Ah la NBA. Ses athlètes, ses compétiteurs invétérés et ses égos dopés aux entourages douteux. Nombreuses sont les stars NBA qui vivent selon les lois du capitalisme, en quête d’étoiles et d’argent. Comment leur en vouloir ? Toute leur vie a été construite pour arriver à l’échelon ultime, celui de joueur de la grande ligue, celui de star. On le sait, se faire un nom en NBA est le rêve d’une vie. On se rend compte très jeune qu’on a du talent, alors on bosse, on passe des heures à travailler son corps, les autres à garnir son jeu pour un jour pouvoir vivre de sa passion. Des années bénies, souvent trop courtes dont il faudra profiter pleinement. Profiter de la gloire, de la fraternité, du jeu et évidemment – de l’argent qui coule à flot.
Cet été, Nikola Jokic vient de signer un contrat de 145M de dollars sur 5 ans avec les Denver Nuggets. C’est forcément le rêve d’une vie, n’est-ce pas ? En réalité, pas vraiment. On pourrait même dire pas du tout. Le jeune pivot titulaire s’est imposé sans coup férir dans le Colorado. Pourtant, rien ne le prédestinait dans son enfance, son adolescence ni même il y a encore quelques années à devenir un grand nom de la plus grande ligue de basketball au monde. On se refait la chronologie d’une success-story sans queue-ni-tête.
Dernier d’une fratrie dans laquelle le basketball occupait une place particulière, Nikola n’est pourtant pas féru de ce sport tout particulièrement. Il le pratique au milieu d’autres sports tels que le volleyball, le football et surtout l’équitation. Aussi étonnant que cela puisse paraître, le plus jeune des Jokic veut être jockey, même s’il ne met aucunement ses chances de son côté pour réussir dans sa quête. Pourquoi ? Parce qu’il va sans dire que sa forme physique n’a jamais été son point fort.
Âgé de 14 ans, il a beau s’avérer particulièrement doué pour le basketball, il va sans dire que ses chances d’être un athlète sont des plus restreintes. Pour cause, une des grandes passions de Nikola à cet époque est le Coca-Cola. Selon ses dires, du matin au soir, c’est plus de 3 litres journaliers qu’il absorbe. Une frénésie qu’il n’interrompt qu’avant ses entraînements et matchs, moments où il accepte de poser sa bouteille.
Malgré cet handicap notable, il continue d’effectuer des progrès dans son jeu. A 15 ans, il mesure déjà 2m08 et pèse plus de 135 kg. Capable malgré sa taille de porter le ballon et de trouver ses coéquipiers, chose improbable pour un joueur de cette taille, ses coachs n’en sont pas moins perplexes : il est absolument incapable lors d’un entraînement de réaliser ne serait-ce qu’une seule pompe. Le problème c’est que Nikola n’est pas nécessairement prêt à faire des sacrifices – la seule raison pour laquelle il joue au basketball est l’amusement. Il n’envisage nullement de devenir professionnel, même dans la ligue nationale. En dépit de cette absence totale d’ambition, il se retrouvera 2 ans plus tard à signer un premier contrat dans la ligue serbe. On est alors en 2012, il devient pro’ presque malgré lui et n’a que 17 ans. Evidemment, entre temps, ses coachs ont fait en sorte qu’il se reprenne en main. S’il n’est pas un athlète a proprement parlé, il a retrouvé une forme physique plus tolérable.
L’heure de passer aux choses sérieuses ? Difficile de dire s’il ne réalise pas qu’il a un talent unique, ou si son envie perpétuelle de s’amuser va le lui forger – mais son unique objectif une fois dans la ligue et de prendre le ballon et réaliser des passes improbables pour ses coéquipiers. C’est néanmoins les prémisses du joueur tel que nous le connaissons, qui, balle en main, vient se positionner poste haut et distribue le jeu pour son équipe. Une chose unique pour un pivot.
Si on accorde autant de liberté au joueur, c’est également car ses coachs ont, eux, compris que leur géant a quelque chose de plus que les autres. Il est doté d’une vision unique et s’il n’en a pas pris conscience, il est mis en position de faire ses gammes dans une totale insouciance. Tout du moins presque. Signé au Mega Vizura, le coach en chef de l’équipe oblige le joueur à intensifier un régime avant d’envisager ne serait-ce que s’entraîner avec l’équipe. Malgré quelques kilos perdus en chemin, Nikola ne peut pas suivre un basketball de haut niveau avec un tel poids sur la balance. Une décision qui va lui permettre de petit à petit s’affiner. Une longue route l’attend encore.
Enfin habilité à découvrir les terrains, son équipe ne va pas tarder à réaliser le talent qu’elle s’est adjugée. Dès son premier match, son talent s’impose et il devient le leader de l’équipe. L’avoir comme meilleur joueur est par ailleurs quelque chose de merveilleux pour tous ses coéquipiers. La mentalité du joueur n’en fait pas seulement quelqu’un d’altruiste, mais renferme quelque chose qui va encore plus loin que ça. Voyant toujours les choses avec une demi-seconde d’avance, et trouvant son bonheur dans la passe en premier lieu, il transcende un effectif qui va atteindre les demi-finales du tournoi dès son arrivée.
C’est à cette période alors qu’il est capable en tant que pivot de dominer un match au scoring mais aussi à la passe, qu’une agence en charge du recrutement pour la NBA tombe par hasard sur lui. A la lecture des exploits du joueur, ils se décident à faire le trajet pour voir le phénomène de leurs propres yeux. Ce qu’ils voient dépasse les attentes et pousse l’agence à le signer immédiatement, dans l’espoir de le présenter à des équipes du haut du panier européen, voire à la NBA. La saison suivante, en 2013-2014, l’influence de Jokic sur le terrain devient de plus en plus prégnante. Les fans commencent à se presser pour le voir jouer. Cette soudaine popularité est assumée par le joueur, qui passe beaucoup de temps avec les fans. Peut-être trop, car à force de signer des autographes des heures durant, il manque plusieurs matchs à cause d’une tendinite au poignet. Le genre d’histoire qui semble n’arriver qu’à lui.
C’est durant cette saison que les scouts NBA commencent à rendre visite au joueur. Si son talent de passeur, sa vision, son sens du timing ou encore ses qualités de scoreur étonnent, la NBA a déjà goûté aux pivots sans qualités athlétiques. Piètre défenseur, dénué de verticalité et toujours lourd, les comparaisons vont bon train. Darko Milicic, drafté 11 ans plus tôt, a servi de jurisprudence – et l’absence totale de ligne musculaire chez le joueur laisse les recruteurs et general managers sceptiques. Mais une équipe va se lancer.
L’ère NBA
Malgré les nombreuses contre-indications qui pèsent sur son dossier, une franchise s’intéresse de plus en plus aux prospects venus d’Europe. A la manière de San Antonio, les Nuggets font de plus en plus confiance aux joueurs non-américains, et décident de drafter Nikola Jokic avec leur 41ème pick de la draft 2014. Comme beaucoup d’autres joueurs européens acquis en fin de premier tour ou au second le joueur est perçu comme un projet à développer. Désormais majeur, ayant acquis une reconnaissance dans la ligue adriatique, il peut prétendre avec cette validation de la NBA à un gros contrat de la part d’une équipe européenne. Il semble alors promis au FC Barcelone, qui souhaite avant de s’engager avec lui le tester lors d’un workout. Lors d’un match d’exhibition, alors qu’il a juste à jouer son jeu pour valider son contrat, Jokic va faire une performance désastreuse : incapable de trouver ses coéquipiers, amorphe au rebond, désastreux balle en main tout en se faisant marcher dessus en défense. Les recruteurs du grand club espagnol vont alors blêmir et passer leur tour. Les Nuggets profitent alors de l’occasion pour lui faire sauter le pas plus rapidement. Après une année supplémentaire dans la ligue adriatique dont il deviendra MVP sans l’air d’y toucher, il débarque à Denver pour la saison 2015-2016.
Après l’échec de la prise de pouvoir de Brian Shaw à la tête de l’équipe, la franchise a entamé une transition vers un nouvel effectif. L’année fut l’occasion de voir Jusuf Nurkic émerger en tant que rookie au poste de pivot et l’été, lui, de voir Mike Malone débarquer en tant que coach.
Pas vraiment du genre à faire preuve d’égo, Nikola lui n’envisage pas d’obtenir du temps de jeu. Son objectif est de se rapprocher des standards NBA en terme de condition physique, ce qui représente déjà un véritable travail de fond. La franchise se trouvant en altitude, le challenge n’en est que plus grand. Dès sa Summer League, les fans les plus accrocs sont assez impressionnés par sa précision chirurgicale. Le joueur n’est pas athlétique, mais il ne fait que peu de déchets balle en main. Il profite également de l’été pour passer la vitesse supérieure et perdre plus de 15kgs. Une partie de plaisir pour Jokic.
Si sa première saison est plutôt calme et à l’abris des regards, il obtient un temps de jeu conséquent. Il frappe d’ailleurs fort très tôt dans sa carrière, avec un match à 23pts et 12 rebonds. Il établit un record au scoring à 27pts et prend part à 80 matchs sur la saison. Solide, il intrigue clairement, si bien que la saison suivante, son coach décide de le faire débuter au poste 4 aux côtés de Jusuf Nurkic. Un choix inquiétant qui va s’avérer être une véritable catastrophe. Le trio Mudiay – Jokic – Nurkic ne met pas un pied devant l’autre en attaque comme en défense. Désireux de sauver son équipe et désintéressé, Nikola propose de lui-même de ressortir du banc.
Assez pour qu’on se rende rapidement compte que le duo ne fonctionne pas mieux sans le serbe sur le terrain. Finalement, fin décembre Mudiay et Nurkic sont écartés de la rotation pour donner les clés de l’attaque au pivot. Comme au bon vieux temps, dans la ligue adriatique. Avec un système de jeu conçu par Chris Finch, ex-assistant coach des Nuggets, Jokic va révéler son talent unique à la NBA. No-look pass, jeu poste haut pour distribuer à ses coéquipiers ou enfoncer son vis-à-vis, Jokic devient un distributeur de top 10 sans pour autant faire le moindre dunk spectaculaire. L’attaque de Denver devient la meilleure de la NBA sur la deuxième partie de saison. Si Nikola apparaît toujours trop lourd, trop mou pour la NBA, sa vision de jeu ne l’empêche pas de dominer et de devenir le premier pivot à enchaîner les triples-doubles. L’équipe échoue aux portes des playoffs mais promet pour la saison suivante. Surtout avec l’arrivée de Paul Millsap pour compenser une défense aux abois.
Malgré la progression et les renforts l’utilisation de Jokic change, son coach étant désireux de posséder un basket moins Jokic-centré… ce qui abouti à une détérioration de l’attaque des Nuggets. La blessure longue durée de Millsap permet tout de même au serbe de reprendre le contrôle du jeu – et en conséquence à son équipe de s’accrocher dans la course aux playoffs. En dépit de cette bonne saison, l’équipe s’effondre dans la dernière ligne droite, les mettant dos au mur avec obligation de gagner leurs 7 derniers matchs. Soudainement, l’équipe démontre une combativité nouvelle et gagne 6 des 7 matchs, avant une bataille décisive face aux Wolves pour une place en post-saison.
En dépit d’un match dantesque de Jokic, qui aura montré toute sa panoplie – jeu à mi-distance, jeu au poste, tir à 3 pts, distribution du jeu – son équipe tombe en prolongation.
Cet été, il a prolongé pour 5 ans et au maximum avec la franchise, après 3 saisons en NBA. Âgé de 23 ans, il s’est fait une place dans la grande ligue sans presque le désirer. De la même manière qu’il est devenu professionnel sans le chercher, il est devenu une star sans réellement le vouloir, car on l’y a parachuté. Désormais, il doit porter une franchise vers les playoffs dans une conférence historiquement forte. Peut-être deviendra-t-il un All-Star sans s’en rendre compte, de la même manière qu’il devint le détenteur du record du triple double le plus rapide de l’histoire.
Tant qu’il continue de s’amuser rien n’est impossible.