Il est 7h ce vendredi 9 février. Les Los Angeles Lakers viennent de disposer du Thunder sur le score de 106 à 81. Quelques derniers tweets pour le compte fr[1] de notre franchise de cœur le temps de conclure un #LT pas comme les autres. La poussière de la Trade Deadline s’évapore définitivement et il faut bien se rendre compte à l’évidence : vient de s’achever le premier match des Lakers sans Jordan Clarkson et Larry Nance Jr. La sensation est encore amère, mais l’émotion doit désormais céder le pas à l’analyse
Le trade est surprenant sans l’être. Il m’aura, pour ma part, surpris puisque j’étais persuadé au matin du 8 février que le Front Office des Lakers ne bougerait pas, au point de le tweeter avec une certaine assurance. J’avoue avoir été non seulement berné par les rumeurs qui faisaient état d’un report du recrutement vers la Free Agency de 2019, mais aussi par les informations d’Adrian Wojnarowski, le journaliste d’ESPN, qui prédisaient une Trade Deadline d’ajustement et non pas de chamboulement. Autant dire que j’ai été assez désarçonné quand le même Woj secoua la planète NBA quelques heures plus tard en fuitant que les Cleveland Cavaliers et les Los Angeles Lakers étaient sérieusement engagés dans un échange.
Les « victimes » du trade quant à elles, ne le sont pas, surprenantes. Depuis quasiment la prise de fonction de Magic Johnson et Rob Pelinka en février 2017, Jordan Clarkson est dans les trading blocks. Magic a beau vouloir faire de Clarkson un candidat au sixth man of the year, son contrat est trop gros pour la big picture du président. Nance a un contrat plus modeste, encore que son cap hold en 2019 peut compter, mais cela fait depuis janvier que son nom revient dans les rumeurs et qu’il est un appât de plus lancé par le Front Office. En définitive, il fallait faire confiance à un insider moins connu, Kevin O’Connor qui avait fait mention le 8 février au matin d’un package Clarkson/Nance proposé par les Lakers.
Ceci étant dit, il faut être deux pour faire un deal. Si le GM des Cavs n’avait pas décidé de changer son roster en animant à lui seul la Trade Deadline, il est probable que ce package n’aurait pas trouvé preneur. En tout cas, Pelinka n’aurait pas trouvé la contrepartie qu’il souhaitait, à savoir des contrats expirants et un premier tour de draft. Plus tôt dans le mois, les Pelicans avaient bien proposé un premier tour de draft, mais il fallait pour cela absorber l’énorme contrat d’Asik, ce qui était irrecevable du point du vue angelino. Le marché cet hiver s’est révélé particulièrement frileux sur la cession des premiers tours[2], et il est presque miraculeux qu’une telle opportunité se soit présentée dans les dernières heures de la TDL. Et quand on vous fait une offre que vous ne pouvez pas refuser, vous connaissez la suite.
Pour la plupart des amateurs de la NBA qui sont étrangèrs au contexte Lakers, j’imagine que la douleur, le mot n’est pas faible, qui a étreint le cœur de la communauté Purple and Gold peut paraître étrange. Et pourtant, on a tous en nous quelque chose de Jordan Clarkson. La trouvaille de Jesse Buss nous a tellement apporté de plaisir. De son buzzer beater en Summer League à la nomination dans la All-Rookie First Team (ah, ces débats Smart vs Clarkson, douce nostalgie), il a été notre rayon de soleil lors de la saison 2014-2015. Et il a confirmé, saison après saison, quelque fût son rôle ou le line-up, qu’il avait la régularité d’une horloge suisse quand il s’agit d’enquiller les points. Et puis il y a le reste : grand amateur de la gente féminine, énorme chambreur sur twitter, une ingénuité désarmante à chaque interview, il était difficile de ne pas être séduit par sa personnalité.
Et que dire alors de Larry Nance Jr ! « Larry qui ? » était probablement la réaction la plus partagée le soir de la draft 2015 quand Adam Silver annonce le 27ème pick. Quelques tomars monstrueux plus tard (RIP Festus Ezeli, Brook Lopez ou Kevin Durant), on découvrait aussi un teammate idéal, un adepte du dirty work au cœur immense, toujours prêt à se sacrifier sans s’épargner le moindre effort, et qui a, de surcroît, entretenu la plus belle des bromances américano-croates à LA. Quand on voit les réactions et les photos publiées au moment de son départ, cela fait vraiment quelque chose de le voir nous quitter.
Évidemment, on se félicite que les deux vont pouvoir faire de grandes choses, du moins les vivre, à Cleveland. Après Kobe, ils vont connaître une autre légende de la NBA, et surtout goûter aux joies des Play-Offs, voire plus si affinités. C’est tout le mal qu’on leur souhaite, même si l’on regrette un peu que ce ne soit pas chez nous qu’ils découvrent les batailles de la post-season. Néanmoins, est-ce que l’on peut réellement se plaindre sur la perte sportive occasionnée ? Pour ma part, j’affirme que non et je pense au contraire, que dans l’état actuel du marché, Pelinka a réussi à sell high deux joueurs, tous deux âgés de 25 ans, qui ont peu ou prou atteint leur potentiel. Si Clarkson a prouvé qu’il était régulier dans sa production globale, on ne peut en dire autant pour son intensité défensive, son tir de loin ou encore son playmaking. Toutes ces choses sont là sont en progrès, mais ne seront jamais suffisamment « élites » pour qu’on les regrette réellement. Pour Nance, le constat est encore plus sévère. Je me souviens de ses débuts en 2015 et en particulier de son match à Orlando où il avait rentré shoot sur shoot. Il était alors de bon ton sur les forums de le comparer à Randle, pour mieux dénigrer ce dernier. Deux ans et demi plus tard, il faut bien se rendre au cruel constat qu’il ne sera pas le stretch four ultime que l’on rêvait. Son tir, sans être rédhibitoire, n’est pas devenu une arme dans son skillset. Nance est certes un super energizer, mais c’est un profil qui n’est pas rare à trouver dans cette ligue, et, la rareté déterminant le prix, à un tarif guère plus élevé que le minimum.
Si encore les Lakers avaient accueilli de l’expirant quelconque, la question de la perte sportive pourrait se poser. Mais quand la contrepartie s’appelle Isaiah Thomas, il n’y a pas vraiment de débat. N’oublions pas qu’au sortir de sa dernière saison à Boston, IT est All-Star, cinquième des votes au MVP et troisième au scoring. Quels que soient les contextes, IT a toujours été un scoreur hors norme, défiant les statistiques. On peut donc le voir aisément récupérer le rôle offensif de JC, en étant capable comme ce dernier, sinon mieux, de porter l’équipe avec son jeu en isolation ou via PnR. Alors que l’efficacité offensive des Lakers sur demi-terrain reste famélique, il se peut que l’on se soit à la fois doté de notre dynamiteur en sortie de banc, mais aussi de notre go-to-guy en cas de fin de possession difficile ou de moment tendu dans un match. Il serait en tout cas dommage de faire de ses 15 matchs délicats à Cleveland, alors qu’il revient d’une blessure lourde, le référentiel de son talent.
La question demeure sur le type de rôle qu’il voudra embrasser à LA. Un premier imbroglio a fuité à propos de son agent imposant qu’il soit titulaire, premier incendie vite éteint par le même agent sur USA Today[3], qui laisse Walton le seul maître à bord de ses line-ups et de ses rotations. En parlant du head coach des Lakers, ce dernier a affirmé que Thomas allait bénéficier d’un gros temps de jeu, et qu’il était donc quasiment certain qu’il évoluerait aux côtés de Lonzo Ball. Là encore, on attend de voir pour juger sur pièces, mais théoriquement l’expérience peut s’avérer payante. Thomas et Ball ont eu l’habitude d’évoluer aux côtés d’autres meneurs/combo guards, et avec bonheur puisque leur skillset offensif leur permet de briller sur du jeu sans ballon (catch and shoot, cut). Si cela pouvait justement inciter Luke Walton à insister sur cette dimension du jeu sur demi-terrain, tout le monde en sortira gagnant. Pour revenir à l’état d’esprit de Thomas, forcément guère emballé à l’idée de sortir du banc, certains de mes camarades du compte fr craignent qu’il ne reproduise la mauvaise ambiance de Cleveland et achève de détruire un vestiaire qui vivait très bien ensemble et qui est forcément secoué par le trade. Il n’y a pas de garantie là-dessus, mais de ce que l’on sait, IT est enchanté de venir à Los Angeles. Non seulement il retrouve sa franchise de cœur, mais aussi une philosophie up tempo qu’il affectionne particulièrement. Alors qu’il doit négocier LE contrat de sa carrière lors de la prochaine Free Agency, il doit non seulement se mettre en valeur, mais aussi rassurer son futur employeur. Sachant que Magic compte également lui donner le rôle de mentor auprès de Lonzo Ball, il aura là une bonne occasion de lever les derniers doutes sur sa capacité à s’intégrer rapidement dans un nouvel environnement.
Le deuxième doute que l’on peut émettre sur ce trade est l’impact qu’il aura sur notre défense. Tout le monde a l’image d’un IT en grande difficulté défensive, et s’il n’est certainement pas un grand défenseur, il n’est peut-être pas aussi handicapant qu’on se l’imagine. A ce sujet je vous recommande l’excellent article de Cranji McBasketball[4]. Selon ce dernier, Thomas n’est exposé que 13% des possessions en défense, et l’exploitation de son mismatch au poste n’est pas si récurrente (29 fois sur 76 matchs de la saison 2016/2017), avec une défense plus qu’honnête sur ce type d’action (seulement 0,864 points concédés par possession). Cerise sur le gâteau, il fait même partie du top 3 de Cleveland au DPOE[5] avec… Frye. On ne m’enlèvera pas de l’idée que Clarkson a plus de valeur défensive que Thomas, mais il se peut que ce ne soit pas le trou noir que beaucoup craignent. Clarkson avait au moins le mérite de se dépenser sans compter de ce côté du terrain, et il serait préférable que Thomas se mette au diapason d’un groupe qui a fait de la solidarité collective sa marque de fabrique, plutôt que de la dénoncer dans les médias. Je ne saurais trop insister là-dessus tant la défense est de loin notre progrès le plus éclatant cette saison et que c’est grâce à elle que nous parvenons à faire basculer les matchs en notre faveur. Il suffit d’un passager clandestin pour enrayer la plus belle des mécaniques, je touche du bois pour qu’IT ne soit pas ce perturbateur.
Vous serez étonné de voir que je ne mentionne pas Larry Nance dans la colonne des pertes défensives. Il est souvent de bon ton de faire du natif d’Akron un spécialiste en la matière. Certes, il est dur au mal, reste actif sur les lignes de passe et ne rechigne pas à aider sur les rotations, mais sa production en défense individuelle est médiocre. Peu mobile latéralement, il est extrêmement vulnérable au périmètre et finalement pas si puissant que ça au poste pour contenir des intérieurs plus grands ou plus forts. Je n’attends pas de Channing Frye de révolutionner notre défense, mais on pourrait être surpris, dans le bon sens du terme.
Un pick, des bons joueurs, c’est déjà très bien. Mais là où Pelinka et Magic ont enfoncé le clou, c’est bien évidemment sur la sacrosainte flexibilité. Depuis leur arrivée à la tête (sportive) de la franchise, les deux hommes n’ont cessé de la rechercher afin de frapper un grand coup sur le marché estival. Le constat est clair dans la NBA actuelle, si vous ne possédez pas plusieurs stars, le titre vous est interdit. C’est la logique principale qui guide l’action du Front Office : créer l’environnement sportif et salarial idoine afin d’attirer au moins une superstar pour faire des Lakers un prétendant au titre. Avec ce trade et les 13 millions en moins du salaire de Clarkson, c’est chose quasi-faite. Les Lakers auront la place pour signer deux Free Agents au maximum ou presque.
Pelinka, assez malin pour le coup, continue de laisser planer le doute sur ses futurs mouvements. Tout d’abord il entretient le flou sur l’agenda de recrutement. Cela peut être deux signatures en 2018, deux en 2019 ou une chaque année. Il brouille également les cartes sur le type de recrutement. Il a ainsi déclaré dans la conférence de presse post-TDL qu’avoir la flexibilité était aussi un moyen d’accroître son contrôle du marché à un moment où beaucoup de franchises sont cap out. Avoir de la marge quand les autres n’en n’ont pas ou peu permet de négocier à la baisse avec les agents et de faire de très bonnes affaires avec des joueurs du tier 2 ou 3, mais aussi de prolonger ses propres jeunes à un tarif préférentiel. Pelinka a spécifiquement désigné Julius Randle pour illustrer cette option, en rappelant qu’il jouait de manière remarquable. A ma connaissance, c’est la première fois qu’il le complimente aussi ouvertement devant les caméras. Chat échaudé craint l’eau froide, mais j’aimerais malgré tout croire dans le signe d’une inversion de la côte du jeune intérieur alors que la plupart des rumeurs affirment au contraire qu’il ne fait toujours pas partie des plans à moyen terme de la franchise. Au moins, le GM ne se sera pas définitivement aliéné une partie de la fanbase alors que le produit de Kentucky n’arrête pas de briller.
Au regard de tous ces éléments, et même si l’on sait ce que l’on perd dans le trade, en l’occurrence un jeune groupe attachant et en progrès constant, il faut admettre que non seulement il fait sens mais qu’il se fait plutôt à notre avantage. Il sera un succès si l’on continue de s’améliorer sportivement jusqu’à la fin de la saison. Il sera un succès complet si l’on rentabilise le pick. Il sera le move de la décennie pour la franchise, au même titre que le trade de Pau Gasol il y a tout juste 10 ans, si l’on signe une superstar cet été ou dans un an. Un trade made in Hollywood où il n’y a pas de place pour la demi-mesure et qui vous destine aux lauriers…ou au goudron et aux plumes.
[1] @LALakersFR. Suivez-nous en masse les gens !
[2] Comme l’explicite parfaitement Thomas Feler (@ThomFELER) dans son tweet, c’est un « effet pervers de la NBA binaire. Sept équipes tankent, un favori largement établi et personne du milieu ne veut hypothéquer un peu de son futur pour améliorer son présent pour se faire jarter au 1er tour des Play-Offs ».
[3] https://www.usatoday.com/story/sports/nba/columnist/sam-amick/2018/02/08/isaiah-thomas-agent-aaron-goodwin-cavaliers-lakers-trade/322184002/
[4] https://www.patreon.com/posts/trade-reaction-16885951?utm_medium=social&utm_source=twitter&utm_campaign=postshare
[5] Defensive Points Over Expectation. L’indice mis au point par Cranji illustre l’écart d’efficacité défensive d’un joueur par rapport à la production moyenne sur les types d’action sur lesquelles il est amené à défendre.