Vous êtes vous déjà demandé si vous connaissiez réellement l’ABA ? Si au-delà du ballon tricolore, du concours de dunks et de Julius Erving, vous possédiez un bagage culturel suffisamment important pour impressionner Fabrice de la compta à la machine à café ? Si vous n’êtes pas satisfait par la réponse, ou si cette question ne vous a jamais traversé l’esprit auparavant car vous avez – contrairement à votre serviteur – bien mieux à faire de votre existence, les lignes suivantes pourraient vous intéresser. Car aujourd’hui, on vous présente l’ouvrage référence sur l’histoire de l’American Basketball Association : Loose Balls.
The short, wild life of the American Basketball Association
Le sous-titre sur la couverture se veut clair : Terry Pluto vous fait (re)vivre l’existence tourmentée de l’ABA, de sa création en 1967 jusqu’à sa fusion avec la NBA en 1976. Question projet ambitieux, ça se pose là. Question sujet casse-gueule, aussi. Car il est aisé de perdre le lecteur ou de se perdre soi-même lorsque l’on cherche à raconter une histoire s’étendant sur 9 ans avec des détails et des anecdotes dans tous les sens. On tient à vous rassurer tout de suite : vous ne vous ennuierez pas beaucoup, tout simplement parce que l’ABA, c’est du grand n’importe quoi du début à la fin.
C’est l’histoire d’une ligue qui n’aurait jamais dû voir le jour, car son créateur voulait faire une ligue de football. Échouant dans ce projet, ce dernier réalise une étude de marché extrêmement poussée, consistant à regarder la liste des équipes NBA et à se dire “ah, il n’y en a pas assez, on va en rajouter”. Il faut savoir qu’à cette époque, le basketball est à des années lumière du rayonnement qu’il possède aujourd’hui. La NBA peine à remplir les salles. Le baseball est roi, le football s’annonce comme son successeur. Pourtant, une poignée d’hommes va oeuvrer pour lancer une nouvelle ligue, sans argument plus solide que “pourquoi pas”. L’intérêt du public, les finances, la rentabilité ? Ce n’est pas important. Voilà, avec de telles bases, la suite a tout pour être légendaire. Elle l’est. L’ABA a pléthore d’histoires hallucinantes à raconter, il suffit de la laisser parler, et c’est le parti pris par Terry Pluto.
Le récit se présente ainsi sous la forme d’un gigantesque recueil de déclarations des acteurs majeurs de la ligue – Larry Brown, Julius Erving ou Rick Barry, pour ne citer qu’eux. La grande majorité des chapitres est exclusivement composée de fragments d’interview, que l’auteur se charge d’enchaîner de telle sorte qu’une chronologie se dégage et que les différents points de vue se renvoient la balle pour faire avancer le récit. Toutes les équipes ont droit à leur chapitre dédié, tous les instants critiques de la vie de cette ligue, en permanence sur le fil du rasoir, sont passés au crible. Rien n’est laissé de côté, rien n’est mis sur un piédestal.
On ne va pas se le cacher, cette manière d’écrire est très particulière, très “brute de décoffrage”, et on met un peu de temps à s’y habituer. Mais l’authenticité qui se dégage de cette multitude d’anecdotes, de rumeurs et de moments rocambolesques rend l’ensemble captivant. C’est un véritable déluge d’informations, qui nécessite de faire des pauses régulières pour ne pas en louper une miette et qui peut clairement prétendre à plusieurs lectures (on est quand même sur un pavé de 500 pages). Une mine d’or qui va bien au-delà de ce à quoi l’auteur de ces lignes s’attendait à titre personnel.
Forcément, en couvrant une période aussi vaste avec ce souci du détail constant, on ne peut s’empêcher de trouver quelques longueurs. Certains passages moins riches mériteraient d’être traités plus rapidement et ne présentent pas d’intérêt particulier. Mais on peut difficilement le reprocher, tant la multitude de détails est appréciable sur d’autres chapitres plus “croustillants”. L’auteur vous donne toutes les informations dont il dispose, sans retenue, sans formalisme, et vous avez ensuite la liberté de retenir ce que vous voulez. Ce livre est comme un musée où l’on se fait son propre parcours et où l’on ne peut malheureusement pas tout voir en une seule fois. Mais on en retient suffisamment pour se prendre d’affection pour cette ligue qui n’aurait pas dû naître, qui aurait pu mourir des dizaines de fois, et qui a finalement considérablement influencé le paysage basketball de l’époque mais aussi des années futures. On commence la lecture en voulant en apprendre plus sur le concours de dunks, Dr J ou encore les San Antonio Spurs; on termine en n’ayant d’yeux que pour Marvin Barnes, Bob Costas ou les Spirits de St Louis. On s’amuse, tout au long de la lecture, à essayer d’imaginer la manière dont la NBA réagirait aujourd’hui si elle avait à gérer le tiers des événements relatés, et le nombre de millions de dollars d’amende récoltés par certains des personnages qui émaillent cette fresque. On finit par se rendre à l’évidence et se dire qu’une telle épopée serait totalement impossible de nos jours. Une épopée quasiment nihiliste, dont le départ même allait à l’encontre de toute notion rationnelle et n’était que le fruit de l’inconscience de ses instigateurs, et qui se poursuivit pendant 9 ans envers et contre tous.