JÉRÉMY PEGLION / FONDATEUR QI BASKET
Il paraît loin le temps où les pivots offensifs dominaient la ligue. Il est loin ce temps, où Shaquille O’Neal, dernier représentant des monstres au poste 5, faisait la pluie et le beau temps en NBA.
Comme une réponse à ces géants qui détruisaient les raquettes, les jeunes ont appris à shooter de loin pour proposer une alternative, le jeu s’est densifiée athlétiquement pour joueur toujours plus vite, créer de l’espace, poussant cette race de joueur vers la sortie, rendant leur profil tantôt dispensable, tantôt inutile. Les années 2000 ont vu cette évolution se faire, tranquillement, et puis la décennie en cours à vu naître le small-ball comme l’arme ultime pour gagner des matchs.
Entre le Heat de LeBron James, et les Warriors de Stephen Curry, l’utilité d’un pivot à même de scorer à été largement remis en cause. Alors que Miami ne possédait aucun pivot d’envergure dans son roster, les Warriors se sont appuyés quant à eux sur Andrew Bogut, défenseur brillant, mais sous-utilisé au scoring. Les derniers champions, quant à eux, se sont appuyés sur Tristan Thompson, ailier fort de métier, pour jouer les utilités au poste de pivot.
Cette sous-utilisation soulève toutefois des questions plus larges. Est-ce que ces équipes n’ont pu acquérir un pivot dit “offensif”, ou se sont-ils affranchis de ce type de profils ?
La première chose, qu’il faut bien confirmer, avant tout constat, c’est que ce profil existe bel et bien toujours en NBA. Brook Lopez, Al Jefferson, Pau Gasol, et surtout DeMarcus Cousins en sont les principaux représentants. Dotés d’un excellent touché de balle, et d’une capacité à dégainer à plus longue distance, ils ont un arsenal parmi les plus complets de la ligue. A l’inverse, ils sont aussi des défenseurs en dessous des standards attendus à ce poste (plus ou moins, clairement). Et c’est là que le bas blesse, il faut le dire. Dans une ligue dominée par les meneurs & les ailiers, le fait de posséder un jeu fort au poste bas ne semble plus faire recette.
Cette évolution, n’est pas la faute des pivots actuels, mais de la nécessité des coachs de trouver des alternatives aux pivots dominants d’antan. Les joueurs se sont adaptés, les règlements NBA ont changé, et l’ère du run-and-gun initié par Mike d’Antoni ont fini de rendre leur profil “compliqué”. Car c’est toute la ligue qui a subi ces nouveaux standards, obligeant les joueurs à construire leur identité sous ces nouvelles couleurs.
Ainsi, avoir un pivot qui garde la balle au poste-bas est devenue une hérésie, sur la durée entière d’un match. Utile par séquence cette façon de jouer ne fait plus recette, car cela ralenti le jeu, gêne la circulation de la balle, et disons le, cela rapporte souvent moins que de prendre un tir à 3 points ouvert, sur la durée d’un match. Autre problème, ces pivots, talentueux offensivement, sont souvent devenus ce qu’ils sont en raison de leurs capacités physiques. Aussi, Brook Lopez, Al Jefferson et consorts n’ont jamais été de grands athlètes. Ils se sont donc construits pour compenser ces limites physiques par un touché de balle supérieur aux autres joueurs. Malheureusement, face à l’évolution du jeu, c’est sans surprise qu’ils se retrouvent en majorité dans des équipes de bas de tableau en tant que leader (Cousins, Lopez) ou dans un rôle amoindri dans de meilleures équipes.
Cette désuétude croissante de leur style de jeu, à en revanche fait la par-belle à un profil, de joueurs moins intéressants sur le plan basket, mais bien plus efficace pour les franchises. Si certains ont vu la nomination de Deandre Jordan dans la 1ere All-NBA First team comme un affront, il est en réalité l’archétype de ce qu’attendent les équipes, d’un pivot, aujourd’hui. C’est à dire : être capable de suivre un rythme soutenu, dissuadé les extérieurs de pénétrer et de finir prêt du cercle, prendre des rebonds. En somme, changer le court d’un match en restant dans la raquette. Une évolution, qui, si on se base sur ce que la ligue a connu durant les années 2000, devrait aussi engendrer une évolution.
Si l’on veut voir plus loin, la tendance à croissante à chercher des ailiers forts capables de dégainer derrière la ligne des 7m23, a pour but notamment de pousser les intérieurs (comme DAJ) à sortir, pour libérer l’espace nécessaire pour pénétrer. Ainsi, les profils à la Draymond Green, Kevin Love, se développant, les intérieurs devront être de plus en plus mobile. La tendance générale à aimer les joueurs polyvalents, que LeBron James a instauré comme un must, a engendré une confiance croissante accordée à des joueurs comme Giannis Antetokoumpo, capable d’attaquer et défendre sur différents postes.
Dans cette recherche crescendo de joueurs à même de jouer des rôles divers, il n’est pas étonnant que Karl Anthony Towns, mais surtout, Joël Embiid aient soulevé un tel intérêt de la part des franchises. C’est à dire des athlètes capables de se déplacer très vite latéralement, parfois de défendre à l’extérieur sur des joueurs beaucoup plus petit, ou des ailiers fuyants. Une tendance qui font de ces nouveaux prototypes, des pivots du futur, qui s’ils sont laissés tranquilles par des pépins physiques, pourraient pousser la ligue à une nouvelle forme d’adaptation.
D’ailleurs, comme une ouverture à une réflexion, et un jeu de comparaison qui sera assurément intéressant, les drafts successives des Sixers ont un côté illustratif. Jahlil Okafor, fort attaquant, adroit mais défenseur défaillant rappelle assurément les profils arrivés début des années 2000, Nerlens Noël, frustre offensivement, mais véritable athlète, très horizontal, féroce défenseur dans la raquette est un prototype fin des années 2000. Enfin, Joël Embiid, annoncé comme un phénomène, fait parti de ces nouveaux pivots, qui devraient se faire plus nombreux dans les années à venir, et, que nous découvrirons (espérons) très bientôt.
Si l’évolution est un cycle, alors peut-être verrons nous dans quelques années un nouveau Olajuwon, pour enfoncer ces pivots nouvelle-génération, très rapides, mais peut-être trop léger pour encaisser du jeu au poste bas…
Jérémy Péglion
Fondateur de QI BASKET