Depuis combien d’années parlons-nous des « sublimes losers », les Ewing, Malone, Barkley ou autre Baylor, qui, malgré de superbes carrières, n’ont jamais eu en main le fameux graal, le trophée O’Brien ? Que de regrets, de talents non récompensés. Avec le temps, les fans de NBA ont fait émerger le terme de « sublime losers ». Mais durant les années où LeBron peinait à obtenir son premier titre (oui, cette époque a existé), un gag récurrent faisait surface dans la websphère des basketteurs : « Scalabrine a plus de titres que LeBron ». Est alors apparue la catégorie que nous appellerons les « golden losers ». Par ce terme, on entend des joueurs improbables, qui posent les pieds sur un parquet NBA, d’une discrétion telle que personne ne se rappellera qu’ils étaient là. Et pourtant, ces petits gredins terminent leurs carrières NBA dans l’oubli, mais dans leurs cartons, il y a un petit anneau qui manque injustement à tant de stars ! Chez QiBasket, on adore fouiller pour trouver ces petites perles de notre NBA history. Deuxième profil, deuxième « Golden Loser ».
You want some D ?
Notre talent bagué du jour se présente sous le numéro 8 (non, c’est pas lui, calmez-vous les haters), mesuré à 2m06 pour 112kg, il évolue plutôt logiquement à l’aile ou au poste d’ailier fort (ailier droit pour les spécialistes NBA que sont France Télévisions). Originaire de D.C., il passe par le Lycée des copains (Friendly Highschool) de Fort Washington dans le Maryland avant d’intégrer Providence à l’Université. Un parcours américain donc, et un talent qui semble retenir l’attention des scouts NBA puisqu’en 1994, il décide de se présenter à la draft !
Bingo ! Une équipe le repère en 21e position, et notre ami s’envole vers sa carrière NBA. Son nom ? LuBara !
Vous ne voyez pas ? LuBara Dixon ? Non ? Bon…LuBara Dixon Simpkins ? Quoi ? Non plus ? Très bien, notre joueur est finalement reconnu sur les parquets sous le nom de Dixon « Dickey » Simpkins. Prononcez « Daïkey » et non comme « Dick ». J’ai longtemps pensé que Dickey était une extension de Dick, prénom sur lequel les jeux de mots graveleux ne manqueraient pas…mais c’est pire que ça puisque son surnom est en réalité le synonyme d’une expression urbaine qui désigne une personne montrant du doigt une lesbienne (malaise…).
Et vous savez qui notre Dickey rejoint à l’issue de la Draft ? Rien de moins que l’équipe qui se prépare à devenir la meilleure de tous les temps :
Ah bah oui, après une draft avec un surnom comme ça, tu peux les lever les bras !
Le départ rêvé
La force est avec Simpkins ! Tout juste drafté, le rookie profite de l’absence temporaire de Dieu Jordan, et donc une rotation plus large aux Bulls, pour grappiller du temps de jeu derrière Scottie Pippen. Il faut dire que les Bulls de 94-95 sont une équipe fort singulière à mi-chemin entre les survivants du premier Threepeat (Perdue, Armstrong, Pippen) et la génération du second qui approche (Kukoc, Harper et Longley). Il pose les pieds sur le parquet à 59 reprises pour un temps de jeu de 10 minutes. Si ses stats de première année sont logiquement modestes mais pas inquiétantes (3.5pts et 2.5reb), il y a de gros trous d’air au niveau des passes et des lancers francs. Les Bulls restent une équipe forte et menaçante dans la jungle qu’est la conférence Est à cette époque (Knicks, Heat, Pacers, Magic, Hornets, Detroit), mais on sent que le collectif a besoin d’un atout de plus pour revenir au top, d’où le recrutement du gars avec le 45 courant Mars-Avril 95.
Bref, Jordan est de retour et la rotation va se recentrer autour de son activité. D’une part, Dickey obtient l’occasion de jouer avec le meilleur joueur du monde et de l’histoire, mais d’autre part, il prend de plein fouet l’arrivée de Dennis Rodman dans la rotation intérieure. Mais qu’importe, Dickey va se retrouver en bout de rotation de la meilleure équipe de tous les temps, en ne jouant que les petits garbage times que le fabuleux cinq des Bulls va daigner laisser.
Pour éviter d’avoir le même pourcentage au shoot que Dickey, les Bulls restaient à l’écart de l’individu.
Bagues gratuites ! Très belles ! Pas chères ! Qui veut mes bagues ?
Dickey est dans le bon bateau, on connait tous l’histoire, les Bulls ratatinent la Ligue, explosent les records, Rodman règne dans la raquette, Pippen martyrise le moindre scoreur un tant soit peu talentueux et Jordan fait comprendre à tout le monde qui est le patron. Et cela non pas pour un, ni pour deux, mais pour trois ans, certifié, contrôlé et approuvé. Trois titres avec la manière pour le passage le plus remarqué du basket mondial.
Et Simpkins ? Son temps de jeu reste stable mais aucune progression n’est à noter au cours de ces trois années. Ces stats tombent à 1.9pts et son pourcentage au shoot va descendre jusqu’à 33%. Mais les Bulls ont pitié de lui…ou pas…Simpkins, avec ses deux bagues se fait gentiment trader pour Scott Burrel venu des Warriors…et hop ! 19 matchs plus tard, Oakland n’en voudra déjà plus…Alors Phil Jackson et le board de Chicago, pleins de bonté et de générosité, offre à Dickey 20 matchs en plus dans sa saison, un siège avec vue imprenable sur « the Shot » de Jordan au game 6 contre le Jazz en Finals…et une troisième bague. Lève les bras Dickey…lève les bras.
Un an d’espoir, et 7 ans d’errance
Le lock-out arrive, et le triple champion s’accroche à ses Bulls. Mais Jordan s’arrête là, Pippen tente un big three avec Olajuwon et Barkley, Rodman rejoint les Lakers pour tenter une raquette imprenable avec Shaq (O’Neal-Rodman-Kobe… on pourrait mettre la dynamite directement dans le vestiaire au final), et Luc Longley s’en va aux Suns.
Restent Tony Kukoc, Ron Harper ou même Bill Wennington et Randy Brown, certes…mais surtout Cory Carr, Corey Benjamin, Rusty LaRue, Kornel David, Mario Bennet, Charles Jones et Andrew Lang (vous imaginez la descente mentale des fans au United Center ?).
Les Bulls repartent donc de zéro, mais c’est une occasion en or pour Simpkins de trouver du temps de jeu et se mettre en valeur ! Et c’est le cas. Décalé au poste de pivot, Dickey joue 50 matchs (lock-out oblige) et en débute 35. Il joue 29 minutes par match pour une bonne moyenne à 9.1pts et 6.8reb. Mais le petit souci, c’est que, d’une part les Bulls sont au plus profond des limbes de la conférence Est, et que d’autre part, comme si l’effectif des Bulls ne faisait pas assez peur, l’année suivante, c’est l’armée des morts qui débarque avec Chris Carr, Lari Ketner, Matt Maloney, Khalid Reeves, Dedric Wiloughby, Chris Anstev et John Sta…JOHN STARKS ????!
Mais la cerise sur le gâteau c’est le rookie :
Ron Artest découvrant alors l’avenir de Dickey Simpkins, le coupable derrière tente de fuir du regard.
A cet instant, la carrière de Simpkins ne verra plus les Playoffs, ni le cinq de départ en NBA. Premier avertissement avec un passage à Makedonikos, club à l’époque en seconde division grecque (4e aujourd’hui) en 2000-2001. Sa carrière NBA semble retrouver un bref rythme cardiaque le temps d’une demi saison à Atlanta, et c’est parti pour le road trip : Rockfort en CBA, Maroussi en Grèce, Criollos de Caguas à Porto Rico. En 2002-2003, il arrive à Kazan en Russie, une équipe que l’on connait bien aujourd’hui, et qui arrivait déjà en tête du championnat. Temporairement, Simpkins retrouve un peu les sommets puisque le Rubin Kazan remporte la FIBA Champions’ cup.
Il arrive en terre de basket l’année suivante pour Vilnius en Lituanie, mais son passage ne semble qu’être une pause dans un véritable toboggan. Le passeport de Dickey se refait martyriser alors que le joueur part rapidement pour Leones de Ponce, Porto Rico de nouveau, puis les Wizards….de Dakota à Bismarck dans le Dakota du Nord, puis l’Espagne avec le jeune club de Lleida.
Les dernières traces d’un triple champion NBA avec les Chicago Bulls, rêve international de tout amateur de basket, se terminent chez les As d’Alaska. USA ? Oh non l’ami, Philippines ! Puis ce sont les BlueStars de Beirut au Liban. Simpkins termine sa carrière de basketteur en 2006, fort heureusement dans un club un peu plus attirant : Brose Bamberg en Allemagne, terminant 2e de la ligue.
« Mouais…c’était mieux quand je sabrais le champagne avec Michael dans un maillot propre »
Une brève place dans l’histoire
Que l’on se moque de lui ou pas, Simpkins fait partie de deux tableaux dans l’histoire de Chicago : il a été membre de la meilleure équipe jamais assemblée dans une franchise iconique, mais il en a aussi été le titulaire par défaut durant sa pire année. Simpkins c’était le gentil remplaçant qui grappillait les minutes que les Dieux lui laissait, avant d’être le capitaine tentant de faire flotter une épave. Dickey faisait donc partie de ces Bulls mythiques, mais plus personne n’avait envie de regarder Chicago à partir du moment où il avait enfin la possibilité de jouer. Au final, de ce joueur, on ne retient que la photo d’équipe, car la carrière ne fera rêver personne.
Simpkins, seul grognon de la photo, derrière un banc qui cumule 34 bagues en 2017
Dickey n’est pas en reste avec le basket cependant. Et la fin de sa carrière sur les parquets ne devrait pas être ce qui doit rester dans notre mémoire de ce joueur « anecdotique ». D’une part, et à titre personnel, je pense qu’un homme qui voyage tant pour un sport ne manque pas de démontrer à quel point il y parait attaché. Et peut-être qu’il faudrait saluer le courage de Dickey d’avoir voulu continuer à jouer coûte que coûte, peu importe le niveau, peu importe le pays. Là où l’on a donné la possibilité de jouer à cet homme, il y est allé, transportant avec lui cette photo d’équipe.
D’autre part, Simpkins a fortement réussit sa reconversion : peu après 2006, il enchaîne plusieurs missions. Analyste pour ESPN en NCAA, commentateur sportif pour Fox Sports sont deux professions qu’il faut mettre au crédit de LuBara Dixon Simpkins. Mais il s’est développé des capacités reconnues au niveau national en tant qu’orateur public dans des événements ou conventions. L’ancien Bull lancera également sa propre boite, la Next Level Performance Incorporation, une compagnie axée sur le développement du basket. Enfin, et non sans symbolique forte, Simpkins s’est de nouveau retrouvé en compagnie de Jordan, puisqu’il fut aussi engagé par les Hornets comme scout NBA.
Mais quoi qu’il en soit, Simpkins fera partie de cette équipe, il en était membre, il est sur la photo du finish, et ça reste quelque chose de spécial. Mais quand on voit ce qu’il en est advenu sitôt l’ère des Bulls achevée, il ne reste plus rien. C’est tout le paradoxe qui nous fait nous demander si il faut envier le parcours NBA de ce joueur triplement bagué, ou se dire si il n’était pas simplement au bon endroit, au bon moment. La carrière de Simpkins, c’était vraiment « trois titres et puis s’en va ».
C’est pour cela Dickey, que je te nomme Golden Loser numéro 2 !
“Je vais te faire une offre que tu ne pourras pas refuser : trois bagues contre ton talent, que décides-tu ?”