Ce sujet me taraudait depuis plusieurs semaines. Donovan Mitchell avait-il réussi à rejoindre, voire dépasser Ben Simmons dans la course au débutant de l’année ? Pourtant, depuis l’arrivée du dernier nommé en NBA, ce trophée semblait lui être destiné. Parmi les rookies les plus impressionnants de la décennie, Simmons paraissait marcher sur la concurrence. On voyait bien le jeune Tatum ou le petit Mitchell faire des beaux débuts de saison, mais on n’imaginait pas qu’un des deux viendrait remettre la course en jeu.
Il y a quelques jours, j’ai décidé de faire un sondage sur notre Twitter pour voir ce qu’il en était des avis généraux. Avec 677 réponses, une petite majorité (54%) se prononçait en faveur du rookie du Jazz. Une surprise, si on se base sur la seule performance des joueurs, puisque le Sixer est absolument étonnant de maturité dans son jeu, produit des statistiques qui ont failli le mener au All Star Game dès sa première année et avait paru sans concurrence au terme du premier mois. Toutefois, il semblerait qu’en plus d’avoir haussé son niveau de jeu pour devenir un sérieux candidat, les circonstances et les qualités intrinsèques de Donovan Mitchell aient réussi à le propulser suffisamment haut pour se mettre les observateurs dans la poche. J’ai essayé de comprendre les raisons qui ont fait basculer cette bataille.
Des rôles différents
Le premier point qui est en train d’influencer cette course est pour moi les rôles respectifs des joueurs. Côté Sixers, Ben Simmons a débarqué dans son équipe, et s’est rapidement imposé comme le principal créateur de l’équipe. Un rôle qui exige beaucoup de contrôle sur son jeu. Entre son physique et son playmaking, Simmons rappelle volontiers un certains LeBron James. Certes moins scoreur, mais offrant une qualité de passe détonante pour un jeune joueur. Néanmoins, il partage l’affiche avec un autre phénomène : Joël Embiid. Malgré les bonnes performances du rookie, celui qui attire les projecteurs, qui fait le spectacle, c’est bien le camerounais. Résultat, Simmons apparaît comme le numéro 2 pour le grand public, il partage l’affiche sans occuper le plus gros rôle, des 2 côtés du terrain. Une balle dans le pied qui ne devrait pas être gravissime pour le joueur… S’il n’avait pas un concurrent si féroce.
En face, Donovan Mitchell débarque sans qu’on sache trop comment l’utiliser. On savait que le joueur avait du feu dans les jambes, mais personne ne l’attendait à pareille fête. Et voilà la première différence entre les joueurs : il a pris un rôle vacant et s’est imposé comme le leader. La franchise avait perdu son principal scoreur, et inquiétait quant à sa faculté à tenir le rythme offensivement sans Gordon Hayward. Mitchell a rapidement fait oublier cette faiblesse. Alors que la franchise opère un revirement identitaire, plus aggressif, plus offensif, le rookie surprend tout le monde en prenant le leadership offensif. Principale force au scoring de son équipe, capable de shooter ou d’attaquer le cercle, il a une parfaite panoplie pour plaire au public. Et cela marche, puisqu’il est devenu la principale attraction de cette équipe du Jazz.
Attentes & Trajectoires
Second point qui joue en la faveur du rookie d’Utah, les attentes. D’un côté, on a un des joueurs les plus attendus de la décennie : Ben Simmons. Si l’on regarde les prospects draftés en 2010, le seul qui peut se targuer d’avoir bénéficié d’une couverture médiatique plus importante, doit être Andrew Wiggins. Vanté comme une véritable star en devenir dès ses premières années lycée, le rookie des Sixers a en plus eu une année de “préparation” supplémentaire en raison de sa saison blanche. Une saison basée sur l’observation et la préparation physique dès son retour de blessure. En outre, il a dès le début de l’année répondu aux attentes, prenant en charge la création avec brio, réalisant des triples doubles sans donner l’impression de forcer son jeu. Résultat, il avait plus de chances de rencontrer les attentes, que de les outrepasser, même en jouant à très haut niveau comme c’est le cas. De plus, tout en gardant un niveau de jeu ayant failli le conduire au ASG, il a par moment semblé ralentir dans son rythme de croisière. Un écueil qui peut coûter cher dans les courses aux trophées.
En face, Donovan Mitchell a été récupéré dans un échange, par Utah. Certes c’était durant la lottery (13eme position), mais les attentes autour du joueur étaient celle d’un energizer, dont l’activité entrait en corcondance avec la mentalité mise en place par Quinn Snyder, pas celle d’un leader offensif. Par conséquent, Mitchell qui est rapidement monté en puissance, a pu bénéficier des attentes plus faibles pour donner un effet “bonne surprise” qui enthousiasme forcément le public et les observateurs. D’autant qu’à l’inverse de Ben Simmons qui a pu mettre le pied sur le frein par moment, le rookie du Jazz lui monte en puissance, dans une équipe moins régulière mais sur une superbe série de victoires pour boucler la période pré-ASG. Timing parfait !
Les personnalités
Le langage verbal et le langage corporel peuvent être des atouts ou des poids pour se mettre le public dans la poche. Nous sommes face à 2 joueurs qui ont commencé sans faire de vagues en NBA, micro en main.
Sur le plan du langage non verbal, nous sommes face à deux opposés. Simmons a un côté très serein, qui ne fait pas de remoue sur un terrain. Pas forcément adepte des célébrations, quoi de plus normal pour quelqu’un qui a toujours dominé dans son sport ? Pas de quoi, en tout cas le rendre très marquant pour le public par son attitude, à l’inverse de son coéquipier au poste de pivot.
En face, Donovan Mitchell s’est bâti un capital sympathie phénoménal par son langage corporel. Véritable boule de nerf, il semble toujours enthousiaste et tout le temps à 200 pulsations minutes. Son jeu à l’inverse de Ben Simmons donne l’impression d’être en improvisation permanente, dans une équipe qui lui a laissé carte blanche pour exprimer sa folie. Résultat, qu’il réussisse ou échoue, sa fraîcheur et son énergie sont communicatives pour le public NBA qui adore. Un showman dans une ligue-spectacle !
Côté déclarations, si Mitchell n’a pas vraiment de moments particuliers, positivemet comme négativement, Simmons a lui peut être fait une erreur dans sa communication autour du All Star Game. Déçu d’être sans cesse oublié, que ce soit dans la sélection originale, comme dans les remplacements dûes au blessure, il s’est plaint plusieurs fois auprès de la presse. Une démarche qui si, on l’en juge par les habitudes de Damian Lillard et John Wall, n’a pas une résonnance positive auprès du public.
—
Beaucoup de points évoqués n’ont, comme vous le voyez, rien à voir avec le jeu lui-même, la production des joueurs, ou les réalités du terrain. Pourtant, dans une course toujours menée par Ben Simmons, sur le plan du jeu pur et dur (selon moi), Donovan Mitchell lui monte en puissance. La NBA a toujours eu une identité très tournée vers l’affectif et le storytelling. Et alors que le rookie des Sixers écrit une histoire qui paraît presque sans surprise tant les attentes étaient élevées, celui du Jazz raconte celle d’une révélation. Des arguments qui pourraient peser lourd au moment de faire les comptes. Nous assistons peut être à la course au débutant de l’année la plus sérrée depuis quelques années maintenant. Quelque chose me dit qu’elle ne fait que commencer.