1976, le deal est conclu :
- Los Angeles envoie le 2nd tour de draft 1977 ainsi que son 1er tour 1978,
- New Orleans en retour envoie les 1ers tours de draft de 1977, 1978 et 1979, ainsi qu’un 2nd tour de 1980.
La suite de l’histoire, malheureusement pour New Orleans, sera catastrophique. Au bout d’une vingtaine de matchs, Goodrich se blesse au tendon d’Achille. Une blessure qui marquera un tournant évident dans sa carrière, et qui fera tourner court les espoirs du Jazz de récupérer un joueur référence.
“Gail était énorme. Mais il était vieux, et il est arrivé chez nous et s’est immédiatement rompu le tendon d’Achille. On est un peu passés pour des cons. Surtout quand on s’est mis à perdre quasiment tous nos matchs en 1978-79” – Bill Berka, vice-président des opérations basket du Jazz de l’époque.
La saison 1978-79 ? On y vient, mais regardons un peu ce que sont devenus les deux tours de draft envoyés par le Jazz avant cette saison-là.
D’abord, avec le choix de 1977, les Lakers vont hériter du 6è pick à la draft, où ils sélectionneront Kenny Carr, qui repartira en bus dans un anonymat total.
La saison suivante, en 1977-78, le 9 décembre 1977 exactement, la NBA va assister à l’une des pages sombres de son histoire : The Punch. Au cours d’un match opposant les Lakers aux Rockets, une échauffourée se déroule vers le rond central. Rien d’inhabituel, et les joueurs non-concernés ne tardent pas à le remarquer. Kermit Washington, joueur des Lakers, déjà présent non loin de la scène voit alors surgir à toute allure un certain Rudy Tomjanovich, des Rockets lancé pleine bourre pour aller aider son coéquipier pris dans une mêlée. D’une droite sèche, Washington va mettre Tomjanovich au sol, littéralement. Les conséquences vont être désastreuses : le joueur des Rockets passera 4 jours en soins intensifs, le liquide irriguant le cerveau s’écoulant à la suite du coup reçu. La mort aurait pu être au bout du direct asséné par Washington, ni plus ni moins. Avant la fin de la saison, celui-ci est tradé avec le pick de 1978 offert par le Jazz à Boston.
Sur les trois cartouches offertes par New Orleans, il ne reste plus aux Lakers que le pick de 1979, le fameux.
La saison 1978-79 est un fiasco total pour le Jazz de la Nouvelle-Orléans. Goodrich ne revient pas à son niveau et décide de raccrocher les baskets. Maravich brille, tout comme Spencer Haywood, mais la mayonnaise ne prend pas : 26 victoires au compteur, et une dernière place de l’Ouest bien méritée… Sans pick. Plus encore, le Jazz connait de gros soucis financiers, et est obligé de déménager de New Orleans à Salt Lake City : le Jazz d’Utah vient de naître.
C’est donc grâce à tout ce cheminement, que le 19 avril 1979, les Lakers se retrouvent à la conférence téléphonique organisée par le commissionnaire O’Brien pour déterminer qui d’eux ou de Chicago repartira avec le first pick.
Pile ou face, le choix du peuple
Larry O’Brien est dans les bureaux de la Ligue, à New York. Au bout du fil, il est en liaison directe avec Chicago et Los Angeles, respectivement représentés par Rod Thorn pour les Bulls et Bill Sharman pour LA.
Comme le veut le protocole, O’Brien demande qui souhaite parler en premier, qui veut faire le premier call. Rod Thorn se saisit de l’opportunité, avec un argument de poids : ses fans.
“Bill Sharman et moi étions au téléphone avec la ligue. Il représentait les Lakers à cette époque. Les gens de New York nous ont demandé qui voulait faire le premier call. J’ai immédiatement répondu que nous avions le vote des fans et j’ai demandé à Bill si ça le gênait.” – Rod Thorn
A la fin des années 70, à l’image de la NBA en général, les Bulls sont en perdition. La salle du Chicago Stadium est dans un état déplorable, les spectateurs désertent la salle et les soirs où l’on dépasse les 10.000 fans se comptent sur les doigts d’une main. Alors, pour les concerner un peu plus et emporter l’adhésion de la population de Chicago, le front-office a une idée à l’approche de ce pile ou face décisif : faire voter les fans. Les résultats tombent, il faudra choisir pile. Thorn joint les actes à la parole.
Au bout du fil, le commissionnaire s’assure que LA n’y voit pas d’objection, et se lance.
“Ok messieurs, c’est parti… La pièce est en l’air… C’est face!” – Larry O’Brien
Face : les Lakers repartent avec le gros lot. Les cris de joie ne peuvent être retenus dans les bureaux de la franchise californienne. Quand la nouvelle se propage hors des bureaux, c’est toute la ville de Los Angeles qui s’emballe à l’image des représentants de la franchise, à l’image de Pat O’Brien, alors journaliste dans une télévision locale :
J’étais en train de jouer au basket à Venice Beach. La nouvelle est tombée via une vieille radio laissée là, et les gens ont commencé à crier “Yes! Yes! On a Magic! On a Magic!”
De l’autre côté du pays, à Chicago, c’est un silence lourd qui raisonne. Thorn est avachi dans son fauteuil, comme sous le choc. Avec lui dans son bureau, un certain Johnny Kerr, alors commentateur des matchs de Chicago. Kerr était déjà présent lors du fameux coin flip entre Bucks et Suns qui a déterminé qui aurait le privilège de sélectionner Kareem Abdul-Jabbar. Déjà à l’époque, il était du côté des perdants. Et déjà, à l’époque, Phoenix avait sollicité le vote des fans… Un chat noir ? Peut-être. Cette draft-là, les Suns avaient dû se résigner à sélectionner Neal Walk. Alors ce 19 avril 1979, quand il a été acquis que Chicago ne pourrait jamais repartir avec Magic Johnson, Johnny Kerr lança une ultime vanne à Rod Thorn, comme un dernier espoir impossile…
“Hé, tu sais… Peut-être qu’eux aussi, ils prendront Neal Walk”
Et Magic, dans tout ça ? Aux dernières nouvelles, il n’avait toujours pas fait son choix de passer professionnel ou de rester un an de plus à Michigan State. Il y avait bien des rumeurs, des spéculations, mais rien qui était sorti directement de la bouche du principal intéressé.
Oui, mais la donne a changé depuis : les Lakers repartent avec ce fameux first pick. A l’annonce de la nouvelle dans le pays, lui aussi était euphorique. Il voulait jouer à Los Angeles. Il voulait jouer avec le joueur qu’il avait idolâtré, Kareem Abdul-Jabbar. Plus encore, il voulait rejoindre la Cité des Anges et tout ce qu’elle entraîne avec elle : le soleil, les palmiers, les plages, les stars, bref la vie de rêve dans un décor de rêve.
En comparaison avec LA, Chicago ne faisait pas le poids pour lui. La franchise était dans un état proche de l’agonie, avec une salle hors du temps, un roster bancal, et même la ville ne semblait pas lui convenir. Pourtant, à bien y réfléchir, pour quelqu’un qui vient de Michigan State, Chicago ce n’est pas le pôle Nord. Mais quand Los Angeles et les Lakers sont dans la balance, qui pourrait lui en vouloir d’avoir sa préférence ? Le doute était levé sur sa décision, et il l’annonça quelques jours après à ses fans de Michigan State : il était temps pour lui de filer dans le monde professionnel.
Magic voulait LA et LA voulait Magic. L’évidence était déjà là, le mariage semblait acquis. Mais rien n’est jamais simple en NBA. En mai 1979, quelques jours après que la pièce ait jeté un sort favorable sur les Lakers et que Magic ait émis son souhait de rejoindre l’élite, il est venu le temps de la rencontre…
Le boss contre le gosse
Le rendez-vous avait été fixé dans un restaurant. Pour représenter les Lakers, Chick Hearn – commentateur des Lakers mais aussi assistant GM entre 1972 et 1980 – et Jack Kent Cooke. Ce dernier est alors le propriétaire de la franchise, qu’il s’apprête à vendre à Jerry Buss. Les choses ont été clairement établies entre les deux hommes : oui, Buss récupère la franchise, mais le choix de draft de 1979 des Lakers sera celui que souhaite Cooke. Magic est évidemment présent, accompagné de son père et son avocat.
Cooke veut cerner ce jeune joueur dont on dit le plus grand bien dans tout le pays. A vrai dire, pour le futur ex-propriétaire des Lakers, ce n’est qu’un gamin doué de plus dans le lot, comme est capable d’en fournir l’université chaque année.
Cooke sort le grand jeu, et commande à toute la table un plat hors de prix, histoire de montrer qui est le patron. Magic n’est pas très emballé, et pour le dire moins poliment, fait un peu la gueule. Magic fait clairement comprendre au big boss qu’il préférerait s’enfiler un bon burger-frites plutôt que du poisson qui ne lui inspire pas confiance. Offensé, le propriétaire essaye de montrer au gamin qu’est Magic la chance qu’il a de pouvoir manger un tel repas, mais rien n’y fait, le gosse veut son Happy Meal. Raisonné par Hearn qui lui explique qu’à 19 ans la vie se résume à des pizzas et des burgers, Cooke craque et Magic sourit.
Les quelques lignes que vous venez de lire ne vous inspirent peut être pas trop, voire pas du tout. Qu’est-ce qu’on en a à faire après tout que Magic mange un burger pendant que les autres vont déguster du poisson qui vaut 3 fois le prix du restaurant ? Rassurez-vous, la première fois que j’ai lu cette anecdote, j’ai pensé la même chose. Mais c’est la suite de l’histoire qui est intéressante.
Chick Hearn avait bien observé la scène qui s’était déroulée sous ses yeux. S’il était intervenu en faveur de Magic, c’est parce qu’il avait su, au moment où celui-ci avait commencé à se plaindre à Cooke, que le gamin assis à leur table avait quelque chose de spécial en lui. Il avait quelque chose, dans sa manière d’être, de parler, de communiquer, qui éblouissait son auditoire. Une sorte de charisme naturel qui lui ouvrait des portes qu’aucun ne pouvait franchir en temps normal. Il était déjà à cette époque le Magic que l’on connait tous. Sa personnalité était aussi rayonnante que son jeu, et le big boss des Lakers n’était pas au bout de ses peines.
Très vite, vient sur la table le sujet de l’argent. A cette époque-là, Kareem Abdul-Jabbar, le meilleur joueur de la ligue, gagnait 650.000$ par an. S’il avait cédé sur le plat, Cooke ne rigolait pas avec l’argent. Sauf que Magic savait ce qu’il était, et il n’était pas du genre à se laisser faire non plus. Dès son annonce au public de passer professionnel, il avait fixé ses ambitions en la matière : 600.000$ par an, sur 4 ou 5 ans.
Cooke : “Alors, combien tu veux ?”
Magic : “Quelque chose autour des 600.000$ ça serait bien. Et j’ai aussi besoin d’une indemnité scolaire pour pouvoir finir à Michigan State.”
Cooke : “On va mettre les choses au clair de suite. Je ne paye pas tes études. Je me suis occupé moi-même de mes propres études, et si je l’ai fait, tu peux le faire. Maintenant : on peut te donner 400.000$. Ce n’est pas ce que tu demandes, mais c’est déjà beaucoup d’argent. Et laisse moi te rappeler que les Lakers ont fait les playoffs 17 fois lors des 19 dernières années. On adorerait t’avoir Earvin, et j’espère que tu joueras ici. Mais l’équipe s’est déjà très bien débrouillée sans toi.”
Magic : “Ok, donc je crois que je vais retourner à l’école.”
Devant l’aplomb de Magic, Cooke craqua, encore. Il invita le joueur et son entourage à rester à LA pour la nuit, et le lendemain il reprit les négociations. Finalement, l’accord avait été trouvé à 500.000$ annuels : Magic devenait le rookie le mieux payé de l’histoire de la NBA.
Si Chick Hearn avait pu apercevoir quelque chose de particulier dans la personnalité de Magic, ce charisme naturel et étincelant, Jack Kent Cooke n’était pas non plus passé à côté de l’évidence. S’il n’était clairement pas le meilleur scout du pays, il savait voir une occasion en or quand il en voyait une. Il savait que le succès de sa franchise allait se dessiner autant sur le terrain qu’en dehors. Quand Cooke voyait Magic, il voyait plus qu’un potentiel bon joueur. Il voyait une personnalité dont les Lakers ne pouvaient se passer.
A l’image de la Ligue entière, les Lakers avaient du mal à remplir leur stade et à rentrer dans leurs frais. Kareem Abdul-Jabbar était autant fantastique sur le terrain que désagréable en dehors avec les fans. Les autographes, les bains de foule, les cris et poignées de main ? Très peu pour KAJ. Magic lui ? Il collait parfaitement à l’identité-même de Los Angeles. Son sourire, son charisme, son sens du relationnel, son aura. Tout collait.
C’est précisément cela qui va faire pencher la balance en faveur de Magic pour le first pick. Oui, car même s’il était considéré, et de loin, comme le meilleur joueur du pays, Cooke confia à des proches que les Lakers avaient hésité à jeter leur dévolu sur Sidney Moncrief, d’Arkansas. Aussi dingue que cela puisse paraître aujourd’hui, le coach sortant – un certain Jerry West – doutait en effet de l’adaptation d’un meneur de plus de 2 mètres 5 au jeu rapide de la NBA. Et Cooke accordait une extrême importance aux conseils de Jerry West.
“West voulait Moncrief, et il l’a bien fait comprendre à Jack Kent Cooke. Il y avait un fort sentiment, à un moment précis, que c’était Moncrief et non Magic que les Lakers allaient prendre” – Rich Levin, journaliste au Los Angeles Herald-Examiner à l’époque.
Mais devant le potentiel marché qu’offrait la personnalité de Magic, Cooke ne pouvait pas résister. C’est donc bel et bien Earvin Magic Johnson qui allait être sélectionné par les Lakers, avec le premier choix de la draft de 1979.
Et les Bulls alors ?
“A chaque fois que je dois décider de quelque chose me concernant avec une pièce, je choisis toujours face. C’est le côté ironique de l’histoire” – Rod Thorn
Peut-on considérer les Bulls comme les grands perdants de cette histoire ? Forcément, au premier coup d’œil, on a tendance à dire oui. Mais là encore, les choses sont plus compliquées que l’on ne voudrait le croire…
N’en déplaise à Johnny Kerr, les Lakers vont bel et bien sélectionner Magic Johnson. En lot de consolation, les Bulls prendront David Greenwood, sortant de UCLA. Il restera 13 ans en NBA, avec un petit bout de carrière, mais dans un relatif anonymat. Les Bulls resteront une équipe noyée dans la masse pendant encore quelques années. Puis, vint l’année 1984, et sa draft.
Si vous avez l’esprit vif, vous venez de comprendre. Pour ceux qui n’ont pas fait le lien directement je dirais juste ceci : en 1984, avec le 3è choix de la draft plus précisément, les Bulls sélectionneront un certain Michael Jordan.
Je ne vais pas vous relater les exploits de His Airness au sein des Bulls, rassurez-vous. Mais instantanément, la franchise de l’Illinois va reprendre des couleurs et sortir de la morosité où elle était plongée. Les Bulls deviendront une franchise qui vend, qui fait parler, qui fait se soulever les foules, et qui intrigue. Puis au fil du temps, ils deviendront la franchise qu’on ne peut plus ignorer, qu’on craint, qui triomphe. Jusqu’à devenir une dynastie, et s’adjuger les années 90.
Alors, sont-ils toujours les grands perdants ? Chez les anciens membres du front-office, on relativise. Vous me direz, se rattraper d’avoir loupé Magic en mettant en avant l’ère Jordan, ça aide.
“Ce n’est en rien contre Greenwood, qui a été un bon joueur et un bon mec. Mais avec Magic, nous n’aurions jamais eu un bilan aussi mauvais pour drafter Jordan cinq saisons plus tard” – Irwin Mandal, vice-président des Bulls pendant plus de 40 ans.
“La vie est pleine d’ironies, et si on avait gagné le coin flip et qu’on avait eu Magic, on n’aurait jamais pu récupérer Michael. Les Bulls ont dû attendre un peu plus avant d’être bons. Au final, ça a marché pour les deux équipes.” – Rod Thorn
Mais d’ailleurs, Magic, il en dit quoi lui du fait qu’il a failli atterrir à Chicago ? Durant les Finales NBA 1991, opposant Lakers et Bulls justement, il lâchera enfin le morceau :
“Je n’aurais pas joué à Chicago. La seule raison pour laquelle je suis venu en NBA, c’était pour jouer avec Kareem et pour les Lakers. Je serais resté à Michigan State si quelqu’un d’autre avait eu le first pick” – Magic Johnson
La déclaration du meneur angelino rejoint les échos qu’il y avait eu à l’époque, selon lesquels Chicago ne l’attirait pas du tout. Pourtant, d’aucuns pensent qu’il s’agit simplement d’une bonne communication envers son employeur de toujours, les Lakers. En 1991, après plus de dix ans passés à LA, Magic n’allait pas dire l’inverse après tout.
“Magic avait émis son souhait de passer professionnel. Il n’y avait plus rien pour lui à faire à l’université, il avait déjà gagné un titre. Les Bulls n’étaient pas inquiets.” – Rod Thorn
Même dans son camp, on doute de cette version de l’histoire.
“A l’époque, il pensait que Artis Gilmore pouvait être comparé à Kareem. Il pensait pouvoir gagner avec Artis. Magic était assez optimiste pour aller à Chicago, notamment car c’était tout près de Lansing, et c’est un gars du Michigan. (…) Si les Bulls avaient eu Magic, Reggie [2] et Artis, avec Jerry Sloan qui allait devenir coach, ils auraient été très bons. Ca aurait été une équipe dure à affronter.” – George Andrews, avocat de Magic.
Simple posture de communication ou vrai désir de ne pas revêtir le maillot des Bulls ? Impossible à savoir. Mais une chose est sûre : si la pièce jetée en l’air par le commissionnaire Larry O’Brien était tombée du côté favorable à Chicago, c’est tout un pan de l’histoire NBA qui serait à réécrire.
Ça tombe bien, c’est ce qu’on s’apprête à faire…
[1] Larry Bird a été sélectionné par les Boston Celtics lors de la draft 1978 et n’est donc pas dans le débat. A cette époque, les joueurs sélectionnés pouvaient retourner jouer en NCAA en attendant leur intégration à la ligue. [Retour à la lecture : ↑]
[2] Reggie Theus était alors le 2è scoreur des Bulls à l’époque. Deux fois All-Star, il va jouer pendant 14 saisons en NBA, en tournant à 18.5 pts et 6.5 assists par match en carrière. ↑
Sources :
- http://articles.orlandosentinel.com/1991-06-09/sports/9106090196_1_magic-johnson-coin-flip-bulls
- https://www.sportsblog.com/allfunkedup/the-trade-and-coin-flip-that-forever-changed-the-nba/
- https://www.nba.com/bulls/history/flip-coin-helped-bulls-land-jordan
- Extraits de Showtime : Magic, Kareem, Riley and the Los Angeles Lakers Dynasty of the 1980s de Jeff Pearlman
- RealGM, basketball-reference