Les Warriors vont-ils s’autodétruire ? La récente brouille entre Draymond Green et Kevin Durant a réveillé les plus fous – rêveurs ? – d’entre nous. Et si enfin la domination de Golden State prenait fin, que leur temps était révolu ? Et si, au moins, l’ogre vacillait, ne serait-ce qu’un peu ? Du côté des Warriors, après quelques heures d’ombres, on levait enfin le voile : Kerr confirmait la difficile période que traversaient ses joueurs, Durant et Green se rabibochaient, et l’incident était finalement clôt.
Derrière cette accroche assez facile, la soudaine poussée de joie qui a envahi les fans NBA devant la probable chute des doubles champions en titre a fait réapparaitre une problématique toute aussi fascinante qu’intrigante. Comment faire chuter une dynastie ? L’ordre établi, par nature, a vocation à être renversé. On veut toujours la peau de celui qui triomphe, qui plus est si sa supériorité parait sans faille. On veut être celui qui mettra le torero à terre, qui fera plier le chêne, quitte à tenter les paris les plus fous. Mais qu’en est-il concernant ceux qui sont en position de force, ceux qui occupent cette place tant convoitée ? S’ils doivent évidemment se protéger des autres équipes et des joueurs qui tentent des alliances pour les faire chuter, comment arrivent-ils, eux, à se renouveler ? Comment une équipe parvient à éviter, ou plutôt à repousser, la chute inévitable qui les guette après une période de domination telle ? Peut-elle ne serait que repousser l’échéance ?
Le désir de victoire, une source intarissable ?
“Celui qui n’a pas d’objectifs ne risque pas de les atteindre” – Sun Tzu, L’art de la guerre
Chaque joueur NBA rêve de la même chose dès qu’il commence à apercevoir le bout d’une carrière : s’imposer dans la Grande Ligue. Une fois ce besoin satisfait, les ambitions grimpent rapidement et un rêve s’impose : la bague.
La victoire est l’essence même du sport quand ce dernier est pratiqué dans un but de compétition. Le plaisir est évidemment présent, de même que la passion de jouer à un sport que l’on adore depuis des années ou pour lequel on est doué. Mais une fois qu’on goûte au sentiment de victoire, il est difficile d’avouer que celle-ci n’a pas un goût de reviens-y. Alors on en veut encore, on veut revivre ce moment où le buzzer retentit, ressentir à nouveau la satisfaction du travail bien fait. Les sentiments sont encore plus fort quand on ne parle plus d’une simple victoire de saison, mais de LA victoire. Celle qui fait de vous un champion, celle qui écrit une ligne à votre palmarès. La victoire qui vous donne accès, le temps d’un instant, au toit du monde.
Mais cette source de bonheur qu’est la victoire est-elle un puit sans fond ? Si la réponse est oui, la fameuse « lassitude » des champions ne serait qu’un mythe, qu’une excuse ? Peu probable quand on regarde l’itinéraire de certains champions. Alors peut-on être blasé de gagner, de dominer, de surdominer même parfois ?
La réponse demanderait un exposé entier de plusieurs heures, évidemment. La version livrée ici n’est qu’un point de vue personnel, loin d’être une vérité absolue. Premièrement, il faut garder à l’esprit que tous les joueurs NBA sont des compétiteurs féroces. Aucun joueur ne “tanke” volontairement par exemple, comme on peut l’entendre parfois. Tous jouent un match pour le gagner, et de telles décisions viennent la plupart du temps des managements. Pour l’élite des joueurs, c’est même au-delà de la simple envie de gagner, la victoire devient un besoin primaire, une condition de leur survie. D’ailleurs, ne dit-on pas de certains qu’ils sont « nés pour gagner » ? Et est-ce que cette envie de gagner peut s’effriter dans le temps ? Sans doute, oui.
Non pas que les joueurs auraient un beau jour envie de lâcher l’affaire et n’en n’auraient plus rien à faire de l’issue d’un match. Simplement, le jour où ils accèdent à la victoire suprême, au Graal ultime après lequel ils courent depuis des années, certains peuvent avoir le sentiment du devoir accompli et lâcher du lest. Alors imaginez quand vous gagnez deux fois consécutivement, voire trois fois… Est-ce que, naturellement, l’envie n’est pas logiquement moindre ? Évidemment, aucun joueur ne pourrait répondre : « Ah si si, carrément. Moi au bout du deuxième j’en avais marre quoi. J’avais juste envie de m’envoyer des belotes avec mes potes. ». Mais prenons un exemple des plus concrets, avec un joueur que l’on représente comme le plus grand compétiteur que la NBA ait connu : Michael Jordan.
Tout le monde connait la chanson. Après avoir galéré, Jordan décroche enfin le titre NBA en 1991 et ne voudra plus quitter son trône jusqu’en 1993. Durant cette saison, certaines rumeurs se font entendre sur le fait que MJ ne serait plus aussi motivé, plus aussi concentré. Bien sûr, sa saison et ses statistiques ne le montrent pas. Mais dans une tête qui ne pensait alors qu’à la conquête des années durant commençait à se pointer des envies nouvelles, des distractions, des questionnements. Évidemment, l’annonce de sa retraite à la fin de la saison 1993 sera en grande partie précipitée suite à l’événement tragique concernant son père, mais le mouvement avait été – selon les dires de l’époque – enclenché dans son esprit depuis quelques temps déjà. Si un tel compétiteur, qui n’avait que la gagne et la victoire pour moteur, a à un moment donné ressenti cette lassitude, pourquoi en serait-il différemment pour les autres joueurs qui vivent une telle domination ?
Il faut dire que ce n’est pas une chose facile de garder une telle motivation sur le long terme. Les coachs emblématiques de ces équipes en témoignent tous, de Phil Jackson à Steve Kerr en passant par Gregg Popovich : il est difficile de garder ses troupes motivées. Et justement, parlons-en…
Le challenge permanent, une quête impossible ?
“Ne répétez pas les mêmes tactiques victorieuses, mais adaptez-vous aux circonstances chaque fois particulières” – Sun Tzu, L’art de la guerre
Steve Kerr le concédait encore récemment sans aucune réserve : il est difficile de rester motivés une saison entière, quand vous avez autant dominé et gagné les saisons précédentes. Difficile de passer une saison sans zone d’ombres, sans tension, sans vagues. Il faut sans cesse stimuler les troupes, fixer des objectifs, et parfois même instaurer des climats propices à la défiance du groupe.
Phil Jackson était expert en la matière à l’époque des Bulls de Jordan. Pour garder ses joueurs sous contrôle et pour les mener vers un but commun, il n’hésitait pas à les confronter à tout ce qui leur était extérieur, un climat « nous contre le reste du monde » – y compris le propre front-office de la franchise. Mais cette méthode, si elle a indéniablement des qualités a aussi de vilains défauts et peut faire des ravages quand tout éclate. Ce n’est pas Jerry Krause qui dira le contraire…
Alors existe-t-il un moyen de challenger en permanence une équipe ? Sans doute pas.
Il y a évidemment des aspects, des méthodes qui peuvent repousser sans cesse la motivation et renouveler l’envie de se surpasser. Aller chercher un titre n’est pas une fin en soit pour certains joueurs qui veulent tutoyer les étoiles jusqu’à en faire définitivement partie. On pensera ici à des Kobe Bryant, des LeBron James, qui chassent les records. Le premier ne s’en est jamais caché, le second encore moins quand il annonçait vouloir chasser « le fantôme de Chicago ». Ces objectifs de très haut niveau que se donnent intérieurement certains des plus grands joueurs leur permettent de sans cesse avoir une source de motivation. Mais arrive nécessairement un moment où ce surplus de motivation se tarit pour différentes causes : une fin de carrière qui approche, une blessure, un changement de trop, … Autre problème qui cela soulève : si ces joueurs phares ont une source de motivation personnelle, comment s’assure-t-on que le reste du roster suive ? L’aura de tels joueurs peut entraîner avec elle le reste des troupes, mais arrive nécessairement un moment où elle ne suffit plus. Pas évident là non plus de trouver des soldats fidèles jusqu’à l’aveuglement.
Nous l’avons dit plus haut mais il est important de le repréciser : tous les joueurs NBA sont des compétiteurs, qui ont l’envie de gagner. Alors une question supplémentaire se pose : est-ce la lassitude qui guette les champions concerne uniquement cette envie de gagner, ou doit-elle aussi être élargie au fait de gagner dans le même cadre ? En d’autres termes, est-ce que le renouvellement permet de repousser la chute ?
Oui, et re-oui. Le vieux proverbe « On ne change pas une équipe qui gagne » s’en retrouve un peu mis à mal, je vous le concède. Mais force est de constater que pour durer, un champion doit se réinventer. Les joueurs et équipes NBA qui arrivent au sommet et dominent de la tête et des épaules ont, au bout d’un moment, la même peur que deux membres d’un couple qui vieillit un peu : la routine. Alors il faut essayer de surprendre, de changer certaines choses, tout en gardant un noyau dur pour garantir que l’esprit initial perdure. Les role players changent, le style de jeu varie, s’étoffe, les systèmes évoluent, mais les fondations restent.
On le voit avec l’exemple des Bulls et l’ajout de Rodman, Harper et compagnie pour le second three-peat. On le voit avec les Spurs, qui ont changé de style et de supporting cast durant leurs vingt ans de présence sur le devant de la scène. On le voit actuellement avec les Warriors, qui n’ont pas hésité à débaucher KD pour s’assurer un avenir plus radieux.
Parfois, ce changement en interne ne suffit pas. Le meilleur exemple encore une fois est celui de Michael Jordan. Le changement qui lui a fallu n’avait rien à voir avec l’organisation même des Bulls. Il n’avait plus le cœur à tous ces efforts, et savait qu’il était déjà aux sommets. Mais qui pourrait nier que son aventure au baseball, si peu fructueuse soit-elle, a au moins eu le mérite de réveiller la bête de compétition qui sommeillait en lui ? Réapprendre les bases d’un sport, devoir se challenger à nouveau, se prouver des choses. Puis réaliser que la compétition est un manque, et qu’il faut retourner à ces premiers amours pour y regoûter. Qu’importe le niveau où il se fait, le changement et la nouveauté sont nécessaires à la pérennité d’un groupe.
Il existe également un autre moyen de renouveler le challenge, mais qui lui ne dépend pas des champions : la concurrence. Sûrement la meilleure manière de réveiller l’esprit de compétition de joueurs NBA dans notre cas.
Un groupe qui domine mais qui est en surconfiance n’a pas de meilleur ennemi que lui-même, alors la concurrence joue un rôle fondamental. Quand la bête est piquée, elle se réveille ; si elle est intouchable, elle s’endort. Nul doute que l’année dernière, Steve Kerr s’est secrètement réjoui de voir les armadas Houston et OKC s’organiser pour faire chuter les siens. Il savait qu’il avait ici un nouvel argument à opposer à ses joueurs pour les remotiver, leur faire peur, ou leur titiller l’esprit dans les moments de doute. On se rappellera aussi de la raclée infligée par les Bulls de 1996 au Magic du Shaq et de Penny Hardaway lors des playoffs, Magic qui avait eu l’affront d’éliminer un Jordan tout juste sorti de sa retraite l’année précédente et qui faisait figure de principal rival pour Chicago.
Les garde-fous indispensables de la réussite
“Un grand dirigeant commande par l’exemple, pas par la force” – Sun Tzu, L’art de la guerre.
Il est un dénominateur commun à toutes les dynasties, Celtics, Lakers, Bulls, Spurs, Warriors, un dénominateur que l’on retrouvera à n’en pas douter dans les dynasties futures : toutes s’appuient sur des joueurs, peu importe leur statut, qui contribuent à faire perdurer le succès. On prend souvent l’exemple de Tim Duncan pour illustrer ce propos, ou de manière plus actuelle celui de Stephen Curry. Par leur statut de star emblématique de leur franchise, ils sont les porte-drapeaux tout trouvés de ceux que l’on présente comme essentiels à un vestiaire, et à une dynastie.
Avec ces deux joueurs, nul doute que Gregg Popovich et Steve Kerr ont pu trouver là deux appuis indispensables à l’équilibre de leur roster et à la réussite de leur franchise. Deux joueurs mais aussi deux hommes qui de par leur caractère de coéquipier modèle permettent à leurs coachs de faire une multitude de choses que ne peuvent pas s’autoriser 90% des autres coachs dans l’histoire. Ce n’est pas un hasard si le mythique coach texan a souvent confessé que le plus grand cadeau que lui ait fait Tim Duncan a été de se laisser coacher.
Car on peut parfois lire – et c’est quelque fois vrai – que les grands joueurs ne se coachent pas, qu’il faut les laisser faire, les laisser dominer par leur talent. Après tout, le reste ne serait que littérature. Mais qui pourrait nier qu’avoir à sa disposition une star du niveau d’un Duncan ou d’un Curry, qui permet à son coach de la traiter comme n’importe quel autre joueur (toute proportion gardée), est un cadeau inestimable ? Si votre joueur dominant accepte telle ou telle consigne, tel ou tel fait, décision, posture, de votre part en tant que coach, il y a de grandes chances que le reste de la troupe suive. Et donc qu’en conséquence, votre équilibre, votre domination perdure.
Pourquoi pensez-vous que lors de la récente brouille entourant les Warriors, de nombreux observateurs ont pu faire remarquer que Curry était absent du vestiaire des Clippers quand les choses se sont envenimées ? C’est tout sauf un hasard. Le meneur est le symbole de la franchise de Golden State, il est celui qui a permis à la franchise d’accéder au rang qu’elle occupe. Il est aussi celui qui a d’abord occupé la scène seul, avant de concéder sans aucun remords à la partager. Devant le nombre d’exemples dans l’histoire montrant des associations de stars qui ont volé en éclat, personne ne peut nier que ce que fait le meneur des Warriors depuis quelques années par son comportement est tout autant, si ce n’est plus important, que ce qu’il fait sur le terrain. Et sa présence est cruciale, qu’il joue ou non, pour le vestiaire californien.
Toutefois ces joueurs-là, qui constituent le ciment d’un groupe, d’un esprit sain et qui s’assurent que rien ne vient perturber la route vers la gloire ne sont pas toujours du calibre d’un Tim Duncan. Ils sont autant de Derek Fisher, d’Andre Iguodala, d’Udonis Haslem et j’en passe. Leur mission – contrairement aux deux ogres vus à l’instant – n’est pas forcément de guider la franchise vers les sommets par leurs performances statistiques. Ils sont là pour s’occuper de ce qu’on ne voit pas à l’écran, ils agissent dans des moments où aucune caméra ni aucun micro ne traînent, dans l’intimité des vestiaires. Ils sont ceux qui n’ont pas peur de dire à tel ou tel joueur majeur quand est-ce que la ligne a été franchie, quand est-ce qu’il faut se remettre au travail, ils servent de lien, de médiateur. Ils sont des voix que tout le monde écoute et que chacun accepte d’entendre, peu importe leur statut dans l’équipe.
Leur départ, qu’il soit dû à une retraite, à un trade ou autre, est toujours une énorme perte. Elle peut casser un élan, un groupe. Bien souvent quand les garde-fous foutent le camp, c’est que l’heure de la capitulation a bientôt sonné…
L’inévitable fin
“Lorsque le coup de tonnerre éclate, il est trop tard pour se boucher les oreilles” – Sun Tzu, L’art de la guerre
Une organisation aura beau tout mettre en œuvre pour repousser l’inévitable, elle n’y arrivera jamais. Oui je sais, ça a quelque chose d’assez déprimant, mais c’est une réalité. L’ordre établi est fait pour être renversé. Que les causes de la chute soient internes, suite à des conflits d’ego ou des divergences d’opinions, ou externes, par la faute d’un ou plusieurs départs voire retraites, elles sont inéluctables pour la franchise qui était jusqu’alors aux sommets. Après le beau temps, la pluie.
La retraite de Jordan pour les Bulls. Les départs successifs des cadres pour les Spurs. La fin du Showtime aux Lakers dans les années 80, la brouille entre Kobe et Shaq aux débuts des années 2000. Le départ de LeBron de Miami. Toutes les dynasties – ou tentatives – chavirent à un moment donné. On l’a vu tout au long de cet article, des solutions et des clés existent pour repousser l’issue fatale, mais on ne peut pas y échapper indéfiniment. La NBA tout comme l’Histoire est faite de cycles de domination. Les ères se succèdent, mais aucune ne perdure sans fin.
Les Warriors connaissent depuis quelques années sans doute les plus belles pages de leur histoire en termes de résultats. Ils dominent la Grande Ligue de la tête et des épaules depuis près de 4 ans. Ils vont être amenés, dès cet été, à faire des choix forts autour principalement de Klay Thompson, Kevin Durant, et indirectement Draymond Green. Tous ne pourront pas restés dans la baie, sauf immenses sacrifices financiers impensables sur le long terme. KD partira peut-être, ou peut-être pas. S’il part, est-ce que son départ précipitera la fin du règne des Dubs, ou au contraire, le renforcera-t-il ? Autant de questions pour l’instant sans réponse, mais une chose est sûre : un jour, les Warriors ploieront genou. Les 29 autres franchises pourront alors à nouveau sourire, et les supporters déchus de leurs couronnes auront des souvenirs plein la tête. Et une nouvelle franchise tentera déjà de poser son empreinte sur l’histoire NBA : le roi est mort, vive le roi !