Il faut en moyenne une vingtaine de matchs pour distinguer le véritable niveau d’une équipe. Un constat qui rend les analyses du mois d’octobre toujours compliquées mais pas forcément inintéressantes. Comme chaque saison certaines équipes sont en place plus rapidement que d’autres. À l’heure où j’écris ces lignes Golden State a du mal à se remettre de sa gueule de poids post titre, Cleveland reste sur 4 défaites en 5 matchs malgré un calendrier très abordable et San Antonio reste sur 3 défaites consécutives. Le point commun entre les Spurs et les Cavs ?
Les deux équipes ont subi les foudres de l’une des équipes surprises de ce début de saison : le Magic d’Orlando.
Après 7 matchs (premier rappel d’une longue série : SEULEMENT 7 matchs) la puissance offensive du Magic rivalise avec celle des Warriors. Orlando est passé d’une équipe qui enchainait les purges années après années à l’une des équipes les plus excitantes de la ligue. Merci qui ? Merci Larry Bird !
Frank Vogel : l’erreur fatale de Larry Legend
« Old school » c’est l’expression qui qualifiait le mieux Frank Vogel, une expression à connotation souvent péjorative dans une ligue qui n’est pas réputée pour la qualité de son coaching et où les entraineurs passent plus de temps à copier les systèmes phares des autres équipes plutôt que de mettre en place leur propre animation offensive.
Désolé, je m’égare.
Vogel fit ses armes en tant qu’assistant à Boston puis à Indiana où il pris la succession de Jim O’Brien pendant la saison 2010-2011. S’ensuivirent 5 saisons à la tête des Pacers marquées par une belle évolution collective qui restera insuffisante pour réussir à vaincre le dernier obstacle de la conférence Est : LeBron James (dans sa version Three Amigos). Sous ses ordres Indiana s’est (ré)installée comme une place forte de la NBA. La finesse de Danny Granger et de Paul George faisaient écho au défi physique imposé par la paire David West Roy Hibbert. En quelques années Vogel s’était fait un nom parmi les spécialistes défensifs. Pas mal pour une première expérience en tant que Head Coach.
L’été 2015 symbolise les premières fractures publiques dans la relation entre Larry Bird (alors président des opérations basket de la franchise) et son coach. Plutôt discret Bird multiplie les sorties en réclamant un jeu plus rapide, plus offensif. En somme que la franchise d’Indianapolis montre un nouveau visage plus attrayant. Il souhaite voir Paul George, sa superstar, utiliser à l’intérieur dans un cinq de petite taille (chose que George refusera toute la saison, poussant son coach à utiliser CJ Miles et Solomon Hill dans ce rôle).
Vogel s’exécute. La draft de Myles Turner lui permet de mettre en avant le jeu au large, la polyvalence de Hill et de Myles lui permet de jouer avec 4 shooteurs sur le terrain et malgré un effectif limité les Pacers arrachent les playoffs avant de pousser les Raptors (56 victoires cette saison là) à une série en 7 matchs.
Décevant ? Possible vu le déroulement de la série. Il est probable que Larry Bird estimait le niveau du roster supérieur à sa production ou peut être que sa relation avec Frank Vogel avait atteint un point de non retour. Dans tous les cas la légende des Celtics décida de ne pas renouveler le contrat de son coach. Une décision contestée par ses pairs, alors que Vogel venait de prouver qu’il était capable de s’adapter à la vision de son président, et par le reste du microcosme NBA très critique sur le choix de son successeur, Nate MacMillan.
Car c’est aussi cela la NBA : un cycle de « tacticiens » très fermé dont les mêmes noms réapparaissent à chaque fois qu’un poste se libère (ajouter ici le lien avec le manque de créativité …).
17 mois plus tard Larry Bird a démissionné de son poste de président. Le premier move de son successeur Kevin Pritchard fut l’échange de Paul George pour une contrepartie incroyablement décevante et les Pacers ont commencé une reconstruction avec un coach très moyen à leur tête. Et Frank Vogel dans tout ça ? Après une année en Floride à prendre la mesure de son nouveau job le Magic a enfin réussi à virer Rob Hennigan et apparaît comme l’une des équipes les plus excitantes de la NBA.
Une première saison ratée mais nécessaire
Les coachs talentueux ne restent jamais longtemps au chômage et le départ surprise de Scott Skiles donna rapidement l’opportunité à Vogel de retrouver un banc de touche. Néanmoins Rob Hennigan se troua pendant l’intersaison (sa dernière) et plusieurs problèmes vinrent heurter la vision de Vogel pour sa nouvelle équipe.
Tout d’abord le roster était déséquilibré. En faisant venir Serge Ibaka puis en signant à Bismack Biyombo un contrat en or massif tout en ajoutant Jeff Green sans se séparer d’un seul intérieur Vogel se retrouvait avec un embouteillage sur les mêmes postes.
La conséquence première fut d’avoir à jouer avec 2 postes 5 sur le terrain (à ce stade de sa carrière Ibaka est plus à l’aise en 5) en même temps et par conséquent d’avoir à faire jouer Aaron Gordon à un poste 3 qui maximalise ses faiblesses et réduit ses forces. Le même problème fut observé avec Jeff Green même si l’impact fut limité par l’absence de force dans le jeu de ce dernier …
Le manque de spacing et de polyvalence combiné à un manque de mobilité eut raison des (rares) espoirs de la franchise floridienne. Alors que leur saison était déjà terminée Orlando décida d’envoyer Serge Ibaka à Toronto en échange de l’ailier Terrence Ross.
Ayant déjà débuté en coulisse cet échange allait marquer le véritable début de la révolution du Magic.
Ce n’est pas le niveau de Ross qui allait faire la différence mais bien son profil. Cet échange permit à Vogel de repositionner Gordon à son poste naturel et d’abandonner le rythme si lent qui avait caractérisé le début de saison du Magic (19ème rythme avant le ASG, 10ème après).
L’intersaison du Magic commença par l’assainissement du front office : exit Rob Hennigan dont le bilan fut catastrophique et bienvenue au duo de vétérans Weltman-Hammond.
Le reste de l’été fut calme : les nouveaux dirigeants renouvelèrent leur confiance en leur meneur Elfrid Payton en préférant Jonathan Isaac à Dennis Smith Jr lors de la draft avant d’enchainer les bons coups (Shelvin Mack, Aaron Afflalo et Mareese Speights signés au minimum). La seule signature d’envergure fut celle de Jonathon Simmons à un contrat très raisonnable (20M$ sur 3 ans) malgré une demande conséquente.
C’est un Frank Vogel new look qui se présente au training camp du Magic en septembre dernier mais si sa barbe lui donne un sacré coup de vieux sa philosophie de jeu n’a jamais semblé aussi moderne.
Une équipe en chaleur
Au delà des problèmes que peuvent avoir les Cavaliers ou les Spurs voir le Magic mener de 37 points contre les derniers finalistes et de 36 points contre les texans eut un effet similaire à celui de recevoir une droite en pleine poire.
Comment expliquer le début de saison tonitruant du Magic ?
Disons que Magic illustre à merveille pourquoi le basket est avant tout un sport d’adresse.
Évolution de l’adresse à 3 points du Magic* |
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3P% en 2016/2017 |
3P% en 2017-2018 |
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Aaron Gordon |
28,8 % |
59 % |
Evan Fournier |
35,6 % |
55,6 % |
Nikola Vucevic |
30,7 % |
40,6 % |
Terrence Ross |
36,3 % |
24,1 % |
Jonathon Simmons |
29,4 % |
50 % |
D.J Augustin |
34,7 % |
38,9 % |
Shelvin Mack |
30,8 % |
37,5 % |
Mario Hezonja |
29,9 % |
62,5 % |
Marreese Speights |
37,2 % |
47,4 % |
*J’ai volontairement exclu Elfrid Payton qui n’a joué qu’un seul match, Bismack Byombo pour des raisons évidentes, Aaron Afflalo qui n’est plus dans la rotation et le rookie Jonathan Isaac qui découvre la distance NBA.
**Statistiques prises sur http://stats.nba.com
Après 2 semaines de compétition le Magic est tout simplement l’équipe la plus adroite derrière l’arc (44,1%) devançant les bandes de pistolero que sont les Blazers et les Warriors (42,1% pour Portland et 40,1% pour Golden State). Cette adresse se répercute sur l’efficacité offensive du Magic qui possède la deuxième meilleure attaque de toute la ligue en scorant 110,9 points/100 possessions avec une adresse remarquable (2ème meilleur EFG% et TS%, statistiques ajustées par rapport à la valeur du shoot à 3 points et de la prise en compte de l’adresse aux lancers francs).
La révolution du Magic : entre Spacing, Mobilité et Polyvalence
Encore une fois il ne faut pas oublier que l’échantillon n’est que de 7 matchs mais le jeu produit par le Magic n’a rien à voir avec celui de l’an passé. La progression interne de ses deux meilleurs joueurs y est pour beaucoup.
Nikola Vucevic connaît une évolution similaire à celle de Marc Gasol l’an passé. Comme l’espagnol le monténégrin a toujours disposé dans son arsenal d’un shoot à 5-6 mètres fiable, il a simplement pris conscience qu’il aiderait encore plus son équipe si il était disposé à reculer jusqu’à la ligne à 3 points. Sans même parler d’adresse un volume élevé serait suffisant pour obliger les défenses à sortir sur lui mais l’intérieur n’a pas fait les choses à moitié puisqu’il mitraille à plus de 40% à 3 points sur ce début de saison.
Dans le même genre Aaron Gordon confirme les progrès de son tir extérieur entrevus l’an passé. Plus relâché dans sa mécanique de shoot, Gordon joue en pleine confiance à l’image de son incroyable 59% derrière l’arc. Surtout la volonté de lancer le jeu rapide dès le rebond défensif prôné par Vogel lui permet d’avoir une dimension de créateur qui en temps normal lui est impossible.
Avec ces deux joueurs qui s’écartent jusqu’à la ligne à 3 points c’est tout le jeu du Magic qui respire.
Les défenses sont plus étirées donc l’animation offensive dispose de plus d’espace pour évoluer. Le spacing délirant du Magic permet d’augmenter considérablement le chemin que doit faire l’aide défensive. Rendez-vous compte il y a quelques mois les adversaires du Magic pouvaient avoir 2 ou 3 joueurs en aide à tout moment à cause du déséquilibre de l’effectif, aujourd’hui le Magic débute la majorité de ses sets (système) en 5-out soit 5 joueurs à l’extérieur, au lieu d’avoir 3 mètres à faire les rotations défensives ont une distance presque doublée à parcourir.
C’est l’avantage de ne pas avoir un des pires shooteurs sur les lignes arrières sur le terrain (Elfrid Payton, blessé aux ischio-jambiers n’a joué qu’un seul match) et surtout d’avoir des intérieurs capables de sanctionner les défenses comme Vucevic et Speights.
Lorsque Vucevic joue le Magic dispose de 5 joueurs capables de porter le ballon et dans le pire des cas (lire Byombo) Orlando a toujours au minimum 4 joueurs capables de démarrer le jeu en transition ce qui est un atout considérable. Vogel souhaite voir ses joueurs exploiter toutes les opportunités de jeu rapide et cela fonctionne : le Magic joue le jeu rapide dans 15,8% des cas tout en ayant un excellent 61 EFG%. Aaron Gordon et Evan Fournier profitent à merveille des duels avantageux dûs au crossmatching (mismatchs créés sur la transition lorsque les joueurs défendent sur l’le plus proche et non « leur » joueur) tandis que Vucevic est un des trailer les plus efficaces.
L’autre grand gagnant de ce choix tactique se nomme Jonathon Simmons qui est une véritable terreur sur le jeu rapide (1,67 points par possession avec un EFG de 77,8% !!).
Jouer avec deux intérieurs de métiers ne garantit en rien d’avoir une meilleure défense. La taille n’est pas obsolète mais si une équipe doit choisir entre celle-ci et la mobilité ou la polyvalence elle choisira ces dernières.
En encaissant 100,4 pts/100 possessions Orlando dispose de la 9ème meilleure défense de la ligue mais cette marque aurait devancé la meilleure défense de l’an passé (les Spurs ont fini avec une évaluation défensive de 100,9) … bref le Magic est au point des deux côtés du terrain ce qui lui permet d’avoir le meilleur net rating de la ligue (+10,5, à égalité avec GSW).
Le fait d’avoir considérablement renforcé la rotation à l’aile est une des raisons principales de cette amélioration : entre Ross, Gordon, Simmons, Fournier et Isaac Vogel dispose de joueurs très athlétiques capables de changer sur les écrans et d’avoir une pression défensive étouffante (en 6 minutes le 5 Mack-Ross-Simmons-Isaac-Byombo a démonté ce qui restait des Spurs).
Cependant si le résultat est concluant la méthode l’est beaucoup moins … En regardant les statistiques présentes sur le site cleaningtheglass.com on s’aperçoit que le Magic a énormément de mal à protéger son cercle et à contester les shoots pris dans la raquette (27ème équipe en terme de % autorisé près du cercle).
Le retour d’Elfrid Payton aura certes des conséquences négatives sur le spacing de son équipe (même si son shoot est un problème moindre lorsque c’est le seul mauvais shooteur sur le terrain) mais il reste un bien meilleur défenseur que DJ Augustin ce qui devrait permettre à Vogel de construire une bonne défense. En l’état les titulaires floridiens possèdent le meilleur net rafting de toute la NBA (+17,1).
En somme le Magic défend fort, joue rapidement (3ème en nombre de possessions derrière Phoenix et Brooklyn) et shoote excellemment bien. Une recette idéale.
****
Orlando surfe sur l’euphorie d’une adresse incroyable cependant les fondations posées par Frank Vogel devraient permettre à la franchise floridienne de regarder la suite avec optimisme. L’adresse va baisser, c’est une certitude. La réussite extérieure de leurs adversaires (seulement 28% à 3 points) va quand à elle augmenter. Ceci étant dit l’animation offensive du Magic n’a jamais été aussi bonne et les floridiens peuvent compter sur un excellent coach défensif pour remédier aux problèmes défensifs qui perdurent.
Cependant la nouvelle direction va devoir répondre à certaines questions notamment sur le degré de confiance qu’elle a dans le développement individuel d’Elfrid Payton qui a certes progressé depuis son arrivée dans la ligue mais le début de saison a montré qu’il n’avait rien d’indispensable. Les dirigeants essaieront-ils de le transférer cet hiver en profitant de la valeur qu’un meneur dans son contrat rookie peut avoir ? Mario Hezonja voit enfin son shoot extérieur rentrer mais il n’a jamais justifié son statut de 5ème choix de la draft 2015. Le Magic vient de décliner son option pour la saison 2018-2019 ce qui le pousse à devenir free agent dès l’été prochain. Vogel va t-il le sortir totalement de la rotation ou va t-il tenter une dernière fois d’en tirer quelque chose ? Quel temps de jeu pour Bismack Byombo ? Le temps de jeu de l’intérieur congolais est en chute libre et Vogel pourrait jongler entre la mobilité d’Isaac, le shoot extérieur de Speights et les missions défensives de Byombo. Quoi qu’il en soit son contrat risque de poser problème dès l’été prochain …
Comme l’échantillon est mince on ne sait pas comment le Magic va réagir lorsque la chance va tourner (chute de leur adresse extérieure et réussite plus importante de leurs adversaires) ou même à des changements plus immédiats comme le retour d’Elfird Payton. Jonathon Simmons qui joue si libéré en sortie de banc verra t-il son impact diminuer si il doit partager la création avec DJ Augustin ? Bref le début de saison du Magic n’a pas d’effet miracle sur l’état de la franchise mais les raisons qui poussent à l’optimisme sont bien plus nombreuses qu’il y a quelques semaines. Et après 7 matchs, difficile de rêver mieux.