Nous sommes le 22 janvier 2018. Le Jazz vient de s’incliner 104-90 sur le parquet des terrifiants Atlanta Hawks et affiche un piteux bilan de 19 victoires pour 28 défaites. C’est la 17e défaite sur les 23 derniers matchs, qui intervient contre une des pires équipes de la NBA. Utah touche le fond pendant que le rythme s’intensifie à l’Ouest, et beaucoup s’accordent à dire que l’espoir de faire les playoffs est aussi vivace que celui de voir la France remporter le Tournoi des 6 Nations cette année (veuillez excuser cette digression).
3 semaines et 11 victoires plus tard, la question de la participation des mormons aux joutes printanières est pourtant plus que jamais d’actualité. Qu’est-ce qui a insufflé ce changement drastique ? La série peut-elle durer sur la longueur ? Quelles chances a-t-on de voir effectivement Utah décrocher un strapontin en avril ? Je vous sens impatients, fonçons sans plus tarder.
Notez que j’avais pensé intituler cet article “ça swingue chez le Jazz”, mais ma main droite est venue heurter ma joue avec une violence inattendue à la simple évocation de cette idée, qui me semblait pourtant fort originale.
Quand Utah se prend pour Golden State
Allons droit au but : l’attaque de Salt Lake est totalement intenable depuis 11 matchs. Avec 112.3 points marqués sur 100 possessions, elle est la 6e plus efficace de la ligue sur cette période. Seules deux équipes sont capables d’envoyer de tels chiffres, les Warriors et les Rockets. Bon, sauf que pour eux c’est depuis le début de la saison. Utah se “contente” de 11 matchs mais cela vous donne tout de même une idée de la performance réalisée. Les troupes de Quin Snyder, qui marquent en moyenne environ 103 points par match, balancent en ce moment 112 points tous les soirs.
Il ne faut pas chercher très loin dans la feuille de stats pour trouver le premier facteur de cette amélioration : l’adresse à trois points de l’équipe frôle actuellement le divin. Avec une moyenne de 43.4%, les banderilles pleuvent et placent le Jazz très loin devant le reste de la ligue en la matière. On n’avait pas vu pareil barrage d’artillerie depuis Verdun. En plus des points apportés, cela incite forcément le Jazz à jouer plus vite pour trouver des paniers en transition. Plus de possessions jouées, plus d’adresse à 3 points, plus de points. Vous avouerez que la logique est implacable.
Mais cette série ne s’est pas bâtie que sur une attaque de feu. Déjà réputée, la défense affiche un niveau monstrueux lui permettant de n’encaisser que 98 pts par match, avec le 2e defensive rating sur la période. Freiné par les blessures, Rudy Gobert retrouve de plus en plus le niveau qui lui a permis d’être proche du titre de défenseur de l’année la saison dernière. La défense sur le périmètre est féroce et l’effectif regorge de joueurs athlétiques qui contrent et interceptent à tour de bras. C’est simple, l’édifice bâti par coach Snyder éteint ses adversaires soir après soir avec une solidité effrayante.
En couplant cette assise défensive au feu d’artifice offensif, vous obtenez sans surprise le meilleur différentiel de toute la ligue sur les 10 derniers matchs (+15). Brutal. Le tableau de chasse qui en résulte est assez impressionnant (il faut ajouter les Suns également, si vous considérez encore ça comme une équipe NBA).
Est-ce que ça peut durer ?
Non. En tout cas, pas exactement comme ça. Tout simplement car il n’est pas normal de shooter à 43% à 3 points et que les joueurs du Jazz finiront forcément par rentrer dans le rang à un moment donné. Si Donovan Mitchell n’a pas attendu ce mois-ci pour exprimer tout son potentiel et s’imposer comme le leader offensif de l’équipe, des gars comme Joe Ingles, Jonas Jerebko ou Ricky Rubio, qui marchent sur l’eau derrière l’arc, finiront bien par voir leurs shoots heurter le cercle au lieu de rentrer aussi fréquemment qu’en ce moment.
Un tel épisode s’est d’ailleurs déjà produit cette année. Entre le 18 novembre et le 4 décembre, Utah a gagné 6 matchs consécutifs (parmi lesquels des taules innommables infligées au Magic ou aux Wizards) avec une production offensive très au-dessus de leur rendement habituel… avant de s’écrouler et de perdre 10 des 12 rencontres suivantes.
Cependant, il est peu probable qu’une telle dégringolade se reproduise. L’équipe a plus de vécu collectif et sera plus à même de trouver des solutions quand l’adresse sera en RTT. Surtout, si l’attaque baisse, il n’y a aucune raison que la défense en fasse de même, en tout cas pas de manière significative. La possibilité d’accrocher les playoffs va apporter un supplément d’âme bienvenu et l’arrivée de Jae Crowder, pas un manchot lorsqu’il s’agit de mettre les barbelés, est tout sauf malheureuse. Rien qu’avec ça, on a la garantie de voir un Jazz agressif soir après soir, réussite ou non.
Dernier facteur ô combien important pour évaluer la situation : le calendrier. La période difficile citée plus haut correspondait à un enchaînement de rencontres ultra relevé, durant lequel bien des équipes auraient éprouvé les pires difficultés. Warriors, Cavs, Rockets, Thunder, ils étaient tous là, même plusieurs fois pour certains (OKC x 3, Houston x 2). De quoi prendre quelques bonnes roustes.
Le contexte est radicalement différent cette fois. La suite du programme regorge de matchs à domicile, et si quelques cadors sont bien évidemment à l’affiche, la fin de saison du Jazz est des plus abordables, avec nombre d’équipes pour lesquelles le mot “tanking” vient en tête dans la seconde qui suit la lecture du nom. La possibilité d’engranger les victoires est bien réelle et le Jazz peut envisager de finir la saison avec un bilan à même d’espérer une qualification.
Des concurrents sous la menace
Vous le savez probablement, la course aux playoffs dans la conférence Ouest est d’une sauvagerie sans nom, et cette année ne déroge pas à la règle. 10 équipes se battent pour 8 places, une soustraction d’une étonnante complexité vous indique donc que deux d’entre elles regarderont la postseason depuis leur canapé. À l’heure d’écrire ces lignes, les 5 équipes classées de la 6e à la 10e place se tiennent en deux victoires : Jazz, Clippers, Pelicans, Trail Blazers, Nuggets. Au regard de la forme actuelle et du calendrier à venir, les mormons ont clairement un coup à jouer.
Malgré un Anthony Davis inhumain, les Pelicans sont affaiblis par la blessure de Demarcus Cousins et présentent un bilan de 4-5 depuis ce funeste événement. Le monosourcil se battra jusqu’au bout mais il n’est pas blasphématoire d’imaginer les Pelicans glisser en dehors du top 8 d’ici la fin de saison. Portland et LA ont un calendrier autrement plus compliqué que celui du Jazz et ne sont pas à l’abri d’un faux-pas qui ne pardonnera pas. Le retour de Paul Millsap laisse à penser que Denver ne faiblira pas, d’autant que leur dynamique actuelle est plutôt bonne, mais un coup de mou n’est jamais à exclure, bien que ce soit évidemment aussi valable pour le Jazz.
En regardant plus haut, seuls les Rockets et les Warriors sont intouchables. OKC n’a perdu que deux matchs de moins que Utah, Minnesota 3, et San Antonio 4. Même si personne n’imagine vraiment que l’une de ces trois équipes puisse rater les playoffs, la réalité comptable indique qu’elles ne disposent pas d’une marge de manœuvre énorme, d’autant qu’elles ont toutes perdu 6 de leurs 10 derniers matchs.
Utah est dans la position du chasseur, avec la meilleure dynamique de la ligue et pléthores de matchs abordables pour prolonger le plaisir. Même si l’attaque finira forcément par redevenir terrestre, la confiance emmagasinée et une défense impériale peuvent laisser entrevoir une fin de saison fulgurante. Désormais talonnées par les joueurs de Quin Snyder, les franchises occupant les dernières places du top 8 vont devoir resserrer le jeu pour éviter une cruelle désillusion, même si les vacances en avril ont aussi du bon (moins de monde sur les plages, promotions chez Pierre et vacances…). Quoi qu’il en soit, cela nous promet une fois de plus un sprint final haletant comme seule la conférence Ouest peut nous en offrir.