John Wall fait partie de l’élite des meneurs de la ligue. Au risque de vous décevoir, je ne suis pas là pour vous prouver que ce n’est plus le cas (pour toute demande de remboursement, merci de vous adresser à l’accueil). Puissance, finition, changements de rythme, vista, autant d’atouts qui permettent au n°1 de la draft 2010 de tourner à 19.4 pts et 9.3 passes décisives en carrière, et de se voir honoré d’une sélection au All-Star Game chaque saison depuis 2013-2014. John Wall est fort, et tout le monde le sait. Y compris lui-même.
Cependant, les conférences de presses, les interviews, et toute occasion permettant à un joueur NBA de laisser parler son égo en général assez volumineux, ne sont rien sans une confirmation nette et sans bavure dans la seule réalité qui importe, celle du terrain. Et force est de constater que, dans ce domaine, Wall et ses Wizards ont encore du travail.
En trois campagnes de playoffs, jamais les joueurs de la capitale n’ont dépassé le stade des demi-finales de conférence. Le sentiment est assez paradoxal : au vu de l’effectif et des adversaires, on ne peut pas non plus dire que ce soit choquant de voir les Wizards se faire sortir. Pourtant, chaque année, ils font tomber des gros en saison régulière, prouvent qu’aucun adversaire n’est inaccessible s’ils sont au meilleur de leur forme, et font naître des attentes dans l’esprit des observateurs.
En 2015, les Hawks, 1ers de l’Est, ont salement tremblé pour se sortir du traquenard, en dépit de la blessure de Wall. En 2017, les Celtics, qui occupaient la même place, ont eu besoin de 7 matchs pour triompher des joueurs de Scott Brooks. Si près, et si loin. Même quand Wall et son compère du backcourt Bradley Beal partent en vrille et annoncent que les Cavs souhaitaient les éviter en playoffs la saison passée, on ne peut pas s’empêcher de penser dans un coin de notre tête qu’il y a effectivement la place de faire de grandes choses.
Forcément, avec ces échecs répétés, des questions se posent. Suffisance ? Difficultés à assumer leur nouveau statut de place forte de l’Est ? Trop grande confiance en eux ? Les Wizards n’échappent pas aux critiques et en tant que leader, Wall fait partie des principaux boucs émissaires, si ce n’est le principal. À l’orée de cette saison 2017-2018, le meneur était attendu au tournant, comme le reste de l’équipe.
Pendant la première partie de la saison, on ne peut pas dire que les joueurs de la capitale aient beaucoup oeuvré pour nous faire changer d’avis à leur sujet. Les défaites embarrassantes contre des équipes faibles étaient là, les questions sur l’alchimie entre Wall et Beal aussi, et les grosses victoires pour nous rappeler de quoi ils sont capables également. Bref, rien de nouveau du côté du Pentagone. Enfin, de loin.
Car de près, la hiérarchie de l’équipe ne paraît plus aussi claire que par le passé. Bradley Beal a pris une autre dimension, et s’est vu récompensé de sa toute première sélection au All-Star Game. Dans le même temps, beaucoup remettaient en question la sélection de Wall. L’arrière, que l’on sait capable de prendre feu à tout moment, a franchi un palier et prend de plus en plus de place dans l’équipe. Le lieutenant de luxe s’est mué en leader, et les deux mois manqués par John Wall pour une blessure au genou n’ont fait que renforcer cette tendance.
Au départ, certains osaient même avancer que les Wizards étaient meilleurs sans leur quintuple all-star. En battant entre autres le Thunder, les Raptors, les Cavs ou les 76ers (mon dieu ce que ça fait bizarre de citer Philly comme une bonne équipe), avec une circulation de balle nettement meilleure, des tickets shoots mieux répartis et des joueurs de l’ombre comme Tomas Satoransky qui haussent leur niveau de manière appréciable, les Wizards ont fait forte impression. Mais par la suite, éreintés par une rotation raccourcie et l’enchaînement des rencontres, ils ont baissé le pavillon, présentant un bilan de 5 victoires pour 8 défaites au mois de mars, après un très beau 8-4 en février. Passée l’euphorie collective, la réalité de l’absence de Wall s’est faite ressentir. Au meilleur de sa forme, il est un joueur d’élite capable de trouver des angles de passes impossibles, de finir près du panier au milieu des géants adverses, de sortir des gros tirs (comme au game 6 face à Boston), et il est évident qu’une équipe ne peut que bénéficier de la présence d’un tel joyau.
La question n’est donc pas de savoir si Washington est plus fort sans Wall, mais plutôt de savoir, avec le retour de l’intéressé, comment intégrer celui-ci pour ne pas casser ce nouvel élan et passer un cap. Sur le principe, vous serez d’accord pour dire qu’un joueur tournant à plus de 9 passes décisives par match en carrière ne devrait pas avoir trop de mal à s’adapter au style de jeu résolument plus collectif adopté par l’équipe en son absence. Vous noterez ici l’emploi du conditionnel, car rien ne le garantit pour autant, demandez à Russell Westbrook. Quoi qu’il en soit, il y aura certainement un temps d’adaptation nécessaire, mais il ne fait aucun doute que Wall a toutes les capacités nécessaires pour y parvenir.
Passons au sujet qui fâche, le vestiaire. Comme vous le savez, le locker-room de la capitale pourrait faire l’objet d’une adaptation télévisée tant il est sujet aux embrouilles, aux déclarations arrogantes et bien d’autres galéjades qui permettent à votre serviteur de surfer piteusement sur la vague pour attirer du clic. Conflit à peine dissimulé entre Wall et Gortat, réunions d’équipes foirées, déclarations sur Cleveland évoquées plus haut… Il y en a à peu près pour tous les goûts. En tant que mâle alpha, le nom de Wall est fréquemment évoqué dans ces histoires, et il est difficile de croire uniquement au hasard lorsque l’on voit que le vestiaire n’a jamais paru aussi soudé que depuis sa blessure au genou. Il y a peut-être, en effet, un malaise autour de lui, qui empêche Washington d’exprimer son plein potentiel.
Est-ce un problème rédhibitoire ? Certainement pas. Nul besoin d’aller à flunch tous ensemble avec femmes et enfants le dimanche midi pour proposer de bonnes choses sur le parquet. Par contre, poser les problèmes (et seulement les problèmes) sur la table, essayer de mettre les egos de côté et oeuvrer dans l’intérêt commun, ça peut être une bonne idée. S’ils veulent aller loin au printemps, les Wizards vont devoir fonctionner comme une équipe, en faisant tourner la balle et en mettant leur backcourt dans les meilleures dispositions pour faire la démonstration de son talent. Les victoires camouflent bien des tensions, et au vu des frictions qui sont encore montées d’un cran cette saison, il devient urgent pour Wall de montrer qu’il peut mener cette équipe aux plus hautes sphères de la ligue.
En cas de nouvel échec, les choses pourraient bouger. Même si la direction a fait le choix de re-signer son backcourt au prix fort (127 M/5 ans pour Beal, Wall a lui signé une extension de 170 M/4 ans qui débute en 2019), la nécessité d’un changement pourrait faire surface en cas d’élimination prématurée – ce qui, au vu des potentiels adversaires de Washington au premier tour, est envisageable. Même si le manque de profondeur leur a joué des tours au final, les Wizards ont montré de belles choses sans Wall et pourraient décider de récupérer des lieutenants de luxe ou des tours de draft pour reconstruire autour de Bradley Beal, qui deviendrait de facto le seul capitaine du navire. Le transfert ne serait possible qu’à partir du 28 juillet du fait de la signature de l’extension de Wall, mais gageons que beaucoup de GMs seraient prêts à réfléchir s’ils savaient que le meneur était disponible. Sa perte serait un énorme coup dur pour la franchise dans l’immédiat, mais pourrait permettre la construction d’une équipe cohérente et redoutable à moyen terme, destinée à autre chose qu’une élimination annuelle au second tour.
Le contexte est compliqué (6e de conférence à l’heure actuelle), pourtant les Wizards ne peuvent plus se permettre d’attendre très longtemps. L’absence de Wall a mis en évidence de nouvelles perspectives collectives pour DC, et la saison peut tout aussi bien se terminer sur un gros parcours en playoffs ou sur une nouvelle déception qui pourrait faire naître de réelles interrogations sur la direction de la franchise pour les années à venir. Élément central depuis son arrivée dans l’équipe, John Wall doit prouver qu’il peut sublimer ses coéquipiers et que les querelles appartiennent au passé, au risque de voir sa légitimité remise en question. Il y a trop de talent dans cette équipe, il est temps de mettre fin au gâchis.