Si la NBA est considérée comme étant avant tout une ligue de joueurs, avec la notion de « franchise player », le College est lui bien différent, avec des joueurs présents sur des cycles courts, plus courts encore quand ils quittent la fac avant la fin de leur cursus. Dans ce contexte, les coachs sont tout puissants, et leur responsabilité est forcément décuplée. Faite de coachs emblématiques comme Mike Krzyzewski ou bien Jim Boeheim, la ligue universitaire est aussi en train de voir arriver une nouvelle génération de techniciens très prometteurs, certains d’entre eux reprenant déjà de très gros programmes, et leur donnant très vite un nouveau souffle, une nouvelle preuve de l’importance d’un bon choix de coach dans cette ligue, encore plus que celle d’un bon choix de joueurs. Focus sur trois entraineurs qui réalisent cette saison un travail très impressionnant.
Will Wade – LSU Tigers
Lorsqu’il parvient à recruter trois joueurs du Top 40 des lycées d’ESPN, dont deux McDonald’s All-Americans et surtout le numéro 1, l’australien Ben Simmons, l’ancien head coach de LSU, Johnny Jones, réalise un énorme coup. Mais il s’impose aussi de grosses attentes. Alors que l’équipe avait participé à la March Madness en 2015, elle va finalement rater la « Big Dance » en 2016, la faute à une saison en dent de scie dans laquelle le coach a eu sa part de responsabilité, avec des défaillances tactiques importantes, notamment dans les fins de match serrées comme face à Oklahoma, le soir ou tout a probablement basculé pour LSU, avec une défaite de deux points sur un tir d’Isaiah Cousins. Face à l’équipe alors classée numéro 1 par Associated Press et menée par la superstar Buddy Hield, les Tigers arrivent pourtant sur une bonne dynamique. Après avoir mal commencé leur saison, les coéquipiers de Ben Simmons se relancent en janvier, en battant notamment Kentucky. Dominateurs à domicile face aux Sooners d’Oklahoma, ils n’arrivent pourtant pas à tuer le match. Dans les cinq dernières minutes, Buddy Hield sort de sa boite et réduit l’écart. Côté Tigers, Ben Simmons ne voit plus un ballon. Ce qui devait arriver arriva : le meneur Isaiah Cousins crucifie LSU et climatise le Pete Maravich Assembly Center sur la dernière possession.
Battre le numéro 1 du pays quelques jours après un succès face à Kentucky aurait quasiment été synonyme de ticket assuré pour le NCAA Tournament. Au lieu de ça, LSU perd le fil de sa saison et ajoute par la suite cinq défaites à son bilan, probablement cinq de trop. Lors du tournoi de la conférence SEC, dernier moyen d’obtenir l’une des 68 places tant convoitées (le vainqueur de chaque tournoi de conférence obtient une qualification automatique pour la March Madness), la saison se termine sur une performance ridicule face à Texas A&M en demi-finale, avec une défaite 71-38.
Face à un tel échec et une telle désillusion, Johnny Jones se retrouve sur un siège éjectable. S’il obtient finalement un surprenant sursis, la saison suivante lui sera bel et bien fatale, avec un bilan de 10 victoires pour 21 défaites, dont seulement deux succès dans la SEC.
Pour succéder à Jones, la fac choisit un jeune prodige du coaching en la personne de Will Wade.
Après avoir fait ses gammes très vite comme assistant à Clemson, puis à Harvard avec Tommy Amaker et finalement à VCU, où il aide Shaka Smart à guider les Rams vers le Final Four en 2011, il devient finalement head coach à Chattanooga en 2013. Il relève donc le challenge de reprendre un petit programme en difficulté, et finit par remporter 40 matches en deux saisons, avec aussi un titre de coach de l’année dans la Southern Conference. En 2015, après le départ de son mentor Shaka Smart vers Texas*, il revient à VCU, cette fois-ci en tant que head coach. Le succès court derrière Wade, puisqu’il remporte 51 matches en deux saisons, un titre de champion de la saison régulière dans la conférence Atlantic-10, et mène à chaque fois les Rams à la March Madness.
Si Will Wade a beaucoup apporté à VCU, le programme lui à lui même beaucoup donné. Alors quand LSU le contacte en 2017, la décision n’est pas facile à prendre. Mais pouvoir devenir, à 34 ans, le head coach d’un programme aussi prestigieux, c’est le genre d’opportunité qu’on ne peut que difficilement refuser. Wade fait ses valises et part vers Bâton Rouge, avec encore une fois la mission de remettre un programme en difficulté sur de bons rails.
Huit mois plus tard, les Tigers ne cessent de surpasser les attentes placées en leur nouveau coach, avec déjà 11 succès, un de plus que sur l’ensemble de la saison passée, et surtout des victoires marquantes et un collectif prometteur. Après avoir perdu de peu face à Kentucky à domicile, les Tigers sont allés s’imposer par deux fois dans deux déplacements très compliqués ces derniers jours, face à Arkansas ce mercredi avec une énorme première mi-temps, après avoir battu Texas A&M sur un énorme tir de la gagne du freshman Tremont Waters.
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Pour sa première saison universitaire, le petit meneur est déjà le meilleur joueur des Tigers. Déjà comparé à Shabazz Napier, il réalise une saison impressionnante, avec des statistiques importantes (16,8 points ; 3,7 rebonds ; 6,1 passes) et une influence globale indéniable sur le jeu de son équipe.
En quelques mois seulement, Will Wade a redonné un élan positif au programme, visible déjà dans les résultats mais aussi dans le recruiting puisque LSU a déjà obtenu la signature de deux grosses recrues pour la saison prochaine avec l’intérieur 5 étoiles Naz Reid et le meneur 4 étoiles Javonte Smart, classé 32ème dans le Top 100 d’ESPN, et originaire de Bâton Rouge.
Mike Hopkins – Washington Huskies
Si Ben Simmons a été le premier « First pick » de la Draft NBA à ne pas avoir disputé la March Madness lors de son passage à la fac (on exclut donc les joueurs comme LeBron James qui sont arrivées directement depuis le lycée) depuis Michael Olowokandi en 1998, il n’aura cette fois pas fallu attendre 18 ans pour que cela se reproduise. En effet, son successeur et nouveau coéquipier Markelle Fultz a vécu le même sort, ne gagnant que 9 matchs sur l’ensemble de la saison avec Washington, et seulement 2 dans la conférence PAC-12.
Cette saison calamiteuse coutera son poste au head coach Lorenzo Romar, pourtant présent depuis quinze ans sur le campus. Romar était pourtant l’un des meilleurs recruteurs du pays, et les Huskies avaient, grâce à lui, et son assistant Michael Porter Sr, réussi à obtenir le commitment du numéro 1 de la « Class of 2017 », l’ailier Michael Porter Jr, fils de ce dernier.
En limogeant Lorenzo Romar et son staff, Washington a pris le risque de perdre sa recrue phare, et c’est d’ailleurs ce qui s’est finalement produit. Mais après une année de one-man-show de Markelle Fultz, le programme voulait prendre une autre direction, plutôt que de répéter ce genre de saison avec un autre one&done superstar.
Pour remplacer Romar, les Huskies firent un choix surprenant en embauchant Mike Hopkins. Surprenant surtout venant de ce dernier, car Hopkins, assistant de Jim Boeheim depuis plus de 20 ans, était annoncé comme le successeur du mythique coach de Syracuse, probablement pour 2018. Mais se rendant peut être compte que celui qui est le patron de Cuse depuis 1976 n’était pas encore prêt à lâcher les manettes, Hopkins va finalement changer de cap, et traverser les États-Unis, en quittant New York pour rejoindre Seattle, et devenir le nouveau head coach des Huskies.
Avant d’aborder les challenges techniques et tactiques, Hopkins s’est vu attribuer une mission essentielle dès son arrivée : former une équipe.
Car le départ de Lorenzo Romar était le signe d’un nouveau cycle pour le programme, mais il impliquait également un gros chamboulement dans le recrutement et potentiellement dans l’effectif de la saison précédente. Si le départ de Markelle Fultz pour la NBA était acquis, et celui de Michael Porter Jr vers Missouri semblant inéluctable, il fallait commencer par convaincre les joueurs déjà présents de ne pas quitter le navire. Hopkins parvint finalement à convaincre les cadres de son vestiaire, les extérieurs Matisse Thybulle et David Crisp mais aussi l’intérieur prometteur Noah Dickerson de rester à « U-Dub ». L’autre gros enjeu était de garder Jaylen Nowell, une recrue 4 étoiles qui s’était engagé avec Lorenzo Romar, mais qui pouvait aussi changer d’avis comme Porter Jr, et s’orienter vers une autre fac. Mais Nowell, un pur produit de Seattle, s’est finalement laissé séduire par le projet d’Hopkins, et la possibilité de jouer pour sa ville.
Une fois les hommes trouvés, la reconstruction peut prendre place. Sur le terrain, un joueur prend rapidement ses marques : le freshman Jaylen Nowell. Le parallèle avec Tremont Waters, le joueur de LSU, est vite trouvé. Les deux joueurs étonnent par leur leadership et leur influence sur le jeu de leur équipe, dès leur première saison. Si Washington perd rapidement deux rencontres, face à Providence et Virginia Tech, les Huskies remontent tout de suite la pente face aux rivaux locaux de Seattle University et lancent alors une série de cinq victoires de suite, avec comme point d’orgue la victoire face à Kansas au Sprint Center de Kansas City.
La confiance est retrouvée, la dynamique est positive, et les Huskies présentent aujourd’hui un bilan de 13 victoires pour 4 défaites, le même que des cadors de la PAC-12 comme Arizona et UCLA. Dans une conférence relativement ouverte, Washington se retrouve aujourd’hui avec une belle carte à jouer, et une réelle possibilité de retrouver la March Madness, pour la première fois depuis 2011, alors que le programme était il y a quelques mois dans le doute complet.
Chris Holtmann – Ohio State Buckeyes
Gene Smith, le directeur athlétique d’Ohio State, a du prendre une décision difficile au moment de limoger Thad Matta, le head coach de l’équipe de basket depuis 2004, qui avait emmené les Buckeyes au Final Four à deux reprises, en 2007 puis en 2012. Mais là aussi, il fallait donner un nouveau souffle au programme. Le lundi soir de l’annonce du départ de Matta, les rumeurs commençaient déjà à fleurir sur le nom de son futur remplaçant. Greg McDermott, le head coach de Creighton, a même du démentir lui même, via Twitter, et c’est finalement Chris Holtmann, le head coach de Butler, qui a pris le poste, l’un des plus prisés du pays dans un programme des plus prestigieux.
Holtmann sortait de trois belles saisons à Butler, là ou il avait succédé à Brad Stevens, le désormais head coach des Boston Celtics, qui avait mené les Bulldogs au match du titre en 2010 et 2011 (Brandon Miller est en réalité le successeur de Stevens, mais il n’a finalement dirigé l’équipe qu’un an, avant de partir pour des raisons médicales, et de laisser le poste à son assistant). Holtmann a su maintenir les standards d’excellence appliqués par Stevens, et il l’a fait dans la Big East, une conférence nouvelle pour le programme, bien plus relevée que l’Horizon League et même l’Atlantic-10, les deux conférences auxquelles le programme avait participé sous Stevens.
Quand il arrive à Colombus, il doit reprendre une équipe en difficulté, qui reste sur deux saisons sans March Madness et une médiocre 10ème place dans la conférence Big Ten. Quelques mois plus tard, les Buckeyes présentent un bilan de 14 succès pour 4 défaites (l’une d’elles face à Butler), avec notamment une victoire « signature » face à Michigan State il y a quelques jours, et avec la manière, 80 à 64. Les Spartans, alors classés #1 du ranking d’Associated Press, ont été dominés du début à la fin, avec un match de mammouth de l’ailier Keita Bates-Diop (32 points), le joueur qui symbolise ce renouveau des Buckeyes, lui qui avait raté l’essentiel de la saison dernière sur blessure, et qui joue désormais le meilleur basket de sa vie. Il est parfaitement suppléé par les arrières CJ Jackson et Jae’Sean Tate, les deux meilleurs passeurs de l’équipe, qui sont aussi deuxième et troisième marqueurs, avec de très bons pourcentages.
Dans l’ensemble, Holtmann dispose pourtant d’un groupe restreint, mais il implique la quasi intégralité de son effectif, avec 10 joueurs qui approchent ou dépassent les 10 minutes de moyenne par match.
En arrivant fin juin, à une période où les recrutements sont généralement bouclés, avec des freshmen qui ont déjà validé leur choix, et un marché des transferts en quasi rupture de stock, Holtmann savait qu’il n’aurait pas réellement le choix au moment de sélectionner ses hommes. Le contrat de huit ans qu’il a signé lui donnait néanmoins du temps, du temps pour reconstruire ce programme basket à bout de souffle dans une fac plutôt orientée football. Finalement, c’est une équipe des Buckeyes excitante comme on en avait plus vu depuis des années qui va pouvoir occuper les fans, une aubaine quand les casques et les ballons ovales viennent d’être rangés pour quelques mois avec la fin de la saison de College Football.
Par le travail de ces trois hommes vient encore une fois la confirmation que cette ligue appartient à ses coachs, et que l’accumulation de talent est profitable, mais pas autant que la rigueur insufflée à une équipe. LSU, Washington et Ohio State sont trois programmes prestigieux, mais qui devaient se reconstruire. Au lieu de ça, on risque de retrouver ces trois formations en mars, dans le tableau final du NCAA Tournament, un scénario sur lequel très peu auraient sûrement parié.
*L’arrière de Texas, Andrew Jones, s’est vu diagnostiquer une leucémie il y a quelques jours. Les Longhorns ont gagné pour lui face TCU en milieu de semaine, au court d’un match à rebondissements avec deux prolongations, et lui ont rendu hommage. Mais le problème va au delà du basket pour un jeune homme de 20 ans dont la vie est mise en danger par maladie. Nos pensées vont donc à Andrew Jones, à son équipe, et à sa famille, en espérant de tout coeur qu’il pourra vaincre la maladie et retrouver les terrains au plus vite.