Au début des années 70, les Bucks sont une jeune, très jeune équipe. Ayant vue le jour pour la saison 1968-69, elle a pourtant très rapidement grimper les échelons de la Ligue. Comment ? En bénéficiant d’un énorme coup de pouce du destin lors de la draft 1969, alors que le 1st pick se décidait encore à pile ou face entre les deux pires bilans de la Ligue. Les Bucks remportent le coin toss face aux Suns, ce qui leur permettra de choisir un certain Lew Alcindor, que vous connaissez peut-être mieux sous le nom de Kareem Abdul-Jabbar. Deux ans après son arrivée, KAJ propulse son équipe en Finales NBA où Milwaukee arrachera le premier titre de son existence autour d’un axe KAJ-Oscar Robertson de feu. Si ce dernier est plutôt sur la fin de sa carrière, cela ne l’empêche pas de tourner en 19-6-8 sur la saison pendant que le jeune KAJ fait des ravages dans la peinture en tournant à 31.7pts et 16 rebonds par match. En route pour la back-to-back la saison suivante, les Bucks se verront barrer la route et seront éliminés par les Lakers. Toutefois, la franchise est taillée pour gagner à nouveau, sans aucun doute.
Dans le même temps, un jeune joueur commence à exploser dans l’autre Ligue professionnelle de l’époque, l’ABA – l’American Basketball Association. Alors qu’il n’est que rookie au sein de l’équipe des Virginia Squires, Julius Erving envoie 27.3pts et 15.7 rebonds par match, attirant l’œil des foules et des autres équipes, y compris celles de la NBA.
La draft 1972 approche et les Bucks sont dans une situation plutôt confortable : alors qu’ils ont déjà une équipe taillée pour conquérir un titre NBA, ils bénéficient cette année-là de deux choix de draft au premier tour (on précise que le système de draft était bien différent à cette époque-là hein). Après avoir choisi Russ Lee avec le premier – pas la peine de chercher sur Google, ce n’est pas un ancêtre commun de Russell Westbrook et de Bruce Lee – le second choix leur permet de sélectionner Julius Erving.
Oui mais voilà… Il y a un léger souci : Erving s’est engagé auprès des Hawks avant ladite draft. Il y a comme une odeur de problèmes, vous trouvez pas ? On récapitule : au lendemain de la draft, Erving vient d’être drafté par les Bucks, s’est engagé avec les Hawks, mais est toujours sous contrat avec les Virginia Squires pour 3 ans. Alors, comment qu’on fait ?
Du côté des bureaux, les GM des Hawks et des Bucks restent tous les deux sur leurs positions. Pour le manager des Hawks, il n’y a aucun problème : Erving jouant déjà avec l’ABA, il était déjà professionnel et n’était donc pas concerné par la draft. Pour le manager des Bucks ? Les Bucks ont les droits d’Erving, l’ayant drafté conformément aux règles NBA. Et bah on n’est pas sorti de l’auberge, cool.
Gettysburg Times, 12 avril 1972 – Le GM des Bucks, Wayne Embry, réclame les droits sur Erving.
Les deux parties, Bucks et Hawks, vont essayer de s’entendre. Mais ça serait bien trop simple de résoudre le litige rapidement, ça ne correspond pas à l’esprit américain voyons : non, il faut de l’excès. C’est donc un juge de la Cour suprême de Georgie qui va décider… que le contrat liant Erving avec les Virginia Squires n’a plus de raison d’être et ne peut donc pas être exécuté. Merci m’sieur le juge.
Sarasota Herald Tribune, 13 septembre 1972 – La Cour Suprême de Géorgie annule le contrat d’Erving avec Virginia
Du coup, Julius se sentant décidément d’humeur volatile et désormais libre de tout contrat avec l’ABA, décide de rejoindre les Hawks pendant le training camp et de faire copain-copain avec Pete Maravich. Oui mais la NBA, c’est pas la foire : le commissionnaire de l’époque, Walter Kennedy, se saisit du dossier, réunit le board NBA et soumet la question au vote : qui a les droits du prodige, Bucks ou Hawks ? Les messieurs en costumes votent et tranchent : les Bucks ont les droits. Bon, on avance un peu.
The Pïttsburgh Press, 21 septembre 1972 – Le board NBA décident d’attribuer les droits d’Erving aux Bucks.
Pour affirmer encore plus la décision prise, la NBA condamne les Hawks à payer une amende pour les matchs d’exhibition joués par Erving. Vous pensiez que c’était terminé ? Ah-ah-ah. On est en Amérique je vous rappelle, show must go on. Atlanta n’est pas vraiment décidé à abandonner la bataille et le front-office contre-attaque : les Hawks ne paieront rien, et intentent un procès à la Ligue. Au culot.
La solution va finalement venir de la justice, mais cette fois-ci au niveau supérieur, celui où personne ne rigole. Un juge fédéral va renverser une nouvelle fois la situation en décidant que Julius Erving n’a pas rompu le contrat qu’il avait avec les Virginia Squires, et qu’en conséquence, il doit honorer ce dernier. Donc si vous avez bien suivi : on revient au point de départ et Julius retourne en ABA.
Pour éviter tout problème postérieur, il indique à tout le monde qu’en cas problème, un arbitre sera désigné pour régler le souci le plus rapidement possible. Pas question de refaire le même cinéma une deuxième fois.
Pour lire l’article du New York Times sur la décision du juge fédéral :
http://www.nytimes.com/1972/10/03/archives/us-judge-tells-squires-and-erving-get-a-referee.html
Finalement, Erving rejouera pour Virginia une saison avant d’être tradé vers les New York Nets. Il n’arrivera en NBA que pour la saison 1975-76 au sein des Philadelphie 76ers. Les Bucks ne verront jamais, pas une seule fois, Julius Erving avec leur maillot sur les épaules. Les Hawks quant à eux seront sanctionnés bien plus tard en 1975 par le nouveau commissionnaire en poste, Larry O’Brien. Pour les Bucks, l’argent reçu en compensation ne sera malheureusement pas suffisant pour compenser la perte d’Erving. Ils retourneront en Finales deux ans après cet épisode, mais laisseront partir leur franchise player Kareem Abdul-Jabbar à l’été 1975 en direction des Lakers. La franchise tournera alors la page de ce qui est, encore aujourd’hui, la plus belle époque de son histoire.
Rome News Tribune, 6 juin 1975 – Larry O’Brien, tout juste entré en poste, sanctionne les Hawks.
Est-ce que vous avez saisi l’ampleur du délire un peu ? On a un Julius Erving qui aurait pu jouer à Atlanta ou à Milwaukee mais qui au final ne se retrouvera en NBA que quelques années plus tard à Philadelphie. Et encore… Je vous épargne les détails, mais son arrivée à Philly n’avait rien d’acquis non plus. Un tel problème semble fou aujourd’hui avec le recul et toute la professionnalisation de la NBA, et heureusement d’ailleurs. Imaginez un peu un Luka Doncic signant un contrat avec les Nets, avec Sean Makrs qui débarquerait tranquillement pour nous dire « Bah quoi ? Il est professionnel hein, il est pas concerné par la draft », et qui se ferait également sélectionner par les Suns via la draft quelques semaines plus tard…
La carrière de Julius Erving telle qu’on la connait aujourd’hui ne tenait donc qu’à un fil, ou plutôt qu’à une décision de justice. Erving aux Bucks, ça aurait été l’occasion de voir quelques années d’un fabuleux trio Erving-Abdul Jabbar-Robertson. Mais ça, on le verra plus tard…