Si vous êtes un amateur de NBA un tant soit peu respectable (ce niveau d’arrogance dès la première phrase), vous savez que l’histoire de la grande ligue est parsemée de joueurs légendaires, qui résument parfois à eux seuls les décennies qu’ils ont éclaboussées de leur immense talent. Russell, Abdul-Jabbar, Magic, Jordan, l’imaginaire des fans n’a d’yeux que pour ces légendes qui, même si elles le méritent amplement, occultent bien souvent les prouesses de leurs contemporains. En effet, à votre grande surprise, il y avait aussi d’autres joueurs à cette époque, des all-stars en puissance capables d’envoyer du bois de manière très sérieuse, sans avoir pour autant l’éclat de leurs illustres adversaires ou coéquipiers. Rendons aujourd’hui hommage à l’un de ces joueurs relégués aux notes de bas de page dans la grande encyclopédie de la NBA, Mark Price.
Mark Price, ce sont 12 saisons en NBA, dont 9 passées sous les couleurs des Cleveland Cavaliers entre 1986 et 1995, avec une quadruple sélection au All-Star Game et 4 All-NBA teams à la clé. Avec 15.2 pts en carrière assortis de 6.7 passes décisives, il est l’un des meneurs les plus sous-estimés de l’histoire.
L’université, premier révélateur d’un talent immense
Dès son entrée à Georgia Tech en 1982, le natif de Bartlesville dans l’Oklahoma étale son potentiel aux yeux de tous. Avec 20.3 pts de moyenne à 44% à 3 pts, il est élu rookie de l’année en ACC (Atlantic Coast Conference), et ce n’est que le début de son épopée en NCAA. Au cours de son cursus de 4 ans, il sera élu chaque saison dans la team All-ACC (les meilleurs joueurs de cette conférence) et deux fois dans la 2nd Team All-American (meilleurs joueurs du pays) en 1985 et 1986. Gros niveau donc, même si Georgia Tech n’ira jamais très loin mis à part un titre de champion de l’ACC en 1985. Toujours est-il qu’avec des moyennes de 17.4 pts et 4 ast, le n°25 de Price sera retiré par sa fac et il sera introduit au Hall of Fame de Georgia Tech en 1991. De quoi lui valoir une sélection au premier tour de la draft 1986 par les Dallas Mavericks en 26e position, avant d’être transféré dans la foulée chez les Cavaliers de Cleveland. Mais avant de dérouler la carrière du meneur dans l’Ohio, faisons le point sur les caractéristiques de son jeu.
Un shooteur redoutable, doublé d’un attaquant très complet
Quand on pense à Price, on pense avant tout à son tir. Véritable modèle de régularité en la matière, ses moyennes en carrière sont de 40% derrière l’arc et 90% sur la ligne de réparation (deuxième meilleure moyenne de l’histoire derrière Steve Nash). Vous l’aurez compris, on est sur du très sérieux. Dès sa troisième année dans la ligue, il entre dans le club très prestigieux du 50-40-90, à savoir les joueurs qui ont réussi au moins une saison à 50% au tir, 40% à 3 points et 90% aux lancers. Price est accompagné dans ce club par Reggie Miller, Dirk Nowitzki, Kevin Durant, Stephen Curry, Larry Bird et Steve Nash. Il n’est évidemment pas nécessaire de vous situer le niveau de puissance de la chose.
Si vous voulez savoir à quoi ressemblait le shoot de Mark Price au sommet de son art, rien de tel que cette série démentielle en finale du concours à 3 points en 1994, qu’il remportera bien sûr. Pas besoin de 10 money balls quand vous êtes capables d’enfiler les paniers avec une telle précision :
Mais contrairement à beaucoup de grands shooteurs, le meneur des Cavs était… un meneur justement. C’était à lui de remonter la balle, de donner l’impulsion, de trouver ses partenaires. En bref, de créer le jeu. Difficile donc de naviguer entre les écrans et de déchirer la défense à base de catch and shoot, comme le faisaient si bien des artilleurs comme Reggie Miller ou Ray Allen. Non, lui devait se créer son propre tir, profiter des pick and roll pour dégainer ou au contraire pénétrer et finir près du cercle, dans un registre qui n’est pas sans rappeler celui d’un Nash quelques années plus tard. C’est d’ailleurs pour cela que malgré ses qualités indéniables en termes d’adresse, il serait criminel de ne considérer le n°25 que comme un tireur d’élite.
Vous avez probablement déjà sauté de votre canapé en voyant un joueur splitter la défense pour pénétrer de façon spectaculaire. Mais si, quand le mec passe entre les défenseurs sur un pick là. Bon, regardez Dwyane Wade vous l’expliquer.
Voilà, les portes du saloon si chères à David Cozette. Et bien ce move si dévastateur, beaucoup s’accordent pour dire que c’est Mark Price qui l’a popularisé. Je n’étais pas là pour vérifier, mais quand ce sont des anciens comme Chris Webber et Kenny Smith qui le disent, on a tendance à penser qu’ils savent de quoi ils parlent.
Vous apprécierez au passage la rapidité et la dextérité du bonhomme. Ses capacités faisaient de lui un véritable poison offensif, sachant vous punir en sortie d’écran mais aussi vous sanctionner si vous faisiez l’erreur de sortir trop haut sur lui. Une fois lancé pleine balle dans la raquette, il était en mesure de finir près du cercle ou d’attirer l’aide pour servir intelligemment un coéquipier démarqué.
En défense, son physique chétif ne lui permettait pas de faire des miracles, c’est donc principalement pour ses qualités offensives qu’on le met en valeur aujourd’hui. Son combo vitesse/adresse faisait de lui un attaquant très complet, à même de faire souffrir un bon paquet de défenses, d’autant que le bougre n’était pas forcément entouré que par des escrocs.
Blessures et galères printanières, les raisons de l’oubli
Depuis leur création en 1970, les Cleveland Cavaliers étaient une franchise des plus médiocres, qualifiée 4 fois pour les playoffs en 16 saisons et détentrice d’un nombre de participations aux finales de conférence absolument dingue de 1. Mais à l’approche de la draft 1986, le GM Wayne Embry est bien décidé à changer les choses et à apporter du talent dans l’équipe de l’Ohio. En sélectionnant/se débrouillant pour récupérer le pivot Brad Daugherty, les meneurs Mark Price et Ron Harper, ainsi que l’ailier Hot Rod Williams, tout en embauchant un nouveau coach en la personne de Lenny Wilkens, la direction de Cleveland entreprend un véritable chamboulement.
Si la première saison de Price et de ces Cavs nouvelle version sera difficile (31-51), la saison 87-88 donne un premier motif de satisfaction avec une qualification pour les playoffs, malheureusement soldée par une élimination au premier tour des mains des Bulls. On va mettre fin au suspense tout de suite : ce n’est que le début du calvaire face à Jojo et sa bande.
Propulsé titulaire en compagnie de Ron Harper sur le backcourt, l’ancien pensionnaire de Georgia Tech affiche des statistiques déjà honnêtes avec 16 pts et 6 ast par match. Il augmentera sa moyenne au scoring par la suite et tournera à près de 19 pts sur les saisons 88-89 et 89-90. Mais collectivement, le constat d’échec est toujours le même : malgré l’arrivée de Larry Nance et les performances toujours solides des Harper, Price et Daugherty, les Cavs se font sortir au premier tour. Ils ne sont jamais vraiment loin, ils perdent en 5 matchs (sachant que le premier tour se jouait au meilleur des 5 matchs à l’époque), et passent même à 2 secondes de la qualification en 89 avant de voir leurs espoirs réduits en miettes par ce shoot légendaire de sa Majesté :
https://www.youtube.com/watch?v=p5WUOnTxwPw
Les Cavs sont proches, mais les Cavs perdent. Cette équipe atypique, dont le collectif est la véritable superstar, peuplée de joueurs à des années lumières des feux des projecteurs (Price a pour principal souci sa vie de famille et le choix de la cravate qu’il mettra pour l’office du dimanche matin, Daugherty habite dans une ferme…), n’arrive pas à passer le cap nécessaire pour rêver au titre. En quête de changements salutaires, Wayne Embry prend la décision pour le moins contestable de transférer Ron Harper pour acquérir les droits de Danny Ferry. Oups. Le résultat immédiat est une saison 1990-1991 foirée à 33 victoires, au cours de laquelle Mark Price ne jouera que 16 matchs à cause des blessures. Là encore, ce n’est malheureusement que le début.
Malgré cet échec, les Cavs repartent à l’assaut la saison suivante. Et là, l’impensable se produit. Les joueurs de Lenny Wilkens passent un tour de playoffs, toujours dans le sillage du trio Price-Nance-Daugherty. L’épopée se prolonge avec l’élimination des Celtics en 7 matchs au deuxième tour, et les Cavs remettent les pieds en finale de conférence pour la première fois depuis 1976. Mais il y a un problème : la ville de Chicago possède toujours une équipe de basket. Ainsi, pour la 3e fois en 5 ans, Cleveland se fracasse contre l’obstacle Chicago, et la déception de Price et ses coéquipiers est immense. Le meneur est dans les meilleures années de sa carrière et sera sélectionné pour les All-Star Games de 1992, 1993 et 1994, mais ça ne suffit pas. Suite à cette déconvenue, les Cavs échoueront à atteindre à nouveau le dernier carré (on vous laisse deviner le nom de l’équipe qui les éliminera chaque année). C’est aussi la fin pour notre malheureux meneur.
Après une dernière saison gâchée par les blessures, Price est transféré à Washington contre un premier tour de Draft. Il ne prendra part qu’à 7 matchs dans la capitale et, même s’il pourra rejouer un nombre important de matchs dans ses deux dernières saisons à Golden State et Orlando, il ne reviendra jamais à son niveau. Les blessures auront eu raison de sa carrière, à laquelle il mettra fin à l’âge de 33 ans.
Heureusement, tout n’est pas qu’échec dans la carrière de Mark Price. Comme on l’a vu plus haut, il remporte le concours de tirs à 3 points du ASG en 1993 et 1994. Mais surtout, il sera sélectionné dans la Dream Team II pour le championnat du monde 1994. Si les joueurs qui composent cette équipe n’ont pas l’illustre réputation de leurs prédécesseurs, cela ne les empêchera pas de rouler sur tout ce qui se présentera sur leur chemin et de ramener la médaille d’or au pays de l’oncle Sam. Ça ne suffira évidemment pas à panser les plaies des multiples éliminations subies durant sa carrière, mais une victoire de temps en temps, ça ne fait pas de mal.
Mark Price laisse derrière lui un palmarès collectif assez faible (comme pas mal de gens ayant croisé la route des Bulls de l’époque), mais un palmarès individuel des plus respectables. Plus encore, sa manière d’aborder le jeu a contribué à faire de la NBA ce qu’elle est aujourd’hui. Quand on voit le nombre de meneurs scoreurs qui peuplent la ligue actuellement, on ne peut s’empêcher de penser que l’ancien meneur des Cavs a été une source d’inspiration. Rapidité, handle de malade, adresse diabolique, Price était un attaquant ultra complet. Un joueur redoutable qui s’est imposé dans la All-NBA first team en 1993 au nez et à la barbe de John Stockton, excusez du peu. Les blessures survenues en plein prime auront considérablement raccourci sa carrière et l’auront empêché de vendre du rêve plus longtemps, comme cela arrive à beaucoup trop de joueurs. Aujourd’hui éloigné de la NBA après quelques passages en tant qu’assistant ou consultant sur le shoot (très surprenant), le pieux Mark Price garde à n’en pas douter une place spéciale dans le coeur des aficionados de Cleveland et de la NBA.