Depuis combien d’années parlons-nous des « sublimes losers », les Ewing, Malone, Barkley ou autre Baylor, qui, malgré de superbes carrières, n’ont jamais eu en main le fameux graal, le trophée O’Brien ? Que de regrets, de talents non récompensés. Avec le temps, les fans de NBA ont fait émerger le terme de « sublime losers ». Mais durant les années où LeBron peinait à obtenir son premier titre (oui, cette époque a existé), un gag récurrent faisait surface dans la websphère des basketteurs : « Scalabrine a plus de titres que LeBron ». Est alors apparue la catégorie que nous appellerons les « golden losers ». Par ce terme, on entend des joueurs improbables, qui posent les pieds sur un parquet NBA, d’une discrétion telle que personne ne se rappellera qu’ils étaient là. Et pourtant, ces petits gredins terminent leurs carrières NBA dans l’oubli, mais dans leurs cartons, il y a un petit anneau qui manque injustement à tant de stars ! Chez QiBasket, on adore fouiller pour trouver ces petites perles de notre NBA history. Alors on se lance, premier profil, premier « Golden Loser ».
Un indice ne s’affiche pas sur votre écran
Je prends ma petite carte et je vous attends à vos buzzers : je suiiis… top, je suis un gars venu de Chine, arrivé en NBA en 2001 (vous auriez déjà quelqu’un en tête) je joue à l’intérieur, affichant 2m11 pour 132kg.
Je commence aux Nuggets avec des stats de débutant honorables, avant de rejoindre les Spurs (là vous vous dites « pas mal le type »), je me suis fendu d’un titre avec la bande à Timmy, Tony, Manu, l’Amiral et Steve Kerr (vous commencez à fouiller dans tous les sens dans vos archives de fans).
Du genre journey-man, je passe ensuite par Toronto, mais aussi Detroit, Orlando et les Knicks (vous voyez pas ?) mes stats en carrière se fixent à 46 matchs, pour 10 en tant que starter, un bilan à 3.4pts, 2.5reb, 0.6ast, 0.1blk et 0.2stls.
Pour terminer, ma carrière se résume à trois saisons… je suiiiis ? Je vois déjà la goutte qui descend lentement le long de votre front.
Vous ne voyez pas ? Chers amis, je vous présente :
MENGKE BATEER
Avertissement : ceci n’est pas une photo de tonton Jérôme un soir d’entrainement en district 5
Plus qu’un représentant du monde asiatique en NBA qui cultive un véritable amour pour cette zone du monde, Bateer n’est pas totalement chinois, il est le seul et unique représentant de la culture mongole en NBA (on salue au passage les 103 français qui vivent en Mongolie). Avant toute chose, il faut savoir que ce nom est en réalité une formulation occidentale de sa véritable identité qui, si elle était prononcée en mongol, ressemblerait à Mönkhbaatar (qui signifie “héros éternel”, oui oui). Mais vous pouvez aussi l’appelez Ba Te Er ou Da Ba en mandarin, qui signifierait « Grand » – on n’ira pas trop contredire cette version. Enfin bref, pour les intimes, c’est plutôt 孟克巴特爾 mais je préfère l’appeler ᠮᠥᠩᠬᠡᠪᠠᠭᠠᠲᠤᠷ
Plan de carrière
Un joueur sans équivalent qui intègre donc le training camp de Denver en octobre 2001. Bateer s’était intéressé à la NBA au point de se présenter à la draft en 1999, sans succès hélas. Il avait alors continué à jouer pour les Canards de Pékin (Beijin Ducks) jusqu’à ce qu’il passe de l’autre côté du Pacifique. Le training camp ne convainc pas les dirigeants des Nuggets. Un moment difficile on imagine pour Bateer qui avait d’ailleurs raté le training camp du Benetton Trévise également quelques années plus tôt. Pourtant, le gars sait jouer, il est membre de l’équipe nationale chinoise depuis son adolescence. Mais des écarts de comportements sont signalés, ainsi que des renvois. La faute apparemment à sa culture qui l’impose à rester proche de sa famille. Les Nuggets vont finalement revenir sur leur décision, car le bonhomme parvient à chopper le trophée de MVP de la ligue chinoise (CBA) entre temps. Bateer obtient alors sa place aux US ! Et devinez quoi ? C’est le tout premier joueur de nationalité chinoise à jouer en NBA ! Il débutera sur un sublime 4pts à 28%, et terminant à 6 fautes.
« Coach ? On peut changer ce maillot pourri ? On n’attirera jamais Melo ou LeBron avec ça. ».
LE TOURNANT D’INDIANAPOLIS
Pourquoi Denver ? Car Raef Lafrenz avait été auparavant tradé et les Nuggets cherchaient un remplacement de taille. Bateer termine à 5pts, 3reb et 1ast en 15min, modeste mais pas dégueu pour un non drafté. Mais le pivot est malgré tout envoyé à Detroit en fin de saison contre Jean-Michel Random et un pick qui sera celui utilisé pour… sélectionner Josh Smith ! Bateer est alors convoqué en équipe nationale chinoise pour le championnat du monde d’Indianapolis de 2002 qui reste encore dans les mémoires pour cette affreuse élimination des USA en quart de finale contre la Yougoslavie, future championne. Et Bateer ? On ne s’en souvient pas ? On aurait dû, car durant les confrontations de poules contre les américains puis contre l’Allemagne, Bateer se lâche et se fait remarquer ! Quelques images ci-dessous :
Il tape alors dans l’œil d’un coach, un gars plutôt bien, assez connaisseur, avec un surnom sympa : « Pop », alors assistant coach de Team USA. Allez hop, petit second round pick contre Bateer et Detroit donne son mongol. On sent que la carrière du pivot va dans le bon sens… et bah non. 12 matchs suffiront à donner la nausée à coach Pop (sans parler d’un sublime FG% à 23% !). Mais bon, c’est là qu’arrive le miracle… car Mengke Bateer devient champion NBA ! Même New Jersey n’aura pas tenu les 0.8pts et 1.1reb en 3 minutes par match du super pivot du héros éternel, pas trop les boules Jason ? Vous vous en doutez, il ne jouera pas une minute des playoffs.
JOURNEYMAN SUR 12 MOIS
Bateer est immédiatement free agent après son titre (répétez cette phrase, c’est original quand même) et trouve refuge chez les dinosaures… Refuge qui durera 7 matchs pour le champion NBA. Et c’est parti pour la tournée : Orlando qui cherche un héritier après le passage marquant de Patrick Ewing, New York parce qu’ils ont toujours de bonnes idées, Cleveland qui voulait juste faire une photo sympa … bref. La carrière NBA de Bateer s’éteint peu après avoir obtenu sa bague.
Un joueur NBA se cache parmi ces trois personnes, sauras-tu la retrouver ?
LES TROPHEES EN ASIE OU LE TITRE NBA ?
Au final, Mengke disparaît de la Grande Ligue et revient dans son pays natal comme beaucoup de joueurs. Mais comme beaucoup de ces joueurs, il retrouve goût au jeu. Sitôt revenu en Chine, le pivot s’éclate avec son ancienne équipe : de nouveau MVP du All Star Game en 2005, il fait une pointe à 28 points en saison régulière. L’année suivante, les Beijing Ducks gagnent leur division et Bateer tourne à 25pts et 11reb pour 5 passes.
Bateer est tradé en 2006 après une saison marquée de blessures, passant des Canards aux Tigres Volants de Xinjiang. Le pivot gagne trois fois de suite le trophée de MVP de la saison, mais les Flying Tigers perdent la finale à chacune de ces trois années à chaque fois contre les Tigres du Sud de Guangdong (le tigre du sud est plus fort que le tigre qui vole apparemment…).
L’âge commence à peser à l’aube des années 2010 pour Bateer, qui passe rapidement chez les Baleines Bleus de Sichuan avant de retrouver ses Canards. Après plusieurs saisons prolifiques en Chine, il prend finalement sa retraite en 2014… ? (Oui il y a plus).
MICHAEL JORDAN, RAY ALLEN, DENNIS RODMAN, SHAQUILLE O’NEAL, KAREEM ABDUL-JABBAR ET…MENGKE BATEER
Nous serons surement nombreux cet été pour aller voir le prochain film Uncle Drew. Les joueurs NBA ne manquent pas d’humour et savent parfois jouer la comédie, avec plus ou moins de succès. Ray Allen dans He Got Game, Kareem Abdul-Jabbar dans Y-a-t-il un pilote dans l’avion ? Michael Jordan dans Space jam, Shaq dans Kazaam mais surtout Blue Chips (que je recommande) ou Dennis Rodman avec Jean-Claude Van Damme dans Double Team (je vous jure que j’étais le premier à l’entrée du cinéma le jour de sa sortie). Et bien dans cette liste, ajoutez ce bon vieux Mönkhbaatar ! Vous retrouverez votre joueur préféré dans 蔚蓝色的杭盖 où il joue Yela, mais vous vous souvenez de 十月圍城, quand il joue Wang Fuming ? Bateer jouera dans des films entre 2005 et 2017 avec son dernier succès : 西遊2:伏妖篇 (« Voyage vers l’Ouest : les démons contre-attaquent » – Kobe et son oscar à côté…).
« Tremblez démons de l’Ouest, Sha Wujing est venu chercher sa bague ! »
AU DELA DES VANNES
Sur le plan basketball, Bateer pose vraiment cette question : est-ce mieux d’avoir ce trophée de champion NBA sur le CV mais avec une carrière insignifiante ? Ou gagner d’autres trophées moins connus et reconnus mais en jouant vraiment ? Dans le cas de Bateer, sa carrière NBA est famélique mais frappée d’une couronne de champion, quand sa carrière chinoise est remarquable mais avec trois échecs aux portes du titre. Au-delà du basket, Bateer a été souvent le compagnon de Yao Ming dans la culture populaire, et n’a pas hésité à jouer de sa notoriété pour s’exporter sur d’autres domaines comme le cinéma. Mais si nous jugeons en fan de NBA alors il est difficile de ne pas sourire en se disant qu’en 46 matchs et 470 minutes de jeu, Mengke Bateer, acteur mongol aux 5 franchises NBA en trois ans, aura obtenu ce que Barkley, Ewing, Miller et Baylor ont cherché pendant 20 ans. Si l’on peut s’amuser sur le dépaysement que son parcours et sa personne suscite, on saura saluer en revanche le joueur et ses qualités montrées au fil des ans en Chine et en équipe nationale.
Quoi qu’il en soit, bravo Mengke ! Tu es notre premier Golden Loser !
Yao : « Quand j’pense qu’il suffisait de signer aux Spurs… »
Bateer : « Tu crois qu’il reste des frites au bar ? »