JÉRÉMY PEGLION / FONDATEUR QI BASKET
Tout le monde aime une bonne histoire. Savoir créer, raconter une bonne histoire est un pouvoir fantastique, de puissance, de portée, de durée. Si la littérature, le cinéma ont une telle emprise, si tant de gens se passionnent de textes de musiciens, de grandes conférences, c’est tout simplement car le “storytelling” est un art majeur, qui peut toucher et convaincre n’importe qui. Si la NBA occupe une place toute particulière chez les fans de basket, c’est probablement que la grande ligue l’a compris très tôt. Plus que le formidable talent de ses athlètes, elle possède une magie incontestable lorsqu’il s’agit de monter, de mettre en lumière de belles histoires.
Malheureusement, à force de sous-estimer cet aspect, et de raisonner par les chiffres, nous allons finir par la tuer. Que vous voyez ou pas où je veux en venir, ce texte est pour vous.
Si je vous demandais si certains titres valent plus que d’autres, et que vous répondiez “oui”, alors nous commençons à nous comprendre.
Si je vous demandais si certaines équipes vous ont plus marquées que d’autres, et que vous répondiez “oui” à nouveau, alors… allons-y.
Cet été, les Cleveland Cavaliers sont devenus champions NBA. C’était le premier titre de la ville depuis plus de 50 ans. Pourtant, au lendemain de cet exploit, les journaux titraient LeBron James, avant sa ville, son équipe. Ce n’est pas qu’ils oubliaient ses coéquipiers, non. Mais ce titre avait une belle histoire – celle de l’enfant du pays qui brisait la malédiction de sa terre natale. Parce que disons le, un conte a toujours un héros, et que ce héros avait accompli sa destinée.
Ce qu’a vécu LeBron cet été, c’est l’un des droits accordés aux protagonistes principaux : celui d’être adulé, envié, grassement récompensé. Ce qu’il a vécu auparavant, c’est la malédiction des superstars de son sport : celle d’être jugé, raillé; celle de connaître la frustration de l’échec et le poids du monde sur ses épaules, aussi larges qu’elles soient. Ce n’est pas pour rien que James s’effondrait sur le parquet de la Baie. La pression qu’il portait n’avait jamais été aussi pesante.
Et c’est ça, au fond la magie que ce sport nous donne. Et c’est cela dont nous avons faim. Nous voulons de belles histoires, nous les traquons, que leur fin soit heureuse, ou qu’elle ne le soit pas, leur vraie magie c’est de nous tenir en haleine jusqu’à l’issue. L’art de raconter une histoire a souvent été théorisée à base de courtes formules, d’aphorisme. Ma version serait ainsi “une bonne histoire a besoin d’un personnage principal (ou plusieurs), qui traverse des épreuves jusqu’à les surmonter ou y succomber”. Cela peut paraître simplet, et au fond ça l’est.
Maintenant, transposons cela à notre ligue. Pour vivre, elle a besoin de personnages principaux, symbolisés par les stars qui la compose. Et nous les tenons. Citons-en quelques unes : LeBron, KD, Westbrook, Curry, Paul ou encore Melo. Leurs vies sont publiques, leurs exploits sur et en dehors du terrain sont leur histoire, et nous les consommons. Selon leurs déclarations, leurs attitude, leurs réactions nous créons leur profil et nous attendons qu’ils y répondent. Qu’ils jouent pleinement leur rôle de protagoniste avec les traits de caractère que nous leur décelons, puis que nous leur imposons comme un carcan.
Et c’est là que leur devoir est, finalement. Être ce qu’ils nous ont montré, l’assumer, être les héros de leur histoire. Ce n’est pas pour rien que ce troisième titre de James surclassait les précédents, pour les fans de ce sport, comme pour lui-même. Oui, cette fois il a tourné une page de son histoire, digne de la place que l’on lui avait accordé. Une qui méritait d’être largement plébiscitée.
Ainsi est le devoir ultime du joueur NBA, qui devrait leur être présenté. Arriver dans une situation, et mettre tout en œuvre pour obtenir le sacre. Ne pas céder à la facilité, ne pas céder au temps, mais tout faire pour écrire les plus belles pages possibles. Gagner dans la gloire, ou perdre dans l’honneur, mais accepter les épreuve sans en dévier. Ce serait un peu le drame du NBAer, le fardeau à porter, celui de la difficulté permanente. Au risque de porter cette étiquette de perdant, le faire avec la manière, en donnant tout jusqu’au bout… Quitte à rejoindre le panthéon des légendes qui n’ont pas touché le Graal, au côté des Malone, Nash, Stockton.
Mais finalement, que garderons-nous le plus en mémoire ? L’histoire des Suns, de leur attaque de feu qui buta des années durant aux portes des finales ? Le Run TMC des Warriors ?
Nous souviendrons nous plus du titre de Kobe comme lieutenant du Shaq’, ou comme patron des Lakers ? De James et ses deux acolytes, ou celui de l’élu ?
C’est bien cela, qui importe finalement. L’histoire qui est derrière, de ce que les plumes, les images, les vidéos pourront nous raconter. De ce qui nous fera frissonner en les ré-évoquant dans quelques années, et c’est en ce point, que la citation récente de Sir Charles prend toute sa saveur “ce n’est pas la même chose de guider votre équipe au titre lorsque vous êtes la chauffeur, et lorsque vous êtes le passager”. La nuance entre être le héros et le protagoniste secondaire.
L’histoire racontera qu’en 2016, KD a été le personnage (principal) qui était à deux doigts de faire chuter les champions en titre, détenteur du record de victoires. Qu’il s’est battu jusqu’au bout, en dépit de l’échec. L’été prochain, peut être dira-t-elle qu’il a accédé à sa bague, en sautant dans un wagon du TGV des Warriors, au lieu de chercher à mener une campagne punitive, avec panache.
On ne peut pas se cacher que ce choix, fait pourtant sens dans la NBA actuelle. Parce que l’autre grande tendance, celle des mathématiques, des statistiques poussées, de la grandeur mais par les additions de palmarès. Parce qu’on a décrété petit à petit que le nombre de bagues faisait les grands joueurs, que l’on était rien sans cela. Alors pitié… La prochaine fois que vous jugez une carrière : n’oubliez pas tout ce qui fait une grande histoire. Le contexte, les épreuves sur le chemin, les personnages secondaires, les adversaires, les aléas sur la route. Ne prenez pas le raccourci des chiffres, froids, durs, impartiaux. Ne perdez pas de vu qu’ils sont amnésiques, manipulables et parfois aveugles.
Ne tuons pas la magie d’une bonne histoire, et laissons-nous les conter, que leurs dénouements nous conviennent ou pas.