La nouvelle est tombée hier et n’a pas manqué de faire tiquer la planète basket : à peine plus d’une semaine avant le début de la saison régulière, les Suns ont limogé leur General Manager Ryan McDonough, mettant un terme à un mandat de 5 ans. Avant de s’étaler sur le timing désastreux de cette annonce, retour sur les raisons possibles de ce licenciement.
Un retour à la case départ problématique
Mai 2013. Les Suns sortent d’une saison à 25 victoires pour 57 défaites, et voient pour la 3e année consécutive les playoffs se refuser à eux. Depuis l’arc-en-ciel de 2010, les déceptions s’accumulent et l’heure est désormais à la reconstruction après ces 3 échecs et le départ de Steve Nash, figure de proue des années 2000 et symbole du succès passé de Phoenix.
Pour mener à bien cette reconstruction, la direction choisit de miser sur du sang neuf. Exit le GM Lance Blanks, c’est Ryan McDonough, assistant de Danny Ainge à Boston, qui séduit la franchise. La première mission qui lui est confiée est claire : remettre de l’ordre dans une maison sans dessus-dessous. Mission qui semble dans un premier temps extrêmement bien partie.
À l’intersaison 2013, McDonough frappe fort. Phoenix doit trouver un coach et c’est Jeff Hornacek, ancien joueur de la maison alors assistant-coach du côté d’Utah (tiens donc, comme cette année), qui est choisi pour entamer la phase de transition. L’objectif sportif n’est pas très élevé, personne ne s’attend réellement à voir les Suns en playoffs, bref le contexte est idéal pour un coach rookie (tiens donc, comme cette année, vous commencez à saisir ?). Sur sa lancée, McDonough utilise le 5e choix de Draft pour sélectionner Alex Len – on y reviendra – et surtout, organise un deal en triangle avec les Clippers et les Bucks pour récupérer Eric Bledsoe, âgé de 24 ans à l’époque et dont on attend beaucoup (on ne se fait pas surnommer mini-LeBron sans raison). L’effectif ne fait pas rêver outre mesure mais le dégraissage massif (exit les Michael Beasley, Marcin Gortat et autre Shannon Brown) et le duo Dragic-Bledsoe sont autant de facteurs d’espoir pour l’avenir. Espoirs qui, au terme d’une saison 2013-2014 où Phoenix surprend tout le monde en signant 48 victoires, sont décuplés. Personne ne se doute alors que c’est déjà la fin de l’état de grâce.
L’intersaison 2014 représente la première épine dans le pied de Ryan McDonough : la resignature de Bledsoe se fait attendre. Après une demi-saison de haute tenue, il réclame un gros paquet de fric que la direction rechigne, dans un premier temps, à lui donner. Pour parer à l’éventualité d’un départ, les Suns font l’acquisition d’Isaiah Thomas en provenance de Sacramento (pour une bouchée de pain, il faut le reconnaître). Sauf qu’évidemment, Bledsoe finit par re-signer et Phoenix se retrouve avec 3 meneurs sur les bras. “Ça va marcher, c’est inédit mais ne vous inquiétez pas, on trouvera un moyen de faire briller les 3”.
Dans la pratique, évidemment, ça foire. Le trio ne s’entend pas et le 19 février 2015, Dragic et Thomas, mécontents (sans blague), sont transférés respectivement à Miami et Boston. Le super méga trio de l’audace n’aura tenu qu’une demie-saison. Les contre-parties obtenues s’ajoutent à ce constat d’échec cuisant : seul Brandon Knight présente un peu d’intérêt, le reste n’est que vétérans coupés pour libérer de la masse salariale et une multitude de tours de draft. Oui, chez nous on appelle ça de la reconstruction. Un pas en avant, deux pas en arrière. L’équipe a régressé, tant par les résultats que par le talent disponible. Et ce n’est que le début.
La saison 2015-2016 voit l’ère du tanking débuter officiellement à Phoenix. Mais pas du tanking en souplesse et délicat, non. Du tanking bruyant. Bledsoe voit sa saison s’achever après 31 matchs, mais il fallait un peu de vaisselle cassée. Markieff Morris s’embrouille avec Hornacek (et on fait tourner les serviettes), obtenant enfin son billet de sortie du marasme qu’est devenu Phoenix. Hornacek ne tarde pas à le suivre puisqu’il est viré à la fin de la saison. Earl Watson le remplace.
À partir de là, plus grand chose à signaler. On se rend compte que Watson n’a pas les épaules d’un head coach, Bledsoe râle et trouve le moyen de se faire transférer contre des Kinder Country, les Suns tankent, les Suns tankent et les Suns tankent, empilant les tours de draft. 5 ans après la nomination de McDonough, l’équipe n’a pas avancé d’un iota. Problématique. Mais ces fameux tours de draft, à quoi ont-ils servi ?
La draft : quelques jolis coups, et beaucoup de cagades
Disons-le tout de suite, comme ça c’est fait : Ryan McDonough a drafté Devin Booker et on ne pourra jamais lui enlever ça. Malgré tout ce que nous nous apprêtons à dire, on ne peut absolument rien contester concernant ce point. Josh Jackson a encore des choses à prouver mais il a réalisé une saison rookie de très bonne facture, avec un final en trombe. La draft de TJ Warren était également un bon coup. L’ailier n’a certes pas la dimension de Booker, mais il a toutes les qualités requises pour être un titulaire solide dans bien des équipes. Tout n’est donc pas à jeter, loin de là.
Pour le reste, les échecs de McDonough se concentrent principalement sur deux moments forts :
- La sélection d’Alex Len avec le 5e choix en 2013. D’accord, cette draft n’était pas la plus talentueuse que l’on ait connu. Mais on ne peut pas s’empêcher d’y voir tout de même un gâchis. Len était le prototype du joueur doté de qualités athlétiques certaines mais dont le jeu restait à polir. Problème, ce coup de polish n’a jamais vraiment eu lieu. Il y a certes eu une légère progression, mais le résultat final est à des années lumière de ce qu’espérait la direction le soir de la draft. Il faut dire que Len n’a pas été avantagé non plus. Pourquoi avoir fait venir le vieillissant Tyson Chandler (et son contrat juteux) alors que l’intérêt était de donner des minutes à Len, quitte à se planter en beauté ? Forcément, la confiance de l’ukrainien en a pâti. Cela n’excuse pas tout mais la venue de Chandler a clairement été contre-productive dans la logique de reconstruction de l’équipe.
- La sélection de Dragan Bender avec le 4e choix et le trade pour obtenir Marquese Chriss avec le 6e choix. Une nouvelle fois, les Suns jettent leur dévolu sur un intérieur européen avec un énorme potentiel. Alors âgé de seulement 19 ans, le croate débarque en NBA avec l’étiquette de prospect à long terme, dont le jeu nécessite un développement certain. Bon, à la limite pourquoi pas. Du moment qu’il a du temps de jeu et qu’on ne lui fait pas le même coup qu’à Alex Len avec une concurrence superflue, ça ira. Ah bah c’est raté. En effet, McDonough a l’idée saugrenue de trader le 13e et le 28e choix, ainsi que les droits sur Bogdan Bogdanovic (drafté en 2014), à Sacramento… Pour récupérer le 6e choix et Marquese Chriss. Voilà, donc il drafte deux joueurs, à la même position, avec l’espoir qu’au moins un des deux devienne un très bon joueur. Il est vrai que l’expérience Johnny Flynn – Ricky Rubio avait été tellement concluante du côté de Minnesota qu’il fallait obligatoirement tenter la même. Résultat ? À trop vouloir développer un coup l’un, un coup l’autre, les Suns n’en ont développé aucun. Chriss a été expédié à Houston cet été après avoir surtout brillé par son intelligence digne des plus grands candidats des Marseillais vs le Reste du Monde, et Bender ne semble toujours pas vraiment savoir ce qu’il fait sur le parquet. Quel nez fabuleux tu as eu mon bon Ryan.
Ok, l’échec est aussi dû à la qualité intrinsèque des joueurs. Mais rien n’a été fait pour les mettre dans de bonnes conditions. Len s’est vu entravé dans sa progression par la présence d’un Tyson Chandler en pré-retraite, alors que Bender et Chriss ont été condamnés à progresser aux dépens de l’autre, ne parvenant jamais à se faire une place solide dans la rotation. Une affaire rondement menée. Au-delà de la draft, McDonough a la fâcheuse habitude de surcharger des postes, pour des résultats sacrément foireux. Entre le trio Dragic-Bledsoe-Thomas et les situations décrites ci-dessus, la cohérence n’a pas toujours été de mise. Les Suns ont toujours paru être pris entre deux feux, entre la volonté de jouer un rôle sérieux, née des espoirs de 2013-2014, et celle de développer des jeunes pour s’assurer un avenir radieux. Sauf que ces deux volontés se tirent dans les pattes, et qu’à trop vouloir jouer sur plusieurs tableaux, tout a explosé.
Pourquoi maintenant ?
Bon, compte tenu de ce que l’on vient de détailler, le licenciement de McDonough ne devrait scandaliser personne. Il y a eu de bonnes choses, mais surtout des mauvaises, et le bilan est clairement négatif. Alors pourquoi tout ce bruit ? Tout simplement car le timing est scandaleux, à plusieurs égards.
Sur la forme, d’abord. Virer son GM à une semaine du début de la saison, ça fait tâche, peu importe la raison. C’est aussi simple que cela. De plus, la décision de le virer après que celui-ci ait mené toute l’intersaison est au mieux surprenante, au pire totalement débile. L’image de la franchise est écornée, et pour la confiance de celui qui prendra le relais, c’est assez catastrophique. Car si Robert Sarver l’a fait une fois, qu’est-ce qui l’empêche de recommencer ?
Ensuite, sportivement, ça ne croule pas sous le sens non plus. McDonough traîne certes une multitude de casseroles qui sont autant de motifs de licenciement valables, mais son intersaison 2018 était loin d’être mauvaise. On ne va pas tout redétailler – cela a été fait ici – mais entre la sélection de DeAndre Ayton, la signature de Trevor Ariza ou le choix d’Igor Kokoskov, Phoenix intrigue et donne de bons espoirs de progression. Évidemment, beaucoup de points sont à régler, avec en premier lieu l’absence de meneur digne de ce nom qui constitue un frein important dans la marche en avant de l’équipe. Mais il semblait clairement établi que les Suns ne joueraient de toute façon rien cette saison, voilà pourquoi il nous semble peu probable que l’incertitude au niveau de ce poste soit le seul motif de l’éviction de McDonough.
Cette dernière a probablement des causes plus profondes, liées directement à la personnalité du propriétaire Robert Sarver. Comme l’indiquent les récents tweets du Woj, l’homme a la réputation de s’impliquer énormément dans les décisions à la tête de la franchise, rendant très compliquée la position du GM puisque celui-ci n’a au final pas le dernier mot. Et McDonough ou un autre, ce sera la même chose. Si Sarver est le vrai pilote à bord, toutes les erreurs mentionnées ci-dessus sont-elles réellement le fait de McDonough ? Ne paye-t-il pas plutôt le fait de n’avoir pas su satisfaire les souhaits de son propriétaire ? On a notre petite idée quant à la réponse. Comme les Knicks avec James Dolan, les Suns sont condamnés à subir les décisions impulsives, sans vision sur le long terme et déconnectées de la réalité d’un propriétaire qui gère son équipe comme on gère sa franchise sur NBA 2K. Le renvoi de McDonough n’est que le dernier coup de tête d’une longue série.
De nombreuses voix s’élèvent dans la fanbase de Phoenix pour que Sarver vende la franchise, et ce depuis des années. En attendant cette délivrance qui n’est pas prête d’arriver, on souhaite bien du courage à James Jones, si tant est que Sarver ne change pas d’avis une nouvelle fois et ne nous sorte pas un autre GM de derrière les fagots – coucou Kevin McHale.