Ce n’est pas une pratique habituelle ici, que de proposer une adaptation d’un article étranger. Mais en lisant ce billet de sbnation, je me suis dit que je me devais de proposer une version française. La contradiction que le titre évoque, est bien réelle et révèle sans aucun doute comme le sport et le cerveau humain peuvent être fascinants.
En effet, Smart shoote au moment où j’écris ces lignes à 32,2% dont 28,7% derrière la ligne des 3 points. Il apporte 9,2pts et 5,8asts par match, un scoring finalement important pour un joueur aussi peu prolifique lorsqu’il s’agit de mettre la balle dans le cercle. Pour placer le bonhomme, chez les joueurs qui tentent plus de 6 tirs par rencontre, seuls 2 sont pires ou au même niveau que le Celte : Lonzo Ball, et, Frank Ntilikina (qui prend un peu de marge sur Marcus, à l’heure actuelle).
Pourtant, plusieurs constats étonnent concernant le joueur. Tout d’abord, il ne semble pas avoir la consigne de moins dégainer, au contraire, et pour cause, il est le 2eme joueur avec l’impact offensif le plus élevé de l’équipe derrière Al Horford ! Le second constat est donc le suivant : l’attaque des Celtics plante 108,7pts pour 100 possessions avec Smart et ses briques, contre 100,7pts pour 100 possessions en son absence.
Oui, malgré son inefficacité au tir, il impacte très positivement le jeu de son équipe. 63% des paniers proviennent d’une passe en sa présence, contre 57% lorsqu’il est sur le banc. Le pourcentage au tir global de l’équipe augmente également de 2,7 points. Une drôle de statistique lorsqu’on prend en compte qu’il fait parti des 5 joueurs, et qu’il est le pire tireur du groupe. En somme, les Celtes jouent beaucoup mieux avec Smart aligné dans l’effectif. Comment cela peut être possible ?
Parce que, comme le dit bien Marc Prada, les défenses se chargent de lui comme le joueur que, son attitude et sa confiance laissent supposer qu’il est. Non, comme le misérable shooter qu’il est en réalité.
Une attitude de tireur d’élite
Est-ce là le résultat de ce qui émane de lui ? D’une stratégie d’équipe ? Ou juste d’une confiance à toute épreuve ? Seule son équipe doit pouvoir répondre, et refusera très certainement. Mais la vérité, c’est que Smart se comporte sur le terrain comme s’il était devenu un bon shooteur dans les standards NBA. En somme ? Il est dégaine à chaque fois qu’il est ouvert. Et si une mouche le pique, et il semble que ce soit fréquent, il prend même des tirs compliqués sur la tête d’un défenseur adverse. On parle d’un joueur qui prend presque 5 tirs à 3 points par match.
Et pas que, en effet, au lieu de se comporter comme un catch & shooter, Smart va plus loin. Déjà car il est un des plus gros créateurs offensif de l’équipe (3eme meilleur passeur de l’équipe), mais surtout, il n’hésite pas à prendre ses tirs en sortie de dribble. Un droit normalement donné aux plus belles gâchettes. Pourtant, il y a dans 55% des cas au moins un dribble avant qu’il prenne un tir.
Usage | Catch & Shoot | Pull Up | Inside 10 feet | TS% | |
Marcus Smart | 19 | 37.1 | 28.4 | 33 | 44.3 |
Otto Porter | 18.6 | 39.2 | 25.8 | 33.1 | 61.2 |
Dans le tableau ci-dessus, vous voyez la comparaison entre 2 shooteurs aux habitudes de tirs très semblables dans leur répartition. La seule différence, à la fin, c’est que Porter met dedans – pas Smart. Comme le souligne Marc Prada, cela devrait être un réel handicap pour son équipe. En toute logique. Mais ce sont les limites des statistiques, et le moment où le sport et le cerveau humain ouvrent la voie à des anomalies très intéressantes.
Pourquoi ?
Tout simplement parce que peu importe le match qu’il produit, Smart continue d’attaquer, et de garder exactement la même ligne de conduite : celle d’un joueur qui va marquer à tout moment. Alors forcément, lui s’en sort avec des pourcentages absolument affreux, mais ses adversaires eux continuent à mordre et libérer des espaces pour ses coéquipiers.
Mais ses adversaires… Le savent, non ?
La vraie question est là. Ses adversaires devraient le savoir, et donc ne pas mordre systématiquement à l’appât, non ? Avec la flopée d’analystes, d’assistants à même de faire ce genre de recherches, on ne devrait pas avoir d’aides lorsqu’il drive, ni de joueur qui saute sur une feinte à 3 pts ? Pourtant, lorsque vous regardez, bien souvent vous verrez des Celtes obtenir des tirs ouverts parce que les défenses sur-réagissent à la menace Smart. Que ce soit un joueur qui mord à une feinte et laisse ses coéquipiers défendre à 4 contre 5, ou simplement qui hésite une demi seconde de trop et laisse un vert se démarquer, les défenses gèrent mal l’excès de confiance du joueur.
Est-ce que la consigne n’est pas donnée de le laisser prendre des tirs ? Peut-être pas. En revanche, difficile à croire que les joueurs ne soient pas conscients de ses difficultés à marquer, et qu’il est donc préférable lorsque la défense est déséquilibrée, de laisser Smart prendre un tir ouvert plutôt que de venir couvrir – laissant un autre Celtics ouvert.
Comment expliquer ce phénomène ?
Dans son ouvrage Thinking Fast And Slow, Daniel Kahneman explique que notre cerveau fonctionne selon 2 systèmes.
Le premier (S1, nous l’appellerons), est complètement instinctif. C’est à dire que nous réalisons des actions, car un stimuli externe va indépendamment de notre volonté susciter une réaction, que le plus souvent, nous faisons de manière inconsciente.
Le second (S2), est notre réflexion plus profonde. Lorsque S2 prend le dessus, nous entrons dans des actions qui prennent plus de temps à se former, car elles sont le fruit d’analyses, de calculs, d’une éducation que nous lui avons imposé. Cette forme de réflexion est un singularité humaine, présente finalement pour corriger, limiter notre instinct. Le problème, c’est qu’elle est souvent beaucoup plus lente, et ne prend pas toujours le dessus en raison de cette lenteur.
Selon Daniel Kahneman, lorsqu’une situation complexe se présente, il arrive régulièrement que S1, prenne le dessus sur le S2. Non pas que ce soit le fonctionnement qui devrait être, mais la lenteur de mise en place de S2 donne à l’initiative à notre instinct. Ainsi, S1, au lieu de laisser S2 répondre à la question complexe que notre cerveau devrait traiter, préfère lui couper la priorité en la remplaçant par une plus simple.
Dans notre cas, cela pourrait se présenter ainsi. Au lieu que S2 puisse répondre à la question “Est-ce stratégique de limiter Smart, quitte à laisser Tatum ouvert ?” – S1 prend le dessus en posant la question suivante “Est-ce qu’il est en position de marquer ?”. Dans le jeu, cela se traduit soit par un joueur qui oublie complètement son mode de réflexion complexe et sort sur une feinte de tir – soit par un joueur qui va commencer à monter sur Smart, avant que son cerveau (parfois trop tard), lui rappelle que le laisser tirer ouvert est finalement un moindre mal.
Ce phénomène de substitution est ainsi récurrent dans le basket, puisque les joueurs sont amenés à prendre des décisions qui se passent sur un temps très faible, le cerveau va souvent laisser S1 prendre le dessus. On pourrait critiquer ce phénomène, mais pour vous donner un ordre d’idée, un shoot de Stephen Curry part en 3 dixièmes de secondes. Smart, n’est peut-être pas conscient du phénomène qui s’opère, mais ce qu’il voit, c’est que par sa confiance, il leurre son monde. Surtout, il est bien conscient que son hyper-activité créé des espaces pour ses coéquipiers. Dans une NBA qui fait la part belle au shooteur, arriver à créer presque 6 passes décisives par rencontre en étant dénué de talent d’artilleur est une sacrée prouesse.
Finalement, à sa manière, il donne une leçon de basket. Il vaut parfois mieux faire croire que l’on ne possède pas certaines limites, plutôt que d’accepter de les avoir. Cela ne marchera pas toujours, mais dans certains cas… Voyez vous-même. Smart reçoit les attentions réservées à certaines stars offensivement : prise à 2 sur pick & roll, montée de défenseur pour éviter un éventuel pull-up en transition (oui, oui), extérieurs qui viennent en aide sur ses drives. Bref, Smart leurre son monde.
Quand les stats ne suffisent plus
Aucun sport, aucune ligue au monde ne s’appuie plus sur les mathématiques que la NBA. Souvent, elles sont devenues un modèle de compréhension pour ce qui nous entourait. Pour comprendre la santé d’une équipe, pour comprendre l’impact d’un joueur, pour déterminer de l’efficacité d’un système de jeu. Les statistiques ont envahies la NBA, et on ne va pas s’en plaindre puisque cela nous donne plus d’armes pour parler de notre sport. Pourtant, il est important de signaler qu’un sport restera toujours imprévisible, qu’il créera toujours des anomalies, et ça non plus, on ne va pas se priver de le louer.
Une discipline qui défi les lois mathématiques, c’est encore la preuve qu’il peut créer de l’imprévu, et c’est une très bonne nouvelle pour nous. Smart qui augmente la production d’une équipe en étant complètement imprécis au tir, c’est la preuve qu’on peut mettre à mal une science, simplement en mettant 10 joueurs sur un parquet. Et cela nous promet d’autres nuits agitées devant nos écrans, notre S2 bien éveillé (enfin, plus ou moins), hurlant sur des joueurs qui font des choix contraires à la logique. Oui, l’instinct prime encore en NBA.