La NBA sait nous conter des histoires. Le plus souvent, elles racontent les aventures de joueurs qui entreront dans la légende, géants statistiques qui se feront une place au panthéon de leur sport, à grands coup de trophées, de distinctions individuelles, et pour les plus dominants d’entre eux, un ou une poignée de titres.
La conquête de la bague, restera probablement le sujet de prédilection de toute personne qui voudra vous faire frissonner en écrivant des lignes, parce que plus d’une décennie après sa dernière retraite, on raconte toujours des anecdotes sur la légende de Michael Jordan. L’homme aux 6 bagues, lui, l’invaincu en finale. Pourtant, pour une carrière NBA d’exception, il y en a une centaine d’autres, moins glorieuses, mais tout aussi primordiale au spectacle. Et parmi cette flopée de talents qui tomberont dans l’oubli, il y a tout un tas d’histoires qui méritent d’être racontées, de faits d’armes marquants et de destins hors du commun.
Voici, une série d’articles, sur ces hommes de l’ombre, aux parcours dont au fond, nous rêverions aussi.
Il y a des joueurs qui passent de l’ombre à la lumière, d’autres qui suivent le chemin inverse. Mais il y en a aussi comme Danny Green, qui connaîtront une série de hauts et de bas, de passages jalonnés de fierté, compensés par des baffes magistrales. Aujourd’hui titulaire aux San Antonio Spurs, l’ancien adolescent de New-York aurait très bien pu passer à côté des chapitres formidables qu’il a connus dans la bande de Gregg Popovich.
Dès sa première saison en tant que lycéen, Green fait parti de l’équipe de basketball de North Babylon High School, située sur Long Island, à New-York. Parallèlement, il est quaterback de l’équipe de football. Green ne tarde pas à se faire remarquer, et sa famille, notamment son père qui le pousse énormément, l’encourage dès son année Sophomore à s’inscrire dans une école privée, afin de cadrer son parcours. Il effectue donc sa seconde saison à St Mary’s High School, bien connue pour son excellence sportive, et détenir le record de titres de champion d’état, en Hockey sur glace. Danny, continue son ascension, et pour l’année critique de sa jeune vie, à savoir sa saison en tant que senior, il enregistre 20 points, 10 rebonds, 4 passes et 4 contres. Nous sommes en 2005 et la jeune version de Danny Green est considérée comme le 31eme meilleur prospect du pays, le 8eme au poste d’arrière.
Il est jeune, à peine 18 ans, mais il rêve déjà NBA. Cela tombe à pic, puisque sa famille n’envisage rien de moins pour lui, et l’encourage donc vivement lorsqu’il accepte de rejoindre UNC (University of North Carolina), pour démarrer sa carrière universitaire. Pour sa première saison en tant que Tar Heels, il joue les sixième homme, rôle qu’il accepte sans rechigner pour se faire une place dans un effectif solide, comptant pour leader une légende du basketball universitaire Tyler Hansborough. Alors que l’intérieur écrit les premières pages de sa légende, Green, enregistre une première saison encourageante, en enregistrant 7,5 points, 3,5 rebonds et en montrant qu’il peut défendre dur, à l’instar de ce qu’il avait déjà prouvé lors de ses années en High school. La saison s’arrête cependant prématurément pour UNC, qui tombe au second tour du NCAA Tournament.
Fort de ce premier exercice, il entre dans sa saison sophomore, confiant. Tous les voyants sont au vert pour lui, et Green entend bien prendre une autre dimension. Pourtant, contre toute attente, Green va connaître un second exercice à la fois moins convaincant, mais aussi extrêmement frustrant. Persuadé que son rôle va évoluer, il est contraint d’aborder le cru 2006-2007 avec le même statut. Une première désillusion pour lui, à qui, tout avait alors toujours souri. Les raisons sont multiples, et probablement mentales. Mais on ne peut nier, que les arrivées simultanées de 2 autres gros prospects, n’ont pas aidé son développement. En recrutant Wayne Ellington et Ty Lawson, les Tar Heels amènent de la concurrence sur les postes 1 et 2. Malgré une vraie progression collective, puisque UNC tombera face à Georgetown durant le Elite Eight (4eme tour du NCAA Tournament, équivalent des Playoffs en basket universitaire), Green finit la saison avec des statistiques en berne (5,2 points et 2,8 rebonds) et l’intention, ferme, de changer d’Université. Cependant, après diverses réflexions, discussions, il fera le choix de rester.
Il attaque sa troisième saison universitaire en proie aux doutes, mais bien décidé à ne pas abdiquer. Il connaît le coût qu’un départ aurait pu avoir sur sa réputation en tant que joueur, mais aussi en tant qu’homme. Et s’il n’a pas pris le chemin escompté lors de son arrivée en trombe dans le circuit universitaire, il ne sait pas encore qu’il a fait le bon choix, dans son but de se faire un nom avant de se présenter à la draft NBA. Si ses 2 premières saisons n’ont pas servi ses rêves de grandeur, les choses évoluent pour Danny Green, qui prend une tout autre dimension. Il forme avec Wayne Ellington et Tyler Hansborough, le second trio le plus prolifique au scoring de l’histoire de North Carolina. Bonjour les honneurs pour le futur arrière des Spurs, qui pond une saison statistique digne des attentes placées en lui : 11,5 points, 5 rebonds, 2 passes et 1,2 contres et interceptions. Il commence à montrer l’étendue de son talent, et participe avec Ty Lawson, et ses 2 compères susmentionnés à porter son université jusqu’au Final Four, où ils tomberont contre Kansas, mais en franchissant un nouveau palier dans leur conquête du titre. Une conquête du Graal NCAA qui n’est, au fond, pas une finalité pour Green. Ce dernier se déclare éligible pour la draft 2008, mais il y découvre rapidement que les erreurs se payent vite lorsqu’on est dans le business NBA. Malgré l’intérêt de certaines franchises, ne pas avoir signé avec un agent est vite rédhibitoire. Il est contraint de rempiler pour une dernière année à UNC.
Enfin reconnu comme il se doit, en train de trouver l’alchimie escomptée, il aborde sa saison Senior, dernière année de son parcours universitaire avec la ferme intention de finir en beauté, et de se faire un tremplin vers son rêve, la NBA… Pour de bon cette fois ! Et quelle saison pour Green… Les Tar Heels réalisent une année historique, renforcés par 2 futurs NBAers (Tyler Zeller et Ed Davis) pour épauler Hansborough dans la raquette. Pour conclure ce cycle, ils s’adjugent le titre NCAA en prenant leur revanche face à Michigan State, et Danny conclut son année avec des moyennes en hausse, preuve qu’il n’a pas encore exploité tout son potentiel : 13,7 pts, 4,7 rebonds, 2,1 passes, 1,8 interceptions et 1,3 contres par matchs. Décisif en finale, il marque 18 points, et peut se préparer sereinement pour la draft.
Pour les étudiants d’UNC, cet été est un crève-cœur, puisqu’il marque le départ de son quatuor Hansborough, Green, Elligton, Lawson, tous éligibles pour la draft 2009. Tout semble comme dans un rêve ce soir-là. S’il n’est parmi les favoris pour être appelé au premier tour, l’acquisition de titre fait de Green un prospect digne d’intérêt. Ses statistiques sont solides, il peut défendre, shooter, et en tant que senior universitaire, il est capable d’apporter de suite. Le profil de 3&D est précieux, et il est prêt à recevoir les honneurs. On ne l’a peut-être pas encore assez répété durant ces lignes, mais Green a été élevé par une famille qui le pousse dans le basket, un père qui booste son égo, et lui répète sans cesse qu’il est le meilleur. Aussi, il est inutile de préciser trop longuement que cette jeune version du joueur que l’on connaît aujourd’hui, ne rentre pas en NBA pour se cantonner à un statut de rôle-player. C’est pourtant bien ainsi que les scouts NBA le voit, et à l’inverse de ses 3 coéquipiers d’UNC, sélectionnés durant le premier tour, il atterrit en 46eme position, à Cleveland.
Si Green vient de réaliser son rêve, il reçoit aussi une première gifle envoyée par la grande ligue. Toutefois, Green est aussi conscient de sa chance. Après tout, il a connu ce statut d’outsider à UNC, et il s’en est relevé. De plus, il a été sélectionné par les Cleveland Cavaliers, où évolue l’un des meilleurs joueurs de la ligue : LeBron James. S’il est au côté du King, il va pouvoir jouer dans une équipe ambitieuse, et il est justement gonflé à bloc par la conquête du titre NCAA. Oui, mais voilà, Green est sûr de lui, persuadé qu’il peut jouer un rôle majeur, et être dans une équipe en quête d’une bague n’est pas facile pour un 46eme choix. Après 20 matchs, et 124 minutes passées sur le terrain, les Cavs le coupent.
Néanmoins, la carrière de Green n’est pas terminée, et il est repéré par Gregg Popovich, en Novembre 2010, qui le met à l’essai. Une fois encore, Danny, persuadé de son talent, ne compte pas jouer les seconds rôles. Il n’est pas le meilleur des scoreurs, mais il sait absolument tout faire sur un terrain, et il compte bien le montrer à la troupe de Tim Duncan. Hélas, Popovich a beau malmener le jeune joueur pour lui indiquer ce qu’il attend de lui, l’ex-Tar Heel reste ferme, et les Spurs sont rapidement la seconde équipe à le couper, tandis que le coach lui reproche son “égoïsme”. Son second contrat aura duré 6 jours, pour 2 courtes apparitions en match.
Les semaines passent, et Green comprend que sa carrière pourrait s’arrêter. Assis chez ses parents, il regarde les matchs NBA à la télé. Pour la première fois de sa vie, il n’a pas d’équipes, pas d’emploi, et il commence à imaginer que cela pourrait bien signifier la fin de son rêve. Il y a bien un contrat en Italie, avec une grosse somme à la clé. Mais il n’a pas joué toute son existence pour ça, ce n’est pas son basket, pas la chimère après laquelle il a couru tout au long de son parcours, pas celle qu’il a touché du doigt durant l’été 2009. Une équipe en Italie attend une réponse rapide, mais Green n’est pas seul, et sa famille croit toujours qu’il est destiné pour la grande ligue. Aussi, il laisse passer l’offre, continue à travailler dur, comme il l’a toujours fait.
Dans le même temps, les mots de coach Pop’ commencent à résonner, et il comprend que peut-être, il va falloir penser comme un role-player. Il travaille alors son shoot longue distance, bien conscient que dégainer derrière la ligne à 3 points devient une qualité incontournable. Il travaille alors sur tous les aspects de son jeu, sa condition physique, mais surtout ce qui devra devenir sa spécialité, le shoot…. et en janvier 2011 reçoit un appel des Reno Bighorns. Le voilà joueur de D-league.
Avec sa nouvelle équipe, il joue 16 matchs, devient le leader offensif de l’équipe et enregistre 20 points et 7,5 rebonds. Par cette performance, il gagne sa place dans l’effectif des Spurs pour la saison suivante.
Mais la ligue se moque une nouvelle fois de Green. Alors qu’il est prêt pour sa rentrée, le lockout éclate, et le début de saison… est retardé. Il s’engage 1 an avec un club Slovène, avec une clause de sortie en cas de fin des négociations. Finalement, le sevrage de NBA prend fin, pour une saison de 66 matchs. Et la bande de Gregg Popovich découvre le Danny nouveau. Désormais prêt à accepter son rôle, conscient qu’il n’est peut être pas aussi talentueux que les stars de la ligue, il se concentre sur ce qu’on lui demande de faire. Il défend dur, fait le sale boulot, attend la balle dans le corner, prend les shoots qu’on lui laisse. Des bons shoots. Coach Pop n’est pas tendre avec lui, il accepte les gueulantes du gourou des Spurs, s’accroche malgré les réprimandes. Dans le même temps, son travail acharné lui vaut de gagner en crédibilité, suscitant l’admiration de ses coéquipiers, du staff. Les mots de son coach, lors de son premier passage, ont finalement fait mouche, et il devient une vraie teigne en défense, permettant de remettre Manu Ginobili sur le banc… et d’octroyer le poste de titulaire à Danny Green.
En 2011-2012, il démarre 38 matchs sur 66, et devient la révélation Texane de la saison, mais aussi l’une des surprises de l’année pour l’ensemble du public et des experts, faisant de celui-ci un prétendant pour le trophée de meilleure progression de 2012 (MIP), dont il finira 9eme – comme le nombre de points inscrits sur la saison.
Le rêve commence à prendre forme. Alors que Tyler Hansborough, se contente du banc à Indiana, lui, son lieutenant devient titulaire de l’une des plus belles franchises de la décennie. Son ascension a été aussi rapide que sa prise de conscience salvatrice. Mais l’épopée du jeune arrière n’est pas terminée, non.
“Je suis peut-être talentueux, mais je ne suis pas le meilleur. Certains des joueurs les plus forts n’y arrivent pas. Je devais avoir un meilleur QI basket, travailler plus que n’importe qui, ou je n’y serai jamais arrivé.”
Les Spurs sont alors à plein régime, et abordent les Playoffs décidés à conquérir le titre, ils roulent sur les 2 premiers tours de post-saison en sweepant le Jazz et les Clippers. Ils enchaînent par un 2-0 contre OKC, en plein confiance. Green est sur le point de connaître sa première finale, pour sa première véritable saison. Avant que la belle histoire ne s’achève, par un 4-0 très sec infligé par cette même équipe du Thunder. Une désillusion qui n’entache pas le moral de Green, paré pour la suite.
La suite, San Antonio la voit avec leur nouvelle pépite, enfin domptée. Il prolonge pour 3 ans et 12M de dollars en juillet 2012. Un contrat qui ne ralentit pas l’appétit du jeune arrière, conscient qu’il n’a pas le droit de relâcher ses efforts.
Pour la saison 2012-2013, les Spurs sont fidèles à eux-même, et dominent tranquillement la ligue, même s’ils ne finissent que second de leur conférence. Green quant à lui, ne déçoit pas, augmentant son apport dans tous les compartiments du jeu, notamment avec un impressionnant 48% à 3 points – tout en s’offrant le tir de la victoire contre les Lakers, le 13 novembre. L’équipe, elle, aborde les Playoffs concentrée, et ne fait qu’une bouchée d’une équipe de Los Angeles, orpheline de Kobe Bryant. Dans la foulée, ils font tomber les Warriors (4-2) et passent un coup de balais sur les Grizzlies (4-0) pour atteindre les finales NBA. En face, l’armada du Heat de LeBron James, champions en titre. Green a jusqu’alors produit des Playoffs de qualité, mais dans cette guerre tactique, il va monter en régime, pour écrire un des plus grands moments de sa carrière.
Le bras de fer est terrible, chaque équipe s’ajuste pour infliger une dérouillée à l’autre, après chaque défaite, et alors que les stars peinent à vraiment dominer, particulièrement côté San Antonio, Green réalise un véritable show. D’abord parfait à 3 points dans la première défaite de son équipe, lors du Game 2 (5/5 à 3 points), il participe à faire exploser Miami dans le match suivant, avec un 7-9 de loin et un total de 27 points ! Dans le 5eme match, il aide à nouveau son équipe à prendre les devants, en plantant 25 points, avec 6 tirs à 3 points. Les Spurs mènent 3-2, et le joueur le plus en avant… Danny Green ! Il vient d’éclipser le record de 3 pts durant une finale détenu par Ray Allen, plus fou encore, les spécialistes s’accordent à dire qu’en cas de victoire lors du Game 6, il sera MVP des finales, ajoutant son nom aux côtés de maints Hall of Famer. Lui qui a dû baisser la tête pour se faire une place, est en train d’entrer dans la légende en utilisant ce qu’on lui a laissé prendre. Un pied-de nez-formidable à son histoire !
Le match 6 suit son cours, et les Spurs sont devant. Le terme d’un match étouffant se dessine, il reste 27 secondes, malgré un match compliqué pour Danny Green (14% au tir), la bande de Duncan mène de 5 points. La gloire leur tend les bras, à Green particulièrement. Et puis… Le cauchemar. Les Spurs encaissent un 3 points, ne marque qu’un lancer-franc sur deux. James manque son second tir à 3 points, mais Chris Bosh est au rebond, se retourne vers Ray Allen, qui égalise avec un des tirs les plus cruels de l’histoire. San Antonio ne gagnera pas, Green accumulera un affreux 2/19 sur les 2 derniers matchs. Passé à quelques secondes de la consécration collective et individuelle, Green voit tout lui échapper, avec une action symbole à décortiquer, ressasser, détester. Son échec personnel à maudire pour le reste de l’été, tandis que Ray Allen qu’il avait dépossédé de son record, repart avec une seconde consécration. Si proche, et désormais si loin.
Heureusement, on vous l’a dit, la NBA sait nous conter des histoires. Et à l’image de celle de Green, l’histoire collective des Spurs n’est pas exempte de rebondissements. San Antonio revient en 2013-2014 avec sobriété. Pas de rancœur affichée, pas de revanche annoncée. Green, à l’image de ses coéquipiers, de son staff, joue dur sans déclarations agressives. Il joue moins que la saison précédente, et produit moins, mais le jeu des Spurs est plus collectif que jamais, et la franchise reprend le trône à l’ouest. En Playoffs, la franchise bute sur les Mavericks, mais en vient finalement à bout (4-3). Un accroc qui va mettre une claque à la franchise, qui va alors monter en régime. Ils se débarrassent ensuite de Portland (4-1) et d’Oklahoma (4-2). En finale, se dresse le Heat, une fois de plus.
Mais pas de suspens intenable cette fois. Alors que les Spurs, en assassins silencieux, ont médité leur revanche sans provocation, le Heat n’a pas de réponse. Moins incisifs que l’an passé, alors que San Antonio joue l’un des plus beaux baskets jamais observés, au point de se faire balayer en 5 matchs, abasourdis. Green, lui, à l’image de ses coéquipiers, a appris. Plus serein, moins clinquant que lors des dernières finales, il obtient une consécration amplement méritée, au goût de revanche, au prix d’une bataille livrée sans bavures.
Au sein de ce grandiose collectif, Green marque l’histoire à sa manière, en devenant le premier Tar Heel a remporté le titre depuis His Airness (ndlr : Michael Jordan).
“Je suis le meilleur exemple, lorsque l’on dit qu’il ne s’agit pas d’être le meilleur, le plus athlétique, ni le plus grand” – déclarait-il après la finale. “Travaillez dur, et quelque chose va se passer. Vous n’atteindrez probablement pas la lune à chaque fois, mais vous pouvez vous en approcher. Et ça peut être tout aussi agréable.”
Une fin plutôt sympathique pour ce chapitre, en espérant qu’il nous en fasse écrire d’autres.