Il a suffit d’une annonce pour que l’onde de choc retentisse. Plusieurs relais nous annonçaient que Derrick Rose se mettait en retrait du groupe des Cavaliers pour réfléchir à sa carrière. Cela ne tardait pas à accoucher d’un séisme, sur la planète NBA. Si cela a fait tant de remue ménage, c’est que soudainement, nous avons réalisé. Nous avons réalisé que Derrick Rose, était passé sur la NBA, et que peu importe sa décision, une comète venait de disparaître. Comprendre cela, c’est regarder un peu amer, un gâchis, mais surtout, c’est se dire que nous n’avons pas su faire ce qu’il fallait, en la voyant passer. On aurait aimé faire un geste simple vis-à-vis de cette carrière, comme je sais pas : un vœux – parce qu’on est bien conscients que quelle que soit sa décision, on a déjà vu le meilleur, qu’il pourrait s’arrêter ou continuer, quoi qu’il en soit, nous ne reverrons jamais le jeune joueur spectaculaire, dont les exploits impriment dans les rétines, repassent en boucle. Cela fait des années, désormais qu’on continue à voir Rose sur les parquets, qu’on continue à espérer, le temps d’un flash le retrouver – sauf qu’au fond, on le sait qu’à la manière d’une étoile, le joueur qui évolue sous nos yeux n’est plus que le reflet d’une vie passée. Lorsqu’on a compris, il y a quelques jours, que Derrick Rose pourrait bien prendre sa retraite, on aurait bien aimer revenir dans le passé, pour profiter du spectacle en sachant que ça ne durerait pas longtemps, ou mieux, le faire ce vœux, tous ensemble, et demander que cela dure longtemps, ou au moins avoir un sursis.
Si vous lisez cet article, vous êtes peut être comme moi. Peut-être que vous aussi, vous vous êtes intéressés au basket et à la NBA au début de la décennie, et vous aussi, alors que vous tentiez de tout savoir sur ce sport et cette ligue, vous avez eu un coup de foudre pour Derrick Rose. Vous ne le saviez pas encore, parce que contrairement à d’autres vous ne réalisiez pas qu’un meneur comme ça, c’était un prototype d’une rareté incroyable dans l’histoire de la NBA. En revanche, ce que vous saviez, c’est que si vous alliez vous mettre devant un match, vous vouliez voir les Chicago Bulls, parce que vous pourriez voir une action folle : un changement de vitesse, un drive, un lay-up acrobatique – ou peut être un dunk totalement irréel de verticalité en contre-attaque, en prime si vous aviez vraiment de la chance. Et une fois le match fini, que vous ayez eu cette action ou pas, vous alliez vous rendre sur YouTube pour regarder d’autres vidéos du phénomène. Il avait fait les choses bien en plus, le jeune de Chicago qui débarquait dans la franchise de Michael Jordan et qui rallumait soudainement la flamme de toute une ville. Un nouveau monstre évoluait au United Center, et on l’a su dès son année rookie.
En NCAA, D-Rose s’affirme comme un futur grand, et c’est sans surprise qu’il arrive à la draft avec le potentiel de #1. Les Bulls sont alors détenteurs du premier choix, et ils hésitent entre 2 noms pour reconstruire la franchise : Michaël Beasley et Derrick Rose. Au cours des workouts, les deux talents apparaissent comme phénoménaux, et les recruteurs sont incapables de faire un choix. Les dirigeants se mettent d’accord, pour remettre une franchise moribonde sur le devant de la scène, il faut un gagnant, finalement, ils décident de faire leur choix autour d’une question, pour les différencier. Tour à tour, les 2 jeunes prospects, doivent répondre à cette interrogation : “qu’est-ce qui vous a le plus agacé en NCAA ?”
Beasley, opte pour l’arbitrage, répondant que les décisions lui semblaient trop souvent douteuses lors des rencontres à l’extérieur. Rose, voit les choses autrement, ce qui l’a marqué le plus négativement en NCAA tient en 1 mot : “perdre”. Il n’avait pourtant perdu que 2 matchs en 40 rencontres. Les recruteurs se regardent avec une connivence certaine, ils viennent de faire leur choix. Il portera le numéro 1, et va s’attirer l’admiration de la sphère NBA très, très vite. En 2008, le meneur fait ses premiers pas sur les parquets, et tout le monde va découvrir un athlète hors norme, un meneur sans peur prêt à partir à l’assaut des raquettes. Ses crossovers en font chuter plus d’un, André Miller l’apprendra à ses dépends alors que ses fesses allaient percuter le sol. Véritable phénomène physique, gracieux, Rose a en plus le mental : il ne rate pas sa première saison, emporte le trophée du meilleur débutant, enregistrant 16,8pts, 3,9rbds, 6,3asts. Mieux, preuve de la fiabilité du jeune joueur, son équipe accroche une place en Playoffs et peut afficher de belles ambitions. Pour se tester en Playoffs, il tombe sur Rajon Rondo et des Celtics prétendants au titre. Dans ce premier tour, Derrick va multiplier les actions de grandes classe, pénétration, et achever un premier chef d’œuvre en post-saison : 36pts, 11asts dans un match 1 tonitruant, où les Bulls vont prendre l’avantage du terrain en prolongation. Non contents d’infliger une défaite dès l’entame, Rose avec quasiment 20pts/6,5asts va porter les siens jusqu’au game 7 avant de chuter.
Dès l’année suivante, le jeune prodige passe la seconde, il met tout le monde d’accord, il est loin d’avoir atteint son plafond, mais il émerveille la ligue. Rose devient un des joueurs les plus populaires au monde, les maillots au numéro 1 se vendent partout, même en France, c’est dire ! Grand favori du public, il fait son 1er All-Star Game, surtout, il réalise une des actions les plus marquantes de sa carrière en contre-attaque. Lancé, Dragic tente de le stopper, grave erreur : Rose va trop haut, trop longtemps, et réalise le poster le plus impressionnant de sa période de grâce.
En Playoffs, les Bulls qui n’ont pas encore franchi un cap collectif, tombent sur les Cavaliers de LeBron James. Malgré un Derrick Rose qui passe un nouveau palier individuel (26,8pts, 7,2asts), il ne peut stopper le train du King et tombe 4-1.
Toutefois, le niveau de Rose en Playoffs ouvre la voie vers le sommet de sa carrière, oui, dès sa troisième saison. Quand certains joueurs s’élèvent et deviennent des solides joueurs NBA, lui va toucher aux statistiques de sa dernière post-saison sur tout un exercice. Premier triple double, record en carrière au scoring avec 42 unités, mais aussi à la passe avec 17, tout semble réussir au joueur. Surtout que, si tout le monde progresse dans l’équipe, son explosion statistique se remarque aussi sur le bilan général, puisque les Bulls gagnent 21 matchs de plus pour atteindre les 62 victoires. Cela fait depuis Michael Jordan que les Bulls n’ont pas été aussi forts, et alors que Chicago s’élève comme le principal rival du Heat de LeBron James, D-Rose devient le plus jeunes MVP de l’histoire de la grande ligue à seulement 22 ans et 6 mois ! En Playoffs, Rose confirme son excellente saison en tombant tour à tour les Pacers et les Hawks. Son équipe bute une fois de plus sur LeBron James, mais on sent que l’avenir appartient à ses Bulls, dont la défense militaire et la combattivité font trembler la NBA.
L’été arrive, la NBA est frappée par un lock-out et est finalement abrégée à 66 rencontres. Tout l’été, les interrogations vont bon train : à quoi va ressembler le D-Rose post-MVP ? Il va se lancer à l’assaut des 30 unités ? Se stabiliser ? Dès le retour, il prend son monde à contre-pied : le nouveau Rose est tout simplement plus altruiste, et les Bulls déroulent malgré un leader régulièrement gêné par des petits pépins au dos – mais peu importe, les Bulls sont désormais une équipe qu’on attend en Playoffs, et l’important est que le meneur soit prêt à s’attaquer au Heat, alors qu’il est déjà l’avenir, avec un contrat de 5 ans, et une règle NBA créée spécialement pour lui. Au premier tour, les Bulls doivent s’échauffer contre les Sixers d’Iguodala. Mais dès le premier match, la série va prendre un tournant inattendu, sur un saut, Rose s’écroule, terrassé en plein vol. Il se tient les jambes et doit être porté hors du terrain, pas besoin d’attendre les résultats des médecins, on sent tous que les ligaments du prodige ont lâché. La NBA vit la nouvelle comme un choc, un nuage terrible s’abat sur ce premier tour de Playoffs, où tous les fans se répètent les mêmes questions, tentent de se rassurer.
Vous l’avez vécu aussi, sûrement, hein ? Ces spéculations : “il est jeune, il va s’en remettre, non ?”. Jamais une blessure n’avait tant tracassé les réseaux sociaux, jamais nous n’avions tant passer de temps à débattre d’opérations, de récupération, de retour. Cette année blanche sans Rose est une torture pour les fans, et les 12 mois d’attentes n’épanchent pas la fièvre qui nous enflamme, jusqu’à ce qu’il reprenne l’entraînement, jusqu’à ce que les nouvelles tombent. Adidas fait de son come-back une mini-série : l’idée est farfelue, mais nous sommes prêts à tout pour voir Rose, et donc nous consommons un spectacle un brin malsain. Puis finalement, les premières images arrivent, il est sur un terrain, accompagné d’une fameuse nouvelle qui nous a soudain tous donné du baume au cœur, il a gagné en détente ! On est un peu choqué, voire dubitatif, mais aussi et surtout admiratif : on le savait qu’il le ferait, qu’il y arriverait ! Et puis même si c’est de l’intox, on en est certain, il s’adaptera à ses problèmes. Jusqu’à cet automne 2013 où il nous revient.
On était fébriles, hein, pour ce premier match ? En présaison, alors qu’il nous apprend cette fameuse prise de verticalité, Rose rassure. Les débuts sont lents mais il finit la période de chauffe à plus de 20pts : il est de retour ! En saison, après une nouvelle défaite contre James et ses troupes, il nous rappelle ô combien il est clutch, ô combien il ne craint pas les moments chauds : en arrachant la victoire sur un floater face aux Knicks. Mais les choses se gâtent vite : Rose galère avec son tir, perd trop de ballon, il est clair qu’il va moins vite. On se rassure toujours, mais on sent qu’il n’a pas le même jus qu’avant. Pas grave, ça reviendra, hein ? Pas le temps. Moins d’un mois après le début de saison, nouveau pépin : Rose doit être opéré, le ménisque a lâché. Nous on s’insurge : quelle idée d’avoir gagné en détente ?! Avec un genou fragile mais quels cons de l’avoir fait travailler comme ça !” (on se sent tous des âmes de médecins, de kinésithérapeutes pour lutter contre cette injustice). Encore tout jeune, on le comprend tranquillement, il ne reviendra peut-être jamais à son niveau. La suite va nous donner raison, entre rechutes et malchance : port du masque après un mauvais coup au visage, entorses, genoux douloureux, problèmes de dos, et entorse, et blessures, et blessures… et blessures… La suite de sa carrière vire au sombre, malgré un buzzer beater fracassant face aux Cavaliers de LeBron James en Playoffs, les moments de félicité deviennent rarissime pour Rose, envolés avec sa verticalité, partis trop tôt en même temps que sa célérité.
Alors que les années passent, on espère un nouveau-lui, plus gestionnaire, meilleur shooter, épargné, mais Jimmy Butler s’impose à Chicago, bien qu’entravé par le fantôme de la grandeur de Rose. Les dirigeants s’en rendent compte, le nouveau Rose n’arrive pas à évoluer, hanté par son ancien lui, à l’instar de l’équipe qui continue d’attendre. Finalement, le relais est donné à Jimmy, tandis que Rose s’en va vers une nouvelle ère ratée à New-York, puis part cet été à Cleveland pour se retrouver. Une blessure, plus tard, nous arrivons à aujourd’hui. Une impression bizarre, un goût amer. Le déclin de Rose à postériori est un paradoxe, on se retrouve à se dire qu’on a presque rien vu de lui, qu’on a encore le temps, puis on réalise qu’il a déjà presque 30 ans. Dans le même temps, on se dit que c’est trop tôt, que ça ne peut être la fin, tout en sachant qu’on a vu le meilleur et que tout ce qu’il fera maintenant sera fade, que la lueur de l’étoile commence à perdre de son brillant. Oui, Rose nous a poussé à une prise de conscience, il nous a donné à repenser au goût d’inachevé qu’il doit ressentir, à l’usure psychologique et physique dans laquelle il semble se retirer – nous portant à crier tout bas qu’il doit revenir pour un dernier chapitre, mais aussi à dire plus haut qu’il faut être honnête : cela paraîtra toujours insipide. Alors vas-y Derrick, fais ton choix en toute sérénité, tu ne seras plus jamais ce que tu as été, mais on ne te retirera jamais l’icône que tu fus, ni ce que tu aurais du être. Cette fois, le choix est entièrement tien.