558 millions de personnes. C’est le nombre de spectateurs devant le match de cricket entre l’Inde et le Sri Lanka en 2011. Un chiffre absolument phénoménal pour un sport qui n’est pas soutenu par le monde occidental et pratiqué à haut niveau uniquement dans une zone du monde. Mais le plus surprenant ne réside pas que là-dedans. Non. La vraie surprise c’est que l’essentiel des spectateurs se trouvaient en Inde, un pays pourtant peu enclin à se passionner pour le sport. Un état de fait qui désole forcément les ligues sportives les plus influentes au monde, à l’heure où conquérir de nouveaux marchés est encore le meilleur mode d’expansion à leur disposition.
Justement, l’expansion en Inde est en train de virer à l’obsession. Un pays qui affiche une population de 1,3 milliards, ça a de quoi faire tourner des têtes. Le rêve est de taille, les résultats potentiels semblent absolument illimités. Si la tâche n’a rien d’aisée, il est nécessaire de s’y atteler. Exploiter la ferveur en sommeil de ce pays aux coutumes uniques, c’est augmenter les chances d’étendre les revenus de vos championnats, mais aussi d’accroître la masse de talents qui pourra garnir vos rangs d’ici quelques générations.
Le problème, c’est que l’Inde ne s’est jamais vraiment passionné pour aucun sport de notre monde occidental. Les appels du pieds sont certains, mais la culture reste la culture. En Inde, on ne transige pas sur l’éducation, on a pas le temps pour se jeter à corps perdu dans des disciplines physiques. On vous parle d’une nation qui transférait son savoir en apprenant par cœur des ouvrages, qui voue un culte au cerveau et à la faculté de mémorisation de l’individu. En découle une inefficacité dans le monde du sport, et pour cause : c’est la seule puissance mondiale qui n’est pas également une puissance sportive. Son voisin chinois s’est imposé à toute allure comme un incontournable des compétitions internationales, alors que l’on attend encore le sursaut Indien.
Malheureusement, se lancer dans une carrière de sportif ferme des portes. D’abord, ce n’est pas encouragé par la culture, mais en plus il n’y a en plus de ça aucune structuration professionnelle pour acquérir ce statut. A moins de jouer au cricket ou au hockey sur gazon, vous faites fasse à un gouffre structurel, une absence d’infrastructure, de ligues professionnelles. En somme, envisager ce tournant, c’est choisir un gouffre financier, une voie sans issues.
Des opportunités pourtant réelles
Si le tableau dressé jusqu’ici n’est pas bien glorieux, il ne faut pour autant pas jeter l’éponge trop vite. L’Inde aime l’action, elle aime les figures iconiques, celles qu’on dresse en porte-drapeau, qui font lever des foules, dans lesquelles on peut s’identifier. L’Inde comme tant d’autres pays aime les figures exceptionnelles, qui inspirent. Par ailleurs, comme nombre de pays qui ont été colonisés par le monde européen, elle est réceptive aux cultures occidentales (musique, film) et peut sans soucis se retrouver dans certaines valeurs, certaines traditions que le sport peut véhiculer.
En outre, si l’éducation reste la source de soucis numéro un pour les parents, il ne faut pas perdre de vue que les plus pauvres, qui ne pourront pas accéder à une éducation, peuvent voir dans l’engouement sportif et d’éventuelles ligues professionnelles un moyen de s’en sortir.
Avec un marché encore complètement inexploité par les sports majeurs de notre planète, et comme précédemment évoqué, une classe moyenne massive qui commence enfin à voir le jour, il paraît encore impossible de se faire une idée de ce que cela pourrait générer comme revenus.
Les Grandes Ligues tentent leur chance
La FIFA, la NBA. Deux noms qui retentissent comme des mastodontes dans la culture occidentale ont décidé de prendre le problème à bras le corps. Avec cette classe moyenne, il y a de la place pour ces sports. En effet, elles ont toutes 2 un point commun : ils ne demandent pas beaucoup de moyens, et il est facile de construire des espaces à même de mettre en avant de potentiels talents. Ces 2 sports ont pris une ampleur majeure sur leurs continents car ils peuvent être joués n’importe quand, n’importe où. Il suffit d’un ballon et d’une cage, ou un panier.
Pour atteindre leur but, les 2 géants ont opté pour des stratégies différentes, voire diamétralement opposées. D’un côté, la FIFA a choisi d’exporter ses anciennes gloires et de capitaliser sur leurs capacités à faire rêver les foules. Tous les ans, pendant 10 semaines, des noms tels que Nicolas Anelka, David Trézeguet, Robert Pirès – pour ne citer que nos représentants – s’affrontent dans des joutes visant à faire rêver l’Inde. Si les capacités physiques ne sont plus là, la technique est au-rendez vous. Les entrepreneurs locaux sont prêts à investir dans cette ligue qui demande des moyens très élevés à mettre en place. Un risque que le FIFA accepte pour faire décoller le football.
La NBA a opté pour une stratégie plus complexe, ou du moins, qui pourrait s’avérer plus longue, mais ô combien plus efficace. Plutôt que d’exporter d’anciens techniciens de la balle orange et de les exposer dans un pays qui n’est pas initié à ce sport, la NBA a décidé d’envoyer un représentant de la Grande Ligue en Inde, pour faire un travail de prophétisation. En 2010, l’émissaire débarque pour trouver ce qui se fait de mieux dans le basket indien. Découvrir d’éventuelles ligues, académies, playgrounds qui pourraient habiter le futur du basket Indien. La stratégie est la même que par le passé. Tout comme Yao Ming a ouvert en grand les portes de la Chine, David Stern (encore commissionnaire à cette époque), espérait trouver son équivalent en Inde. A l’inverse de la FIFA qui compte sur le génie de ses anciennes gloires pour créer un engouement, la NBA mise sur la fierté nationale, la faculté qu’à un pays à se dresser à l’unisson devant le succès de l’un de ses représentants. En somme, plutôt que d’exporter la NBA en Inde, elle souhaite importer un joyau indien dans son rouage. Un choix qui peut prendre du temps, mais dont le succès semble très probable dans un pays au nationalisme exacerbé.
Le premiers prototype… Raté
Cinq années après le début d’un programme visant à promouvoir la NBA en Inde, Sim Bhullar devint en 2015 le premier indien a foulé un parquet NBA. Le géant de 2m26 pour 166kg était un phénomène physique hautement intrigant pour les franchises. Avec un physique pareil, il était important de déterminer ses qualités de basketeur, mais aussi la condition physique de ce dernier. Malheureusement, plusieurs problèmes sont à noter dès le début. Le joueur a beau se montrer dans les compétitions internationales, un problème existe : il le fait avec le Canada. En effet, en dépit de ses origines indiennes, il est avant tout né à Toronto, et n’a pas l’histoire d’un Yao Ming. En outre, il est trop lourd et n’est pas un pivot très mobile, ni très technique. Malgré un passage par la NCAA, le colosse passe à côté de la draft 2014, puisqu’aucune franchise ne se tourne vers lui. Finalement récupéré par les Sacramento Kings (l’équipe est détenue par des propriétaires indiens), il fera ses armes en D-League où, après un triple double dévastateur (26 pts, 17 rbds, 11ctrs), il obtient le droit de revenir avec les Kings, devenant le “premier indien” à fouler les parquets NBA : 16,1 secondes pour être exact.
Néanmoins, sa nationalité indienne galvaudée et son impact inexistant auront raison de lui.
Les vrais produits Indiens
Amjyot Singh est le fils de parents impliqués dans la vie sportive de leur pays. D’abord joueur de cricket, il se passionne pour le basketball et change de sport dans ses jeunes années. Doué, il est repéré par la Punjab Academy, située à Ludhiana. Il rejoint l’équipe nationale des – de 16 ans et s’impose rapidement comme un de ses meilleurs joueurs. La Punjab Academy s’est imposée comme une rare référence en Inde et 2 ans après son arrivée dans cette dernière, la NBA prend celle-ci sous son aile. Il ne faut cependant pas idéaliser l’endroit. Certes, il y a un parquet et des entraîneurs, mais le toit est percé de toute part, les oiseaux y ont élu domicile. Il fait très froid l’hiver, plus de 40° l’été et les jeunes n’ont pour la plupart pas d’équipements corrects, et certains jouent pieds nus. Amjyot y apprend cependant les bases, les fondamentaux du basketball. Il s’impose comme le capitaine de la formation de Punjab en tant que junior et les mène vers le titre en 2010. Il se fait remarquer également en 2012 en réitérant la performance.
En 2015, il devient le premier joueur indien à s’imposer dans une ligue professionnelle hors du pays en entrant dans le championnat japonais. L’année suivante, il rentre chez lui pour jouer comme semi-pro aux Delhi Capitals. Une escapade d’un an, avant de tenter sa chance vers la NBA. Plutôt que de se présenter à la draft, l’international indien de 25 ans, 2m03 se fait repérer par une équipe de D-League. Décidé à jouer toutes ses cartes, il évolue désormais chez les Oklahoma City Blue, affiliés au Thunder. Si ses chances paraissent minces, il s’est frayé un chemin vers le sport professionnel, une prouesse pour un basketteur indien.
Mais Amjyot n’est pas le grand espoir de la nation. Ou en tout cas celui pour qui le pays en a le plus nourri. En revanche, il a côtoyé cette lueur d’espoir au sein de la Punjab Academy. Déjà grand pour son âge, il va évoluer aux côtés d’un véritable colosse : Satnam Singh Bahmara.
A 10 ans, il mesure déjà 1m80. Poussé par sa famille, il se met au basket, puisque trop pauvre pour lui payer des études. Satnam est un produit brut, et s’impose rapidement comme un futur pivot en qui l’académie peut fonder des ambitions. Il frôle les 2m à 13ans et progresse très vite. Il va continuer à se développer une année supplémentaire, avant que IMG, entreprise impliquée dans le marketing sportif cherche à s’investir en Inde. Décidés à offrir des bourses pour amener certains talents aux US, ils vont bénéficier des conseils de Troy Justice, fameux émissaire de la NBA pour développer le marché Indien. Ils emmènent donc Satnam dans leurs valises, alors âgé de 14 ans et prêt à réaliser de grandes choses. Des années durant, ils vont faire suivre un programme à ce dernier : lui apprendre l’anglais, le renforcer physiquement, travailler sur ses fondamentaux, exploiter son potentiel, lui faire jouer des matchs. De 2010 à 2015, Satnam va travailler dur, développer un jeu poste bas, se développer en tant que pivot solide sous le panier. Des agents voient le premier joueur NBA venu d’Inde en lui – alors qu’il culmine à 2m18 pour 132kgs. Arrivé au termes de ces années d’enseignements, il entend continuer à progresser en jouant au niveau supérieur, en NCAA. Malheureusement, inéligible, il doit sauter le pas de la draft NBA. Problème : il n’a pas pu se montrer aux scouts NBA, puisque seul des programmes universitaires sont venus le voir jouer à IMG. Après quelques soirées, quelques workouts, il arrive avec une poignée contacts, et des intérêts de la part de plusieurs franchises, dont les Kings et les Mavericks.
Il le sait, il joue son avenir sur cette soirée de juin 2015. Alors que le 1er tour passe, les Kings ne semblent plus intéressés, la salle se vide, les chaînes télés quittent l’espace et la draft arrive à son terme. C’est alors qu’en 52ème position, la bande de Mark Cuban récupère le géant, avec en tête le potentiel financier qu’il représente. Satnam devient le premier joueur né en Inde à être drafté par une franchise NBA. Dallas le sait, elle qui s’est construite autour d’un des joyaux européen. Compte tenu du travail qu’il reste à produire autour du pivot de 20 ans, Rick Carlisle propose de l’envoyer en (désormais) G-League. Après 2 années, malheureusement, le grand espoir indien ne marque qu’1,6 pts de moyenne dans cette dernière. Nouvel échec pour le pays. Le basketball indien attend encore son étoile.
Une bataille pour les Franchises NBA
Lorsque l’on parle des franchises qui ont une place particulière dans le cœur des pays, on pense à la France, et aux Spurs, qui nous tiennent tant à cœur pour avoir drafté Tony Parker. L’Allemagne et les Mavericks pour Dirk Nowitzki, surtout, on pense à la Chine et aux Rockets pour Yao Ming. Drafter le géant Chinois a créé un engouement national. Alors que le joueur s’imposait comme un All-Star, puis, un Hall Of Famer en puissance, l’amour de l’Empire du milieu pour la franchise texane n’a pas plongé avec les années. Ce n’est pas une surprise de voir Houston sortir un maillot en sinogrammes, tant drafter le premier phénomène d’un pays peut créer une relation intime entre les fans du pays et l’équipe.
Or, tout comme la Chine, avec l’Inde, il s’agit d’un pays dont la population est équivalente à 1/6ème de la population mondiale, et dont l’impact pour la situation financière d’une franchise NBA pourrait être énorme. Obtenir le futur du basket indien pour un “petit marché NBA”, pourrait à terme complètement changer le statut de ce dernier. Alors que le pays va de plus en plus forcer son entrée en NBA, la bataille du scouting devrait s’intensifier. Un combat qui semble toutefois à ses balbutiements, face au manque de gros potentiel évoluant aujourd’hui en Inde. Du moins connus.
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Source principale : One in a billion – Reportage disponible sur Netflix.