La saison 2016-2017 devait être celle de la confirmation pour une équipe des Pistons qui venait de retrouver les playoffs pour la première fois depuis 2009. Les promesses entrevues lors de la fin de saison et la série face aux Cavaliers étaient encore dans toutes les têtes des fans lorsque la première tuile tomba : Reggie Jackson allait rater le début de la saison.
L’optimisme, ce sentiment devenu étranger aux fans de la franchise du Michigan, perdura. Après tout le diagnostic ne semblait pas si sévère : une tendinite certes chronique mais qui n’avait pas empêché le meneur de réaliser la meilleure saison de sa carrière. Un traitement PRP (Platelets Rich Plasmas ou plasma enrichi en plaquette) devait lui permettre de revenir vers la mi novembre, début décembre au plus tard. Rien d’inquiétant donc …
En réalité les fans de Motown attendent encore son retour. Si le joueur retrouva bel et bien les terrains avant la nouvelle année il ne fut jamais à 100%. Incapable de retrouver une liberté de mouvement optimale le meneur traina la patte pendant 3 mois avant que Stan Van Gundy ne mette un terme à sa saison. Privée de sa rampe de lancement, l’attaque des Pistons n’allait jamais décoller et le vestiaire qui jusqu’alors semblait sur la même longueur d’onde se fragmenta. Van Gundy qui avait tout misé sur une animation centrée autour des picks&rolls entre Jackson et Andre Drummond devait changer son fusil d’épaule, et ce, en plein cœur de la saison.
Inutile de dire qu’aucun miracle ne vint les sauver et les Pistons terminèrent à une piteuse 10ème place de la conférence Est (37 victoires, 45 défaites).
Si la blessure de Reggie Jackson a anéanti les espoirs de toute une franchise les problèmes offensifs observés l’an passé étaient déjà présents avant la blessure du meneur.
État des lieux
Efficacité offensive et défensive |
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Saisons |
Attaque |
Défense |
2015-2016 |
103,3 (15ème) |
103,4 (13ème) |
2016-2017 |
103,3 (25ème) |
105,3 (11ème) |
L’une des premières observations que l’on peut faire est que les Pistons n’ont pas évolué avec le reste de la NBA. D’une saison à l’autre ils ont perdu 10 places alors même que leur production offensive est restée la même. Ce n’est un secret pour personne : les attaques ont pris le pas sur les défenses. L’efficacité offensive globale observée la saison passée n’a aucun égal dans l’histoire de la ligue.
Le rythme s’accélère, l’importance archaïque accordée aux postes de jeu est révolue, le jeu en lui même tire vers l’extérieur libérant de l’espace pour des attaquants toujours plus doués et toujours plus à même d’en tirer profit. Les défenses, étirées comme jamais, doivent trouver des solutions mais il est plus facile de trouver des attaquants que des joueurs capables de défendre sur plusieurs positions.
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Et les Pistons dans tout ça ? Après tout pourquoi ne parler que de l’attaque de cette équipe qui a pourtant construit son identité de l’autre côté du terrain ? La défense ne devrait-elle pas être la préoccupation principale de Stan Van Gundy ou même des supporters ?
La réponse est simple : la marge de progression des Pistons est beaucoup plus importante en attaque. Par ailleurs la performance offensive d’une équipe influence considérablement sa performance défensive. Si l’inverse est également vrai (cercle vertueux) l’impact n’est pas aussi important.
Plus l’attaque est efficace et plus l’équipe en question aborde ses phases défensives en place. Quel est le meilleur moyen de limiter le nombre de paniers faciles (à savoir le jeu de transition et les contre attaques) de votre adversaire ? Scorer. Il est beaucoup plus facile de marquer que de demander à son équipe un repli défensif et une concentration de tous les instants. Au contraire si votre équipe n’arrive pas à marquer de manière efficace et régulière cela offre des opportunités de jeu rapide qui vont grandement mettre en difficulté votre défense.
Compte tenu des difficultés offensives des Pistons l’an passé les voir terminer avec la 11ème meilleure défense de la ligue est une sacrée performance. Le meilleur moyen (ou en tout cas le plus « simple ») de voir les Pistons intégrer le top 8 défensif est de voir leur efficacité offensive grimper.
Il est donc logique de s’intéresser à l’animation offensive de la franchise du Michigan.
Un effectif old school
Les statistiques sont de plus en plus présentes dans le sport de haut niveau. Les franchises les utilisent par exemple pour confirmer les instincts de leurs scouts ou même en travaillant de concert avec le staff technique pour chercher les moyens les plus efficaces de marquer ou de défendre. Grâce à elles on sait par exemple que le shoot le plus efficace (et donc le plus recherché) du basket moderne est le shoot à 3 points pris dans les coins et à l’inverse que les moins efficaces sont les tirs à mi distance et le jeu au poste bas.
Si la ligue tend à éliminer ces deux fondamentaux à l’image des Rockets qui ne prennent plus un shoot entre la raquette et la ligne à 3 points certaines franchises font de la résistance comme les Spurs (avec succès) ou les Pistons (un véritable échec).
L’ironie de voir Stan Van Gundy à le tête d’une équipe qui évolue contre une dynamique qu’il a lui même aider à mettre sur le devant de la scène lors de son passage à Orlando ne manque pas de faire sourire. Un sourire jaune pour les fans des Pistons.
L’an passé Detroit était l’équipe qui prenait le plus de shoot à mi distance de toute la NBA (20,9% de leurs tirs), soit presque autant que leurs tirs à 3 points (22,8% – 27ème en NBA).
Une statistique peu surprenante vu le recrutement depuis deux saisons : Marcus Morris, Jon Leuer ou encore Ish Smith sont tous plus à l’aise à 5 mètres que derrière la ligne à 3 points.
Dans la même veine Stan Van Gundy a perdu cet été en Kentavious Caldwell Pope sa plus grande menace longue distance : « KCP » l’an passé c’est un volume de 5,8 tirs à 3 points par match soit … 25% des shoots extérieurs de l’équipe ! Detroit espère que l’arrivée d’Avery Bradley (5 tirs/matchs mais dans un système offensif différent) compensera ce départ.
Par ailleurs chaque coach doit plaire à ses stars or Stan Van Gundy se trouve dans une situation peu confortable avec Andre Drummond. Le colosse est un joueur sur courant alternatif qui comme beaucoup d’intérieurs joue à son meilleur niveau défensif lorsqu’il est impliqué en attaque. Le problème pour SVG est que jouer des picks&rolls n’est pas suffisant pour Drummond qui souhaite avoir plus de ballons au poste bas.
Une bonne idée ? Jugez plutôt :
Drummond au poste bas (rang en NBA*) |
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Saisons |
Possessions/match |
Points/possessions |
EFG% |
Fréquence LF |
2015/2016 |
5 (9) |
0,73 (35) |
39,6 (35) |
9,6 (31) |
2016/2017 |
4,1 (10) |
0,73 (38) |
41,9 (33) |
9,3 (35) |
*Seuls les joueurs ayant 2 possessions ou plus au poste par match sont comptabilisés. Il y en avait 40 en 2015/2016 et 38 l’an passé …
Pour résumer Andre Drummond a des qualités mais le jeu au poste n’en fait clairement pas partie. Ses pourcentages parlent d’eux mêmes et contrairement aux autres joueurs dont l’un des objectifs lorsqu’ils reçoivent le ballon aussi près du cercle est de provoquer des fautes Drummond évite les contacts. La raison est simple : ne pas se ridiculiser sur la ligne des lancers francs (38% en carrière).
L’équation est presque insoluble pour Van Gundy qui doit essayer de réduire au maximum les postups de Drummond pour le bien être de toute son attaque ; le tout en donnant au pivot l’impression d’être au cœur de son système offensif pour obtenir de lui un engagement maximum.
Pas simple donc.
Un jeu sans ballon inexistant
Toutes les équipes cherchent à étirer les défenses, c’est le concept du spacing qui est sur toutes les lèvres depuis quelques temps. Or le spacing ne se limite pas au nombre de shooteurs à 3 points que vous avez sur le terrain, il y a d’autres moyens pour attirer les défenses et les forcer à se concentrer sur un espace plus important.
L’un d’eux est le jeu sans ballon.
Le concept paraît évident mais avoir une grosse activité à l’opposé du porteur de balle peut faire des étincelles, encore plus pour une équipe qui manque de créateurs et qui cherche un moyen pour se créer des paniers faciles. Puisque les Pistons jouent à un rythme très lent (24ème sur 30 l’an passé) qui limite les opportunités de transitions et de contre attaque il est impératif pour eux de trouver une autre source de layups et de shoots ouverts.
En sachant tout cela il est surprenant de voir les Pistons aussi statiques lorsqu’ils n’ont pas le ballon en main.
Le site NBA.com/Stats permet de calculer une partie du jeu sans ballon, regardons où se situaient les Pistons l’an passé :
Le jeu sans ballon des Pistons 2016/2017 (rang en NBA) |
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Fréquence en % |
Points/possessions |
EFG% |
|
Coupes |
5,6 (28) |
1,29 (9) |
65,3 (9) |
Sortie d’écran |
3,5 (29) |
0,79 (29) |
40 (29) |
Spot up |
17,5 (24) |
0,92 (29) |
47,6 (27) |
Les Pistons étaient l’une des équipes qui coupaient le moins en NBA (26ème en nombre de possession). Le plus surprenant étant qu’ils connaissaient pourtant un grand succès lorsque c’était le cas : le jeu au poste d’Andre Drummond revient à 0,73 point/possessions, une coupe ? 1,29 (9 ème en NBA).
Néanmoins si on s’intéresse aux autres domaines on s’aperçoit que les Pistons souffrent de leur manque de shooteurs extérieurs et d’une mauvaise lecture de jeu. Savoir où courir est une qualité peu évoquée, pourtant c’est un des fondamentaux essentiels pour tout basketteur. Il intervient dans toutes les phases de jeu et surtout ces courses doivent permettre de se mettre dans une situation plus favorable. Combien de contre attaques sont annihilées par le fait que deux joueurs fassent la même course au même moment ? Combien de layups sont annulés par une mauvaise course qui ramène un défenseur dans un espace qui était abandonné par la défense ? Beaucoup trop.
Les shoots en sortie d’écran sont une part importante de toute animation offensive dans la NBA actuelle car c’est un système simple mais qui demande à tous ses acteurs de savoir faire le bon choix.
Cette décision est conditionnée par la réaction de la défense. Si elle est en retard le joueur doit prendre un shoot ouvert. Si la défense anticipe et l’intérieur qui s’occupe du poseur d’écran avance sur le shooteur le porteur de balle doit chercher en priorité l’intérieur qui flash vers le cercle. Bien sûr il faut également prendre en compte que la défense dispose théoriquement d’une aide défensive mais la rapidité de la prise décision détermine très souvent l’efficacité de cette situation.
Les problèmes pour Detroit sont nombreux : tout d’abord leur manque de shooteurs extérieurs limite considérablement l’espace dans lequel ils doivent évoluer (réduisant leur marge d’erreur). Ensuite les défenses, ne craignant pas les dits shooteurs, sont bien contentes de se focaliser sur la coupe de l’intérieur. Enfin le porteur de balle et le shooteur (Smith/Jackson et KCP les années précédentes) prennent plus souvent le mauvais choix que le bon.
C’est le même principe avec les situations de spot up où les Pistons n’ont pas les armes pour sanctionner les défenses. Et quand bien même ils les auraient ils n’ont pas la circulation de balle pour les trouver.
Le mouvement sans ballon est un vrai problème depuis le départ de Richard « RIP » Hamilton. Les Pistons n’ont pas réussi à retrouver ce type de joueur capable de naviguer parmi les écrans et de perdre son défenseur facilement. Hamilton n’avait pas besoin d’évoluer derrière la ligne à 3 points pour attirer l’attention des défenses : ses courses faisaient le nécessaire. Jodie Meeks devait évoluer dans ce rôle mais les blessures ne lui ont jamais permis de remplir cette mission. La draft de Luke Kennard et l’arrivée d’Avery Bradley devraient considérablement changer la donne pour Stan Van Gundy.
Poste pour poste Avery Bradley est un meilleur spot up shooteur que KCP (59,9 EFG% contre 47,5%) tout en possédant un bien meilleur jeu sans ballon (il coupe bien plus souvent et plus efficacement : 1,42 points/possessions pour lui contre 1,13). Par ailleurs le mouvement est contagieux : si un joueur voit un coéquipier couper vers le cercle il aura plus fréquemment tendance à le faire lui même.
À long terme le choix de Luke Kennard n’était sans doute pas le meilleur pour Motown mais à court terme ses qualités de shooteurs et l’intelligence dans ses courses font de lui un élément important pour combler les faiblesses exposées ci-dessus.
En réalité presque tous les mouvements de l’été ont pour objectif de donner plus d’options offensives à Van Gundy pour améliorer l’animation offensive : le départ d’un Marcus Morris qui adorait travailler ses un contre un au poste haut devrait favoriser une meilleure circulation de balle et l’arrivée de Langston Galloway (et son horrible contrat) permet à SVG de compter sur un shooteur fiable supplémentaire. SVG possède maintenant des joueurs capables d’épauler ses deux meilleurs joueurs.
La création… quelle création ?
La saison 2015-2016 fut celle du pick&roll entre Andre Drummond et Reggie Jackson. Stan Van Gundy avait donné les clés de l’attaque au duo qui s’était régalé en répétant les mêmes phases de jeu. L’arrivée de Tobias Harris en cours de saison avait alors permis d’apporter une variété qui faisait défaut à la franchise du Michigan. Simpliste le système de jeu n’en restait pas moins efficace et surtout il avait permis aux Pistons de remplir l’objectif principal : retrouver les playoffs.
La blessure de Jackson allait tout changer. Van Gundy était allé chercher Ish Smith pour jouer les doublures mais le meneur de poche n’avait pas les épaules pour diriger une attaque sur demi-terrain. Incapable de sanctionner les défenses qui passaient sous les écrans et se focalisaient sur Drummond Smith devint un vrai poids mort. Les Pistons continuèrent malgré tout d’appliquer la recette qui avait fonctionné en 2015/2016 en essayant de responsabiliser d’autres joueurs, sans succès.
Si la création n’est plus un monopole tenu par les meneurs de jeu il n’en reste pas moins le poste le plus important. Évoluer toute la saison sans meneur titulaire est un handicap presque impossible à surmonter, surtout pour une équipe qui n’a aucune marge sur les autres candidats aux playoffs.
Jackson blessé, Tobias Harris était le seul joueur capable de jouer un pick&roll pourtant il dut affronter la rigidité tactique de Van Gundy qui préfère voir un arrière être à l’initiative d’une telle phase de jeu. En bref les Pistons étaient privés de leur arme principale. À lui seul ou presque Reggie Jackson avait fait des Pistons une des équipes les plus clutch de la ligue (Portland peut en témoigner), sans lui les Pistons sont devenus l’une des pires équipes dans le money time. Vouloir plus de responsabilités est une chose, assumer un nouveau statut dans les derniers instants d’un match en est une autre et le trio composait de Morris, Harris et KCP a pu s’en apercevoir.
Comment compenser l’absence de création alors que l’effectif manque de bons passeur ou plus globalement de joueurs altruistes et évolue avec un spacing qui facilite la vie de la défense adverse ? On ne peut pas. Ou plutôt les solutions demandent du temps et elles débutent par la construction d’un effectif plus cohérent.
Rigide dans ses rotations et son système offensif Van Gundy l’était aussi dans son utilisation des joueurs qui auraient pu diminuer les carences de l’effectif. Faire jouer Stanley Johnson contre des arrières fut incompréhensible, utiliser Leuer principalement au poste 4 alors qu’il avait montré de très bonnes choses en 5 fuyant le fut tout autant. Pourquoi ne pas mettre en place des pick&rolls entre ses ailiers ? Pourquoi rester dans le même schéma offensif alors que les résultats étaient clairement décevants ?
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Il est difficile de savoir comment l’animation offensive des Pistons va évoluer. Si la saison des Pistons dépend de la santé de Reggie Jackson les problèmes vont bien au delà du retour du meneur. Saoulé votre adversaire de pick&roll est une stratégie beaucoup trop limitée dans une NBA qui vous pousse à marquer de plus en plus. Le manque de variation observée depuis l’arrivée au pouvoir de Stan Van Gundy inquiète bien plus que l’état des genoux de Jackson ou l’état d’esprit d’Andre Drummond.
En ajustant l’effectif cet été Van Gundy s’est donné les moyens pour proposer autre chose que la bouillie de basket des années précédentes.
Le déménagement vers le centre ville et la Little Caesars Arena est une opportunité idéale pour faire évoluer un style de jeu old school voué à l’échec. Il est temps pour Stan Van Gundy de prouver que sa réputation de coach offensif n’est pas usurpée.