Il est de ces joueurs dont la carrière ne ressemble à aucune autre. Dans la vision que nous avons de ce qu’est la vie d’un joueur NBA, on imagine que le fait de recevoir une avalanche de billets verts pour pratiquer votre passion suffit à rayer le mot “malheur” de votre champ lexical. Pourtant, les témoignages récents de DeMar DeRozan et Kevin Love ont largement entaché cette utopie. L’existence d’un membre de la grande ligue peut osciller entre enfer et paradis, et le Hall of Famer dont nous allons parler aujourd’hui en est l’illustration parfaite. Pour célébrer son 55e anniversaire, retraçons la carrière de Chris Mullin.
L’enfant de Brooklyn
Né à New York le 30 juillet 1963, Chris Mullin développe une affinité pour la balle orange dès l’enfance. La salle de sport de la St Thomas Aquinas Elementary School de Brooklyn, à deux pas de la maison familiale, n’a aucun secret pour lui. Seul ou avec ses trois frères, il répète inlassablement ses gammes et n’hésite pas à se faire attendre au moment des repas s’il ne juge pas la séance suffisamment éprouvante. Mullin aime le basket, le travail acharné, et New York.
C’est ainsi qu’au moment de choisir sa fac, après un titre de champion au lycée, c’est l’université locale de St John’s qui obtient ses faveurs. Fac respectable mais qui n’existe pas vraiment au niveau national, la seule arrivée de Mullin va propulser St John’s au rang des meilleures équipes du pays. Dans le sillage de son ailier, St John’s se hissera jusqu’au final four. Là encore, Mullin impressionne ses coéquipiers comme ses coachs par son éthique de travail hors du commun, qui lui vaudra le surnom de gym rat, le rat de gymnase. Aucun sacrifice n’est trop grand, mais le travail paye. Mullin est sacré meilleur joueur universitaire en 1985, titre auquel s’ajoutent 3 sélections All-American et une sélection pour l’équipe des USA aux JO de Los Angeles 1984. Aux côtés de Michael Jordan, Patrick Ewing et du reste du gratin universitaire, Mullin colle des peignées à tout ce qui a le malheur de croiser le chemin de Team USA et rapporte la médaille d’or au pays de l’oncle Sam.
Avec ce CV que l’on pourrait qualifier de sévèrement fourni, Chris Mullin se présente à la draft 1985 et est choisi en 7e position par les Golden State Warriors. Le début du rêve en théorie, sauf que tout ne va pas se passer comme prévu.
Bonjour, je m’appelle Chris et j’ai un problème
À côté de ses séances d’entraînement intensives et de sa vie plutôt bien rangée, Chris Mullin a un démon qui va devenir hors de contrôle lors de son entrée dans la ligue. Parmi tous les traits de caractère que lui a légués son père, le penchant pour la bouteille fait malheureusement partie du lot. Ce qui n’était jusqu’alors qu’une manière d’agrémenter les bons moments passés avec ses proches va se transformer un échappatoire.
Car en vérité, Mullin se sent mal chez les Warriors. Malgré des stats plutôt honnêtes pour un joueur en début de carrière, l’accumulation des défaites et l’éloignement de ses proches pèsent sur sa conscience. Ses coéquipiers de l’époque, qui ne sont pas forcément des modèles d’esprit collectif et de travail, ne comprennent pas pourquoi ce jeune loup passe des heures à peaufiner son jeu après l’entraînement, pourquoi il se crève autant alors que l’argent tombe peu importe le résultat.
Rongé par ces états d’âme, Mullin se tourne donc vers un ami buvable qui va devenir un peu trop envahissant, et sérieusement mettre en danger sa carrière. Le physique commence à montrer des signes de faiblesse, mais c’est le mental qui inquiète par-dessus tout. Mullin manque des rendez-vous, se montre distant avec sa femme lors des retours à la maison, et semble perdre son amour pour le basket. L’échappatoire s’est transformé en addiction pure et dure et, au début de sa troisième saison, la situation est très préoccupante.
Heureusement pour le n°17 (qu’il porte en hommage à John Havlicek), son coach Don Nelson est également préoccupé. Début décembre 1987, il prend son joueur à part et lui dit clairement qu’il a un problème avec l’alcool, et qu’il est temps d’agir pour y mettre fin.
Mullin va d’abord résister et refuser, comme cela peut arriver dans ces cas-là, d’admettre sa situation. Mais aux alentours de Noël, alors que Don Nelson l’a supendu pour avoir enfreint son engagement d’arrêter de boire, il entre finalement dans un centre de désintoxication. Le chemin ne va pas être simple, et coûtera presque la vie à Mullin : son groupe de parole est pris au milieu d’une fusillade près d’une église d’Inglewood. Couché par terre et craignant pour sa vie, Mullin a un déclic qui le pousse à entreprendre les efforts nécessaires pour s’en sortir. Comme la vie peut parfois être un monstre, le “test de réussite” de Chris consistera à affronter le décès de son père, mort d’un cancer du poumon en 1990. Pourtant, même dans cette période de douleur intense, jamais il ne retombera dans ses travers. Le démon a lutté, mais le démon est vaincu.
Le talent de Chris Mullin est prêt à éclater à la face de toute la ligue.
“Quand Dieu a créé un joueur de basket…”
Refermons ces pages sombres et penchons-nous, enfin, sur le sportif. Chris Mullin sur un terrain, ça donne quoi ?
Un gaillard de 2m01, peu adepte des grandes envolées mais affûté comme un mercenaire, impression renforcée par sa coupe de cheveux digne d’un sergent de l’armée. Avec un tel physique, les comparaisons avec Larry Bird ne tardent forcément pas à arriver. Mais il faut avouer que dans le jeu, les similitudes sont là. L’ancien de St John’s possède des fondamentaux offensifs tellement aboutis que Magic Johnson – on ne parle pas de Jo le rigolo, au cas où vous ne l’auriez pas compris – déclare en interview : “Quand Dieu a créé un joueur de basket, il a juste découpé Chris Mullin et a dit “Voilà un joueur””. Difficile de faire plus élogieux.
Aucun lay-up n’est trop compliqué, quelle que soit la position. L’ailier des Warriors dunke peu, en revanche ses finitions près du panier relèvent presque de l’art. Quant au shoot, il suffit de voir ses statistiques en carrière pour comprendre à qui l’on a affaire : 50.9% au tir, avec 38.4% de réussite derrière l’arc et 86.5% sur la ligne de réparation. Quand Mullin déclenche un tir contre votre équipe favorite, vous n’avez plus qu’à retenir votre respiration et espérer un miracle.
Si son allure peut laisser suggérer une certaine lenteur, il n’est pourtant pas rare de le voir galoper jusqu’au panier adverse en contre-attaque pour recevoir une passe et finir tranquillement sans opposition. Comme Bird, il n’excelle pas particulièrement en défense mais ses mains en or ne sont jamais les dernières pour voler des ballons dès que l’occasion se présente. On est donc sur du package très complet, capable d’apporter sur beaucoup de plans. Entouré des joueurs qu’il faut, ça peut faire très très mal. Ah ben tiens, les Warriors draftent Mitch Richmond en 1988 et Tim Hardaway l’année suivante…
She told me to walk this way
Si Mullin possède alors des stats appréciables autour des 15-20 points de moyenne, l’arrivée de ce nouveau backcourt va faire entrer sa carrière dans une autre dimension. Dès l’arrivée de Richmond en 1988, sa production passe brutalement à 26.5 unités par match, et restera au-dessus des 25 sur 5 saisons consécutives. Le potentiel offensif du trio est effrayant : Tim Hardaway est un artiste du maniement de ballon qui peut créer des décalages à volonté; Mitch Richmond est l’arrière le plus difficile à défendre selon… ah oui, Michael Jordan; et Chris Mullin, vous commencez à le connaître.
Comme ces messieurs ont la chance d’être sous les ordres d’un coach qui n’a absolument aucun problème pour lâcher la bride à ses joueurs en la personne de Don Nelson, la mayonnaise prend méchamment. Les Warriors cavalent dans tous les sens, selon la philosophie du “wallah c’est pas grave d’en prendre 120 si on en met 125”, et voient leur popularité croître à la même vitesse que leurs contre-attaques dévastatrices. L’Oakland Arena est remplie en permanence, séduite par le tempo ultra-rapide et la personnalité attachante de son trio.
Les playoffs ne seront pas au rendez-vous en 1989-1990, mais peu importe, les joueurs de la baie continuent de pousser leur style de jeu débridé à son paroxysme. Le 2 novembre 1990, Warriors et Nuggets – une autre équipe réputée pour son attaque totalement survoltée – combinent 320 points dans le temps règlementaire. Zéro défense, zéro système, ça court d’un panier à l’autre dans un match remporté par Golden State 162-158. CENT-SOIXANTE-DEUX À CENT-CINQUANTE-HUIT MESSIEURS DAMES. EN 48 MINUTES. On a connu des matchs de playoffs avec deux fois moins de points.
C’est également au cours de cette saison 90-91 qu’un concours sera organisé auprès des fans pour trouver le nom de ce trio si populaire : le Run TMC est né. Il bénéficie d’un soutien de qualité, notamment par l’excellent Sarunas Marciulionis, et permet à Golden State d’obtenir son billet pour la postseason. Les Spurs de David Robinson se dressent face aux Warriors et ont l’allure de grandissimes favoris. C’était sans compter la surprise majeure concoctée par la troupe de Don Nelson : ces enfoirés se mettent à défendre. Après avoir encaissé 130 points au Game 1, les Warriors se motivent sérieusement et tiennent les Spurs à 100.3 points de moyenne sur les 3 matchs suivants. La défense montre les dents mais l’attaque ne faiblit pas, de quoi donner un casse-tête insoluble aux texans qui s’inclinent 3-1 dans la série.
Malheureusement pour les Warriors, un géant en chasse un autre puisqu’ils héritent des Lakers de Magic au tour suivant. Et cette fois, ça ne sera pas du tout la même histoire. Les velléités défensives aperçues face aux Spurs sont en RTT pendant cette demi-finale de conférence, et Golden State prend l’eau de toutes parts. Malgré une victoire surprise au Game 2 sur le parquet de LA, le manque de rigueur et d’organisation de l’équipe constitue un fardeau bien trop lourd face à un adversaire aussi redoutable. Les Warriors sortent en 5 matchs, mais sortent la tête haute. Hélas, ce sera le dernier fait d’armes du Run TMC.
Vous reprendrez bien quelques années de galère ?
Dès le début de la saison 1991-1992, la direction des Warriors, lassée des errements défensifs de l’équipe, décide de transférer Mitch Richmond à Sacramento. Même si les résultats continueront de suivre quelques temps (55-27 en 91-92, 50-32 en 93-94), Golden State ne passera plus le premier tour. Hardaway et Mullin souffrent du départ de leur compère, et plus grave encore, les blessures s’en mêlent.
Chris ne joue ainsi que 46 matchs en 92-93, 25 en 94-95 et 55 en 95-96. Malgré la présence de quelques beaux noms dans l’effectif, comme Latrell Sprewell et Chris Webber, la franchise brillera davantage par ses frasques – embrouille entre Webber et Nelson, Sprewell qui pète une durite et qui essaie d’étrangler PJ Carlesimo en 98 – que par ses performances sur le terrain.
Même si le coeur n’y est plus vraiment et que les défaites s’empilent comme les cannettes de bière vides quelques années auparavant, Mullin continue de porter fièrement les couleurs de Golden State et de jouir d’une grosse cote de popularité auprès des fans. Mais le temps passe, et s’il veut entretenir l’espoir d’un titre, un changement de décor s’impose.
Seule parenthèse dorée au milieu de ces années difficiles, Mullin est bien évidemment sélectionné pour faire partie de la Dream Team à Barcelone en 92. Il y côtoie, entre autres noms ronflants, un certain Larry Bird. Le même Larry Bird qui, au début de la saison 1997-1998, cherche la pièce manquante pour permettre aux Pacers, dont il est le coach, de mettre le pied en finale.
Mullin débarque dans l’Indiana et y reste 3 saisons. Il n’est plus celui qu’il a été, mais peut encore rendre de fiers services grâce à son tir d’une précision toujours diabolique (encore 44% à 3 points en 97-98…). En l’utilisant comme troisième option derrière Reggie Miller et Rik Smits, les Pacers réalisent une grosse saison et poussent les Bulls de Jordan au 7e match lors de la finale de conférence Est. Bien sûr, ils n’iront pas plus loin. C’est Jordan quoi.
Mais le frisson des finales viendra finalement. En 2000, alors qu’il a 36 ans et qu’il ne joue plus qu’une douzaine de minutes par match, Chris Mullin participe à 3 matchs de la finale NBA perdue 4-2 par Indiana face aux Lakers. Après un retour au bercail pour terminer l’aventure sous le maillot des Warriors, Mullin met fin à sa carrière longue de 16 ans. La saison suivante, il intègre le coaching staff de Golden State en tant qu’assistant, puis devient GM en 2004, poste qu’il occupe jusqu’en 2009. Il est donc l’artisan de l’équipe de 2007 et, à ce titre, mérite notre reconnaissance éternelle – même si le reste de son mandat n’est pas forcément fameux. À la suite de cette expérience, il devient le coach de l’université de St John’s, comme pour boucler la boucle. Il est toujours en poste à l’heure actuelle.
C’est une carrière atypique, faite de hauts mais aussi d’un grand nombre de bas. La vie de Chris Mullin a été jonchée d’épreuves, qui n’ont jamais réussi à le mettre à terre. Les récompenses ont été à la hauteur des sacrifices avec 5 sélections au All-Star Game, deux médailles olympiques, une intronisation au Hall Of Fame et une présence éternelle dans l’esprit des fans pour sa participation au Run TMC. Par sa persévérance et son éthique de travail, il a été, et continue d’être un modèle pour de nombreux joueurs NBA. Sergent Mullin, vous pouvez disposer.
Statistiques :
18.2 pts (50.9 %, 38.4% à 3 pts et 86.5% aux lancers), 4.1 rbds, 3.5 ast, 1.6 int
Palmarès :
All-Star 1989, 1990, 1991, 1992, 1993
All-NBA 1st team 1991-1992
All-NBA 2nd team 1988-1989, 1990-1991
All-NBA 3rd team 1989-1990
Champion olympique 1984, 1992
Introduction au Hall Of Fame en 2011