Free agency 2018, Chris Paul signe un contrat de 4 ans pour 160 Millions de dollars. Quelques jours plus tôt, Carmelo Anthony décide d’activer sa player option pour 27,9 Millions sur sa dernière année, les dollars pleuvent en ce début d’été. Mais du côté texan une inquiétude semble poindre…
Au royaume des billets verts : la logique financière évidente
Quels sont les points communs entre Melo et CP3 ? Ils sont américains ? Soit. Ils jouent au basket ? Bon mettons. Mais encore ? Ils n’arrivent pas à atteindre les finales NBA ? On s’approche. Ils aiment vraiment beaucoup l’argent ? Nous y voilà.
Alors ici il ne sera pas question de faire dans la démagogie ni dans la langue de bois. Oui les salaires des joueurs NBA sont mirobolants. Mais il ne faut jamais perdre de vue qu’ils génèrent des revenus au moins équivalents pour la plupart d’entre eux, largement supérieurs pour certains des plus en vue. L’argent est une motivation pour eux comme il l’est pour une majorité de gens. S’il parait évident que la majorité des joueurs NBA n’auront aucun mal à remplir le frigo (bien qu’il existe de tristes histoires, comme dans tous les sports de haut niveau), cela ne les empêchent pas d’être ambitieux, voire gourmands, sur le plan salarial. On ne le rappellera jamais assez mais la carrière d’un sportif de haut niveau peut parfois prendre fin de manière brutale. L’exemple de DeMarcus Cousins, de sa rupture du tendon et des doutes sur sa faculté à revenir au plus haut niveau est un spectre qui plane au-dessus de toutes les têtes de la ligue. Preuve en est l’absence, réelle ou supposée, d’offres lors de son passage en free agent.
S’il serait exagéré de s’en faire pour les finances de certains joueurs tant les montants font rêver, il ne doit pas être occulté que ces mêmes joueurs ont des trains de vie différents, où l’effet de mimétisme et d’entrainement, la réputation et le paraitre, ont un rôle très (trop ?) important. Ainsi, certains joueurs pourront être amenés à privilégier l’aspect financier, à sécuriser leur avenir et celui de leurs proches, au détriment des considérations purement sportives. A ce titre, le choix de Boogie apparait à contre-courant des deux signatures mises en lumière dans le présent article. A l’étiquette de joueur avide d’argent il aura préféré celle de ring chaser. En choisissant une autre franchise moins médiatique et moins susceptible de jouer les premiers, on aurait pu critiquer son manque d’ambition. Finalement, y avait-il un bon choix ?
On a pu lire un peu partout sur la toile que le choix de Melo était résolument orienté vers l’aspect financier plutôt que vers l’aspect sportif, qu’il allait plomber les finances et la flexibilité du Thunder sur le marché de la free agency. Difficile de donner tort à cette vision des choses, notamment en ce qui concerne les derniers points. Au niveau salarial, en 2018/2019, OKC va exploser le plafond de la luxury tax et les propriétaires de la franchise devront mettre la main à la poche. Mais si on réfléchit à l’aspect sportif, le Thunder n’est-il pas un des prétendants le plus sérieux à la contestation de la domination des joueurs de Golden State ? La paire Russel Westbrook Paul George a-t-elle un autre objectif en ligne de mire, une autre raison de s’entrainer si dur ? L’arrivée de Melo devait permettre de créer un big three capable de faire vaciller la hiérarchie trop prévisible d’une conférence Ouest qui se renforce de mois en mois. Force est de constater que le pari n’a pas été payant. Pire, ce all-in va considérablement handicaper la franchise, qui devrait négocier un buy out avec le joueur, voire le cut directement.
Cela étant rappelé, il ne faut pas oublier de mentionner que lors des négociations de son contrat avec les Knicks, contrat repris l’an passé par le Thunder, Melo avait réussi à obtenir une clause rare pour un joueur, que même le Chef Curry n’avait pas réussi à extirper aux Warriors, la No Trade Clause. Si on se place du point de vue purement juridique, cela implique que le joueur a accepté le trade vers le Thunder. Son salaire, hormis dans le cas d’une présence de Trade Kicker, n’aura pas évolué en changeant de franchise. On peut donc supposer que c’est l’aspect sportif qui a motivé initialement la décision de Carmelo Anthony. Quitter un aussi gros marché que New York semble à contre-courant des motivations principalement financière qu’on lui prête.
Il faut également revenir sur un point qui est très souvent occulté : les contrats sont la matérialisation de la rencontre des volontés des parties. Même si l’une d’entre elles peut parfois se retrouver en situation de faiblesse relative lors d’une négociation, l’apport de sa signature démontre l’entièreté de son consentement. Autrement dit, les dirigeants sont parfaitement au fait des contraintes, financières et sportives, liées à la signature d’un joueur ou d’un contrat particulier. Par exemple, et on y reviendra plus tard, les Rockets ont parfaitement conscience des sommes qu’ils vont devoir dépenser à cause de la signature de Chris Paul. Outre une luxury tax qui semble inévitable pour plusieurs saisons, ils auront à s’acquitter de la luxury tax repeater, qui viendra à son tour creuser les finances de la franchise texane.
Si la décision de l’ancien des Knicks n’a surpris personne tant il semble évident que la logique sportive n’est, prétendument, plus son objectif premier, le contrat suivant a fait ouvrir de grands yeux à tous les observateurs. Pourtant, tout avait été mis en place de longue date pour que cela se produise.
Au royaume des billets verts : l’égoïsme au service de l’équipe ?
Petit retour en arrière avec l’ancienne convention collective de la NBA. Selon l’ancienne mouture, il n’était pas possible de conclure un contrat de 4 ou 5 années avec un joueur ayant plus de 36 ans au cours du contrat. Désormais cette limite est portée à 38 ans depuis 2016. Une évolution a priori avantageuse pour les vétérans et souhaitée par le président du syndicat des joueurs de NBA, un certain…. Chris Paul, 33 ans, secondé par le vice-président un inconnu du nom de LeBron James, âgé de 34ans. La volonté du syndicat semblait alors être la possibilité de proposer des contrats stimulant à des joueurs plus âgés, de décaler le curseur à partir duquel les salaires proposés allaient décroitre. De là à y voir une faculté pour ces deux joueurs de préparer de juteux contrats une fois la limite des 36 ans dépassée, nous vous laissons seul juge. Il faut cependant noter que ce type de clause va favoriser l’ensemble des vétérans de la NBA, du moins les plus bankables.
Quelques années plus tard, en 2018, le contrat de Chris Paul sur 4 ans et 160 millions de dollars laisse ébahi une grande partie des observateurs. Si la situation sportive de Melo et de CP3 est différente, l’un sortant d’une saison où il a marché sur l’eau, (18.6pts de moyenne, 5.4 rebonds, 7.9 passes décisives et une PIE de 16.6 selon le site NBA) tandis que l’autre laissait une impression d’inachevé (16.2 points de moyenne, son plus faible total en carrière depuis ses débuts. Total à relativiser en tenant compte de la présence à ses côtés de Westbrook et de Paul George), il apparait cependant des zones de convergences économiques entre la situation de Melo et du Thunder en 2018 et celle qu’auront des Rockets et CP3 dans les années 2020 et 2021.
En effet, il est possible de dégager une tendance, problématique, pour les Rockets : avec deux contrats gloutons dans leur escarcelle, la marge de manœuvre sur les prochaines années est réduite. James Harden a hérité de la Designated Vétéran Player Extension, permettant de signer un contrat sur 5 ans avec 35% du salary cap, sous réserve d’obtenir des récompenses individuelles que The Beard ne se donne même plus la peine de compter. En chiffres, cela donne pour les saisons 2019/2020 la somme rondelette de 37 800 000 dollars et un pactole à 40 824 000 dollars l’année suivante (avec, cerise sur la barbe, une saison 2021/2022 à presque 44 millions). La manne financière disponible sera limitée dans les saisons à venir, malgré une hausse attendue du salary cap. En effet, si on cumule les salaires des deux superstars pour la saison 2019/2020 on atteint 76,3 millions de dollars. Avec un cap attendu à 109 millions près de 70% de cette somme est donc déjà investie. Sachant que les rosters des équipes de NBA doivent contenir 12 joueurs au minimum, le front office réussit l’exploit de faire rentrer un maximum de monde dans un espace réduit. Pire, il devra réussir à créer une équipe compétitive à même de participer à la conquête de l’Ouest et limiter les salaires afin de ne passer dépenser des sommes folles en luxury tax.
Pour avoir une vision globale des difficultés, il faut également prendre en compte les autres contrats garantis pour cette saison. En effet, l’équation des Rockets devra également jongler avec les contrats de Ryan Anderson et d’Eric Gordon. Le montant cumulé des salaires cumulés de ces 4 joueurs atteint déjà les 111 millions de dollars. Sans attendre de poser un cinq majeur sur le parquet, les Rockets explosent déjà les plafonds des prochaines saisons. En ajoutant pour finir les salaires de PJ Tucker et Nene Hilario, on consomme encore 12 millions de dollar. Le cap est dépassé et avec seulement 6 joueurs on approche dangereusement de la luxury tax de cette année, estimée aux alentours de 132 millions.
Toutefois, si l’on veut rester optimiste, il est possible de se dire que l’équipe dirigeante ne va pas laisser la situation en l’état. Mais il est également notable qu’elle n’a pas été aidée par un esprit d’équipe débordant. Quand chez la concurrence, les GSW par exemple, Kevin Durant se montre accommodant pour que tout le monde puisse résigner, Chris Paul paraphe un énorme contrat, doté d’un non moins énorme chèque non pas au détriment de la logique sportive, mais aux dépens surtout de l’équilibre de l’équipe.
On pourrait penser qu’en sortant de la meilleure régulière de l’histoire de la franchise, l’objectif premier serait de renouveler ses joueurs, d’apporter une touche d’amélioration éventuelle sur un domaine pointé comme faible et de se relancer à la poursuite de la bande à Steve Kerr. Il n’en est pourtant rien. Ariza parti chez les Suns n’est-il pas la première victime collatérale de la gourmandise du meneur ? L’équipe vient également de perdre Mbah à Moute, reparti chez les Clippers. Selon ESPN, le joueur aurait été très mécontent des négociations, durant lesquelles seul le minimum vétéran lui aurait été proposé. Là où la situation semble déjà difficilement tenable c’est quand on regarde le montant de ce salaire minimum, 2 393 887 de dollars et qu’on le compare au contrat signé chez les Clippers, pour un montant de 4.3 millions. Les Rockets ont dont perdu un de leurs joueurs pour moins de 2 millions. Cet effort financier pourtant minimes n’a pas été fait par la franchise pour s’assurer un minimum de continuité. Cependant, les Rockets avaient-ils seulement le choix ?
Deux joueurs importants de la rotation lors de la régulière (ils culminent tous les deux à plus de 60 matchs joués) sont donc déjà partis, d’excellents défenseurs, assumant parfaitement leur rôle et, pour Ariza, un bon shooter à trois points (près de 38% de réussite derrière la ligne cette année). En somme, quantitativement mais également qualitativement, la franchise s’est démunie. Et il est possible que ce ne soit pas terminé.
Aujourd’hui c’est Capela qui est en ligne de mire. A l’heure où ces lignes sont écrites, le pivot texan est toujours agent libre restreint et semble se diriger vers une saison à 4.7millions de dollars, prévus par sa qualifying offer. Il y a pourtant peu de temps, tous les observateurs s’accordaient à dire qu’il était impensable pour le club de le perdre. Malheureusement, les quelques miettes du gâteau laissées par CP3 ont pu refroidir les ardeurs du géant suisse. Il est cependant très étonnant qu’aucune autre franchise n’ait pour le moment courtisé Clint Capela, ne serait-ce que pour venir embourber un peu plus les finances des Rockets. Ces derniers sont d’ailleurs dans une situation pour le moins inconfortable : s’ils ne s’alignent pas sur une éventuelle offre extérieure, ils perdent un joueur majeur, et d’avenir, de leur équipe. S’ils le font jouer sous qualifying offer, il sera agent libre non restreint l’an prochain et sera libre de plier bagages, sans que la franchise texane ne puisse y faire grand-chose vu l’état de son cap. Enfin, s’ils s’alignent sur une offre maligne, par exemple pour un montant de 80/90millions sur 4 ans, ils imploseront littéralement la luxury tax l’an prochain. Le dilemme du prisonnier.
Tout cela doit également être observé par le prisme des performances sportives, notamment liées à la forme et la santé de Chris Paul.
En effet, il ne faut pas oublier que même si ce dernier est un meneur monstrueux, un meneur all time comme on dit dans les milieux autorisés, il demeure un meneur en cristal. Il ne totalise qu’une seule saison pleine en régulière, la saison 2014/2015. Depuis son arrivée en NBA, il joue en moyenne 70 rencontres, ce qui reste solide certes. Mais sa blessure, au pire moment des Playoffs, nous rappelle à de mauvais souvenirs. Et il ne va pas en rajeunissant. Il ne faut effectivement pas oublier que CP3 aura bientôt 34 ans. Son contrat s’étirera sur 4 saisons, soit jusqu’à ses 38ans. Son corps supportera-t-il encore 4 années au plus haut niveau ? Dans une équipe exigeante, visant le titre ? Rien n’est moins sûr. Il apparait cependant que la direction des Rockets a fait un choix. Il faut espérer pour eux qu’il est murement réfléchi, au risque de se retrouver avec un contrat difficile à gérer.
Dans une conférence Ouest toujours plus compétitive, les prétendants au trône des Warriors fourbissent leurs armes. Les Rockets bien sûr, malgré une marge de manœuvre qu’ils auraient surement espéré plus large, mais également les Lakers avec l’arrivée du King, le Jazz et sa pépite Mitchell, et le Thunder de Russel Westbrook, qui vient de resigner Paul George pour 4 ans…et de conserver Melo contre leur gré.
Au royaume des billets verts : un poids, un boulet, deux mesures
Les situations sportives sont pourtant loin d’être dissemblables. Les effectifs des Rockets et du Thunder sont taillés pour aller contester la suprématie des Warriors. Les gars de Houston ne sont d’ailleurs pas passés si loin que ça de mettre fin à l’hégémonie des joueurs de la “Bay”. Pourtant le traitement réservé à CP3 et Melo est différent. Dans le cas du premier, on critique le front office qui propose un contrat trop long, trop cher, on s’étonne de l’inconscience des dirigeants de proposer à un joueur si âgé et si fragile un véritable pont d’or dont les retombées ne seront peut-être pas celles attendues. Si effectivement des voix se font entendre pour dénoncer l’absence d’altruisme du meneur et son impact trop important sur les finances futurs de son équipe, le principal bouc émissaire reste la franchise. Du côté de l’Oklahoma en revanche, il ne semble y avoir qu’un seul coupable. Finalement, quand on y regarde de plus près, les deux joueurs n’ont fait qu’exploiter au mieux le système dans lequel ils évoluent et pourtant, l’aura du joueur, le fait d’avoir « la carte » comme on dit, va profondément moduler l’appréciation qui est faite de la situation. S’ils semblent privilégier l’aspect financier, rien n’indique que la décision de Paul ou d’Anthony n’est pas sous-tendue par une logique sportive, par la volonté d’aller chercher un titre, par l’envie de participer à un collectif talentueux taillé pour la conquête, même si les doutes sont permis.
Il faudra attendre les prochaines saisons pour pouvoir analyser correctement les implications de la décision de Chris Paul et des Rockets. Néanmoins, les signes d’un rétrécissement des marges de manœuvres de la franchise texane semblent évidents. Il faudra être ingénieux, inventifs et à l’affût des meilleurs affaires pour pouvoir entourer le plus efficacement possible, au moindre coût, les deux superstars. Le constat vaut également pour les autres équipes qui ne manqueront pas de se jeter sur les déçus de cette politique et qui réaliseront à coup sûr d’excellentes opérations. Ce ne sont pas les Suns qui diront le contraire.